Commentaire composé du poème Vents de Saint John Perse
Texte
Vents, I-1, Saint-John Perse
C’étaient de très grands vents sur toutes faces de ce monde,
De très grands vents en liesse par le monde, qui n’avaient d’aire ni de gîte,
Qui n’avaient garde ni mesure, et nous laissaient, hommes de paille,
En l’an de paille sur leur erre… Ah ! oui, de très grands vents sur toutes faces de vivants !
Flairant la pourpre, le cilice, flairant l’ivoire et le tesson, flairant le monde entier des choses,
Et qui couraient à leur office sur nos plus grands versets d’athlètes, de poètes,
C’étaient de très grands vents en quête sur toutes pistes de ce monde,
Sur toutes choses saisissables, parmi le monde entier des choses…
Et d’éventer l’usure et la sécheresse au cœur des hommes investis,
Voici qu’ils produisaient ce goût de paille et d’aromates, sur toutes places de nos villes,
Comme au soulèvement des grandes dalles publiques. Et le cœur nous levait
Aux bouches mortes des Offices. Et le dieu refluait des grands ouvrages de l’esprit.
Car tout un siècle s’ébruitait dans la sécheresse de sa paille, parmi d’étranges désinences : à bout de cosses, de siliques, à bout de choses frémissantes
comme un grand arbre sous ses hardes et ses haillons de l’autre hiver, portant livrée de l’année morte;
Comme un grand arbre tressaillant dans ses crécelles de bois mort et ses corolles de terre cuite –
Très grand arbre mendiant qui a fripé son patrimoine, face brûlée d’amour et de violence où le désir encore va chanter.
Commentaire composé
Comment le poète arrive-t-il à donner vie à son poème ?
I) Comment le poète rend-il le vent vivant ?
Dans ce poème, le vent est personnifié et décrit comme une entité animée, dynamique et omniprésente. Dès le début, il est présenté comme un acteur joyeux et en mouvement constant : « De très grands vents en liesse par le monde, qui n’avaient d’aire ni de gîte. » Cette image d’un vent sans repos, traversant sans contrainte le monde, le dote d’une personnalité libre et insaisissable. L’idée de liesse renforce cette vitalité : le vent est une force festive, comme s’il célébrait sa propre existence.
Le vent, pourtant, n’est pas toujours bienveillant. Le poète souligne son impétuosité : « Qui n’avaient garde ni mesure, et nous laissaient, hommes de paille. » Les hommes, impuissants face à cette force naturelle, sont comparés à des « hommes de paille », une image qui reflète leur fragilité et leur incapacité à rivaliser avec le vent.
Pour rendre le vent encore plus vivant, le poète joue avec les sonorités et les allitérations. Dans « Ah ! oui, de très grands vents sur toutes faces de vivants ! », l’assonance en [an] et la proximité sonore entre « vents » et « vivants » contribuent à une musicalité qui imite le souffle du vent. Les allitérations en [s] et [f], comme dans « flairant la pourpre, le cilice, flairant l’ivoire et le tesson », rappellent son sifflement et sa présence omniprésente.
La description du vent s’appuie aussi sur ses interactions avec le monde. Il est « en quête sur toutes pistes de ce monde » et touche « toutes choses saisissables. » Ces formulations soulignent son rôle actif, presque curieux, comme s’il explorait chaque recoin de la Terre. Par cette quête incessante, le vent acquiert une mission quasi philosophique : il devient une force symbolisant la recherche de sens ou d’harmonie.
Enfin, le poète reproduit les bruits et mouvements du vent à travers des images détaillées : « Comme un grand arbre tressaillant dans ses crécelles de bois mort. » Ici, les branches d’un arbre sec et ses bruits rappellent les craquements que le vent provoque. Ces évocations rendent sa présence tangible pour le lecteur, qui peut presque entendre et ressentir cette force invisible.
II) Comment le poète joue-t-il sur les différentes significations des mots ?
Le poète enrichit son évocation du vent en jouant sur la polysémie et les doubles sens des mots, liant ainsi plusieurs interprétations symboliques à cette force insaisissable.
La personnification du vent est omniprésente, comme dans « C’étaient de très grands vents sur toutes faces de ce monde. » Le mot « faces » peut être interprété de plusieurs manières : il désigne à la fois les deux côtés de la Terre (jour et nuit) et les visages des hommes, sur lesquels le vent souffle. Cette pluralité de significations fait du vent une force universelle, touchant à la fois la géographie et l’intime.
Le jeu sur les sonorités et les homonymes accentue cette richesse. Dans « Ah ! oui, de très grands vents sur toutes faces de vivants ! », le mot « oui » peut être entendu comme « ouïe », invitant le lecteur à écouter le bruit du vent. Plus loin, dans « en l’an de paille sur leur erre », le mot « erre » joue sur son double sens : il peut désigner un espace ou rappeler son homonyme « air », renforçant l’idée du vent comme élément omniprésent.
Les actions du vent sont également décrites avec des termes ambigus et riches de symboles. Dans « flairant la pourpre, le cilice, flairant l’ivoire et le tesson », le vent semble explorer le monde à travers ses odeurs, accumulant les expériences sensorielles. Cette quête fait de lui une métaphore de l’esprit humain, avide de connaissances et de découvertes.
Le poète relie également le vent à l’inspiration créatrice. Lorsqu’il écrit : « Et qui couraient à leur office sur nos plus grands versets d’athlètes, de poètes », il compare l’action du vent à celle des poètes et des athlètes, figures de dépassement de soi. Le vent devient ici le symbole de l’idée, de l’inspiration qui traverse l’esprit du poète et le pousse à écrire. Cette idée est renforcée dans « le cœur nous levait / Aux bouches mortes des Offices », où le mot « office » renvoie à la fois à l’activité du poète et à une cérémonie religieuse, soulignant la dimension spirituelle du souffle créateur.
Enfin, le vent est associé au divin, en particulier au Saint-Esprit. Le mot « éventer », employé de manière détournée, évoque ici une purification spirituelle : « Et d’éventer l’usure et la sécheresse au cœur des hommes investis. » Ce vent symbolique, porteur de foi et de renouveau, agit comme un messager divin, transportant l’amour de Dieu et ravivant les cœurs secs.
Conclusion
Dans ce poème mystique, le poète donne vie au vent en le personnifiant et en jouant sur les sons et les images pour en faire une force tangible et universelle. À travers des descriptions vivantes et des jeux sur la polysémie, le vent devient une métaphore de l’inspiration, de l’amour divin et de la quête humaine de sens. Loin d’être une simple évocation de la nature, ce poème fait du vent une figure spirituelle, à la fois guide et messager, qui relie les hommes au divin. Par ce souffle poétique, le poète transcende le réel pour toucher à l’essence même de l’existence et de la foi.
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