Commentaire composé du portrait de Madame de Maintenon par Saint-Simon
Comment Saint-Simon dissimule-t-il une critique féroce sous un portrait flatteur ?
Introduction
Dans ses Mémoires, Saint-Simon dresse de nombreux portraits des figures de la cour de Louis XIV, souvent empreints d’une ironie acérée et d’une volonté de dénoncer les travers de l’aristocratie déclinante. Le portrait de Madame de Maintenon est particulièrement révélateur de cette approche. Issue d’une famille modeste, Madame de Maintenon a connu une ascension sociale spectaculaire pour devenir l’épouse secrète du Roi-Soleil. Saint-Simon, en aristocrate désabusé, observe avec amertume cette figure qui incarne à ses yeux la perte des valeurs traditionnelles de la noblesse. Sous des apparences de louanges, il dissimule une critique féroce et incisive, tant sur le plan personnel que social.
I) L’art du portrait : entre louanges et dissimulation
Saint-Simon excelle dans l’art du portrait, mêlant habilement des éléments flatteurs et des insinuations critiques. Dès le début du texte, il laisse transparaître un regard perçant, cherchant à dépasser les apparences pour révéler ce qu’il perçoit comme l’hypocrisie profonde de Madame de Maintenon. Il décrit son personnage comme une illusion incarnée : « tout n’était qu’illusion et hypocrisie ». Cette critique implicite est renforcée par des formules telles que « au double de fausseté », où l’hyperbole démasque la duplicité de son sujet.
Le texte repose sur une construction imagée et animée. Saint-Simon utilise des qualités abstraites, auxquelles il donne du mouvement grâce à des verbes dynamiques : cette animation confère au portrait une dimension vivante, mais aussi insidieuse. L’exagération domine, notamment à travers des hyperboles : « flatteuse, insinuante, complaisante, cherchant toujours à plaire. » Ces termes, qui pourraient être des qualités dans un autre contexte, deviennent ici des critiques déguisées, révélant une personnalité intéressée et manipulatrice.
Même dans ses compliments apparents, Saint-Simon dissimule son mépris. Par exemple, lorsqu’il affirme qu’elle était « flatteuse, insinuante, complaisante », ces qualités deviennent des armes qu’elle utilise pour manipuler autrui. Le portrait à charge s’appuie donc sur des louanges empoisonnées, où chaque éloge dissimule un défaut moral. Madame de Maintenon est ainsi présentée comme une femme qui s’attache aux autres non par affection, mais par pur intérêt.
II) La cruauté de la peinture : un portrait à charge déguisé
Saint-Simon ne se limite pas à critiquer Madame de Maintenon en tant qu’individu : il en fait une figure symbolique du bouleversement social qui heurte les valeurs aristocratiques qu’il défend. Sa description est imprégnée d’une cruauté systématique, où chaque qualité supposée est immédiatement contredite par un défaut.
Il insiste notamment sur son goût du pouvoir, qu’il associe à une ambition démesurée. Il évoque son âge pour souligner son déclin : « elle avait quatre ans de plus que le roi. » Ce détail, en apparence anodin, sert à la rabaisser, en rappelant qu’elle est désormais une femme vieillissante, loin de l’éclat de sa jeunesse. Saint-Simon n’hésite pas à évoquer un passé glorieux pour mieux souligner la chute : « C'était une femme de beaucoup d'esprit, que les meilleures compagnies, où elle avait d'abord été soufferte. » Ce compliment initial est immédiatement nuancé par une remarque acerbe sur le fait qu’elle n’était que « tolérée » dans ces cercles.
La question de ses origines est également centrale dans la critique de Saint-Simon. Il rappelle à plusieurs reprises sa « bassesse », une attaque récurrente dans ses Mémoires. Pour Saint-Simon, Madame de Maintenon incarne une transgression des hiérarchies sociales : son ascension sociale est une atteinte aux principes immuables de la noblesse. Cette origine modeste devient une explication des défauts qu’il lui attribue : hypocrisie, ambition, et manipulation. Ainsi, la bassesse sociale, dans l’esprit de Saint-Simon, justifie la bassesse morale.
La description de Madame de Maintenon comme un personnage hypocrite et versatile achève de dresser un portrait accablant. Saint-Simon insiste sur son opportunisme : « Rien de si dangereux que cette facilité à changer d'amitié et de confiance. » Ces variations, qu’il présente comme des stratégies pour asseoir son pouvoir, renforcent l’image d’une femme fausse, dissimulée derrière « le vernis de l’importance ».
Conclusion
Le portrait que Saint-Simon dresse de Madame de Maintenon illustre son habileté à dissimuler une critique acerbe sous des apparences flatteuses. Chaque éloge est teinté d’une ironie mordante, chaque qualité est immédiatement contredite par un défaut. En ciblant à la fois la personnalité et les origines sociales de Madame de Maintenon, Saint-Simon livre une double critique : celle d’une femme qu’il juge manipulatrice et ambitieuse, et celle d’un bouleversement social qui heurte les principes de sa classe. Madame de Maintenon sort ainsi « rétrécie » de ce portrait, qui reflète autant les griefs personnels de Saint-Simon que son amertume face au déclin de la noblesse traditionnelle.
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