Commentaire composé de Voltaire, De l'horrible danger de la lecture

Commentaire composé de Voltaire, De l'horrible danger de la lecture

Commentaire composé

En quoi cette critique ironique de l'ignorance provoquée par la religion diffuse-t-elle les principes des Lumières ?

 

I) L’ironie

Voltaire, dans ce texte, adopte le ton de l’ironie pour dénoncer l’ignorance imposée par la religion et ses institutions. Dès la première phrase, le faux muphti, qui se présente comme « lumière des lumières » et bénit les fidèles avec un souhait ironique de « sottise et bénédiction », expose le décalage entre l’apparente grandeur de son rôle et la vacuité de ses propos. Ce contraste ironique souligne le ridicule de ce personnage fictif, porte-parole des abus religieux.

Le muphti condamne ensuite l’imprimerie, qu’il qualifie de « pernicieux usage », et la présente comme une invention dangereuse. En attribuant cette condamnation à un chef religieux, Voltaire dénonce de façon détournée l’opposition des institutions religieuses à la diffusion du savoir. L’ironie culmine lorsqu’il affirme que l’imprimerie risquerait de « dissiper l’ignorance, qui est la gardienne et la sauvegarde des États bien policés ». L’ignorance, ici exaltée comme un pilier de la société, est en réalité le moyen par lequel les autorités maintiennent leur domination.

L’absurdité de cette position est renforcée par des arguments grotesques : selon le muphti, l’imprimerie pourrait mener à des livres d’histoire « dégagés du merveilleux », et à des idées comme « l’équité et l’amour de la patrie », présentées comme contraires aux droits religieux. Loin d’un simple jeu rhétorique, ces critiques visent directement l’obscurantisme religieux et politique qui empêche la quête de justice et de progrès.

Voltaire pousse l’ironie encore plus loin en imaginant les conséquences absurdes de la diffusion du savoir : des lecteurs qui, en s’informant sur la médecine, « se garantiraient de la peste », un acte que le muphti qualifie de « scandaleux » car allant à l’encontre des « ordres de la Providence ». En tournant en ridicule l’opposition au progrès scientifique, Voltaire met en lumière la cruauté de ceux qui préfèrent sacrifier des vies au nom de la tradition.

Enfin, l’interdiction ultime décrétée par le muphti, « de penser », et l’ordre de « dénoncer quiconque aurait prononcé quatre phrases liées ensemble », parachèvent cette satire. La défense de l’ignorance et de l’incohérence devient un outil d’oppression dans cette caricature, où le ridicule des interdictions imposées illustre la critique des abus religieux et politiques.

 

II) La critique de la monarchie

Au-delà de la religion, Voltaire élargit sa critique à la monarchie absolue et à son contrôle des populations. Le faux muphti, en s’appuyant sur les avis des « cadis et imans », incarne une caricature des rois de droit divin, qui justifient leur pouvoir absolu par la volonté divine. À travers cet intermédiaire religieux, Voltaire critique la fusion entre pouvoir spirituel et pouvoir temporel, qui vise à maintenir le peuple dans l’ignorance et la soumission.

L’attaque contre la censure royale est particulièrement marquée lorsque le muphti déclare que « communiquer ses pensées tend à dissiper l’ignorance », laquelle est présentée comme un élément essentiel au bon fonctionnement des États. Ce passage, sous couvert d’ironie, dénonce l’Inquisition et la censure exercées par les monarques européens, notamment en France, pour contrôler les esprits et empêcher toute remise en question de leur autorité.

Voltaire tourne également en dérision les peurs des élites face à l’éducation des masses. Le muphti craint que des livres sur « l’agriculture et les moyens de perfectionner les arts mécaniques » ne « réveillent le génie » des cultivateurs et des manufacturiers. Cette satire des élites monarchiques souligne leur opposition au progrès économique et social, par crainte de perdre leur domination. Voltaire utilise ici un paradoxe : les cultivateurs, analphabètes dans la réalité, sont présentés comme potentiellement éclairés grâce à l’imprimerie.

De même, la personnification de « l’idée », que le muphti souhaite faire « saisir […] pieds et poings liés », renvoie à la pratique des lettres de cachet, utilisées par les rois pour emprisonner sans procès. Voltaire dénonce ainsi la répression des idées nouvelles, notamment celles des philosophes des Lumières, persécutés pour avoir osé défier l’ordre établi.

Enfin, le rôle du « premier médecin de Sa Hautesse », qui a « déjà tué quatre personnes augustes », illustre une satire des institutions corrompues. En confiant la tâche de prévenir l’introduction du savoir à un personnage incompétent et cynique, Voltaire critique l’hypocrisie des élites qui se soucient davantage de conserver leur pouvoir que du bien-être des populations.

 

III) La diffusion des idées des Lumières

En utilisant l’ironie pour critiquer l’ignorance imposée par la religion et la monarchie, Voltaire diffuse les principes fondamentaux des Lumières. La dénonciation de l’obscurantisme et l’éloge implicite du savoir apparaissent à travers les arguments absurdes du muphti. Lorsque ce dernier craint que les livres n’éveillent « l’amour du bien public » ou « l’équité », Voltaire invite au contraire ses lecteurs à voir dans ces valeurs le fondement d’une société éclairée et juste.

De même, la peur des « misérables philosophes », accusés de vouloir « éclairer les hommes et les rendre meilleurs », met en lumière le rôle des Lumières dans la lutte contre l’ignorance. Ces philosophes, persécutés et contraints à l’exil, sont en réalité les artisans d’un progrès moral et intellectuel que Voltaire appelle de ses vœux.

Le texte condamne aussi la manipulation des masses par la peur. L’interdiction faite aux parents d’apprendre à lire à leurs enfants, sous prétexte d’éviter « la tentation diabolique de s’instruire », illustre comment l’ignorance est utilisée pour maintenir la population dans l’obéissance. À travers cette dénonciation, Voltaire appelle à une éducation universelle et libératrice, qui constitue l’un des piliers des Lumières.

Enfin, en se plaçant dans la peau d’un faux muphti, Voltaire échappe à la censure tout en exposant les abus des régimes autoritaires. Ce procédé original lui permet de critiquer indirectement la monarchie absolue et de promouvoir les idées des Lumières auprès d’un large public.

 

Conclusion

Dans ce texte, Voltaire utilise l’ironie pour critiquer l’ignorance imposée par la religion et la monarchie, tout en diffusant les idées des Lumières. En dénonçant l’obscurantisme, la censure et la manipulation des masses, il appelle à un monde où le savoir et la raison triomphent. À travers son faux muphti, Voltaire prouve que l’humour peut être une arme puissante pour éclairer les esprits et combattre les injustices.


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