Commentaire composé de l'incipit de Falaises d'Olivier Adam
I. L’angoisse du personnage principal : entre tragique et poids du destin
Dans le roman d’Olivier Adam, le personnage principal est marqué par une angoisse profonde, née de la mort de sa mère et du poids d’un destin qu’il semble incapable de maîtriser. Cette angoisse est omniprésente et contraste violemment avec les moments de douceur liés à sa femme Claire et à sa fille Chloé. Dès le début, le personnage exprime son inquiétude lorsqu’il confie : “Claire dort et qui sait où nous allons.” Cette phrase traduit son sentiment de perte et d’incertitude face à sa propre existence. Pourtant, sa fille, par son innocence, s’oppose à cette vision sombre : “Chloé est dans ses bras, paisible et légère contre sa poitrine.” Ce contraste met en relief le poids des souvenirs douloureux que porte le personnage, par opposition à la sérénité d’un enfant encore épargné par la mort.
Le personnage principal est hanté par la disparition de sa mère, un événement qui l’a précocement vieilli. Il se décrit ainsi : “sur la vitre se reflètent mon visage usé, mes traits tirés prématurément vieillis.” Il est évident que le chagrin a marqué son corps autant que son esprit. La mort de sa mère a façonné sa vision du monde, qu’il perçoit désormais comme une succession d’oppositions entre la vie et la mort. Cela transparaît dans l’image des transats : “Sur le balcon où je veille en surplomb de la plage, deux transats se font face.” En s’allongeant sur l’un d’eux, il semble choisir entre la vie et la mort, sans que son choix soit clairement exprimé.
Sa relation avec le temps est tout aussi troublée. Il avoue : “J’ai trente et un ans et ma vie commence. Je n’ai pas d’enfance.” Cette phrase révèle qu’il n’a jamais pu profiter de son enfance, devenue inexistante après la perte de sa mère. Pendant vingt ans, il a vécu dans une sorte de coma émotionnel, jusqu’à la naissance de sa fille Chloé, qui a redonné un sens à sa vie. Pourtant, même cette résurrection est teintée d’une mélancolie indépassable, symbolisée par l’anaphore : “Ma vie commence ainsi, perdue dans la nuit maritime.” Cette “nuit” et cet “infini” reflètent son sentiment de flottement dans un monde sans repères.
II. L’omniprésence poétique de la mort : un monde entre rêve et réalité
Dans le roman, Olivier Adam insuffle une poésie tragique qui enveloppe la mort d’une dimension quasi onirique. Le personnage principal évolue dans un monde où les frontières entre la vie et la mort deviennent floues. Cette ambiguïté transparaît dans des images saisissantes, comme : “Ici la nuit est profonde et noire comme le monde.” L’assimilation de la nuit au monde lui-même renforce l’idée d’une immersion totale dans la mort. En utilisant l’anaphore “profonde et noire”, Adam évoque un abîme duquel il est impossible de s’échapper. À travers les fantômes qui “dansent autour des flammes”, le personnage est rejoint par ceux qu’il a perdus, comme si la mort l’entourait en permanence, même au milieu du silence d’une plage déserte.
La mère du personnage hante son existence, apparaissant comme une figure à la fois fantomatique et poétique : “Ma mère marche sur la lande, comme une fée somnambule.” Cette comparaison à une fée somnambule reflète une image douce et irréelle, mais aussi tragique, puisqu’elle souligne son errance entre deux mondes. Le personnage lui-même semble pris au piège de cet entre-deux. La description minutieuse de l’allumage des bougies le jour de l’anniversaire de la mort de sa mère renforce cette impression : “Ma main plonge dans le plastique transparent, j’en sors de petits ronds d’aluminium remplis de cire blanche.” Le soin accordé à cette action banale confère une dimension presque rituelle à ce moment, comme si l’acte de mémoire était sacré.
Les métaphores liées à l’environnement renforcent cette fusion entre poésie et tragique. Ainsi, lorsque le personnage contemple la falaise, il voit “des fantômes, des corps chutant dans la lumière.” Cette image évoque la chute mortelle de sa mère et illustre l’impact indélébile de cette perte sur son imaginaire. La falaise, lieu de passage entre la terre et la mer, devient ici le symbole du basculement entre la vie et la mort. Même les éléments protecteurs, comme la couverture qui le protège du froid, sont chargés de symboles. Celle-ci incarne la chaleur de sa femme et de sa fille, qui seules l’empêchent de sombrer totalement dans le désespoir.
Le récit atteint son apogée poétique lorsque le personnage se tourne vers l’ouest, symbole de l’infini et de l’Océan Atlantique : “Mon regard se perd à l’ouest.” Cet horizon, vaste et indéfini, reflète son état émotionnel, où il est à la fois au bord de la noyade et attiré par cet infini inaccessible. Sa famille, figée dans l’ombre et le silence derrière lui, semble contaminée par sa mélancolie : “Claire et Chloé me regardent, la plus petite au creux de la plus grande, toutes deux figées dans le silence de la chambre d’hôtel.” Le champ lexical des fantômes montre à quel point la mort devient une obsession contagieuse qui affecte tout ce qu’il touche.
Ainsi, Olivier Adam fait de son personnage un anti-héros, un homme brisé et ordinaire dont les failles profondes le rendent universel. À travers une vision poétique de la mort, l’auteur nous invite à ressentir le tragique de l’existence, tout en créant une figure qui touche le lecteur par sa fragilité et sa proximité. C’est précisément cette combinaison de poésie et de tragédie qui transforme cet anti-héros en un héros du quotidien, miroir de nos propres failles et émotions.
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