Commentaire composé du portrait de Quasimodo dans Notre-Dame de Paris de Victor Hugo

Commentaire composé du portrait de Quasimodo dans Notre-Dame de Paris de Victor Hugo

Texte

Paris, 6 janvier 1482, jour des Rois et fête des Fous. Le public, initialement rassemblé pour assister à la représentation de la pièce de Gringoire, se découvre plus d'entrain pour un théâtre de grimaces avec élection du pape des fous. Les candidats se succèdent sous les rires, vient le tour de Quasimodo…

 

Il fallut que Gringoire se contentât de cet éloge : car un tonnerre d'applaudissements, mêlé à une prodigieuse acclamation, vint couper court à leur conversation. Le pape des fous était élu.

– Noël ! Noël ! Noël ! criait le peuple de toutes parts. C'était une merveilleuse grimace, en effet, que celle qui rayonnait en ce moment au trou de la rosace. Après toutes les figures pentagones, hexagones et hétéroclites qui s'étaient succédé à cette lucarne sans réaliser cet idéal du grotesque qui s'était construit dans les imaginations exaltées par l'orgie, il ne fallait rien moins, pour enlever les suffrages, que la grimace sublime qui venait d'éblouir l'assemblée. Maître Coppenole lui-même applaudit ; et Clopin Trouillefou, qui avait concouru (et Dieu sait quelle intensité de laideur son visage pouvait atteindre), s'avoua vaincu. Nous ferons de même. Nous n'essaierons pas de donner au lecteur une idée de ce nez tétraèdre, de cette bouche en fer à cheval, de ce petit œil gauche obstrué d'un sourcil roux en broussailles, tandis que l'œil droit disparaissait entièrement sous une énorme verrue ; de ces dents désordonnées, ébréchées çà et là, comme les créneaux d'une forteresse ; de cette lèvre calleuse, sur laquelle une de ces dents empiétait comme la défense d'un éléphant ; de ce menton fourchu ; et surtout de la physionomie répandue sur tout cela ; de ce mélange de malice, d'étonnement et de tristesse. Qu'on rêve, si l'on peut, cet ensemble.

L'acclamation fut unanime ; on se précipita vers la chapelle. On en fit sortir en triomphe le bienheureux pape des fous. Mais c'est alors que la surprise et l'admiration furent à leur comble ; la grimace était son visage.

 

Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, I, 5


Commentaire composé

Comment Victor Hugo, dans ce passage, construit-il une description romantique de l’élection du pape des Fous, suscitant ainsi la pitié du lecteur tout en le repoussant avec horreur ?

 

I) Un portrait horrible et pitoyable

Victor Hugo propose un portrait saisissant de Quasimodo, à la fois repoussant et touchant. La description physique du personnage insiste d’abord sur son horreur, mettant en avant des traits exagérés qui suscitent le malaise chez le lecteur. Ainsi, son « petit œil gauche obstrué d’un sourcil roux en broussailles » évoque une difformité presque diabolique, renforcée par l’association symbolique de la couleur rouge au mal. Le sourcil, tel une marque de Satan, s’ajoute à d’autres éléments grotesques comme « l’œil droit [qui] disparaissait entièrement sous une énorme verrue » ou encore « ce menton fourchu », des traits associés traditionnellement aux sorcières et à la difformité monstrueuse.

La comparaison de ses dents « désordonnées, ébréchées çà et là, comme les créneaux d’une forteresse » renforce encore cette impression de laideur en mêlant le grotesque et l’imaginaire architectural. L’image suggère une sorte de défense ratée : même sa bouche, qui pourrait symboliquement le protéger, devient un objet de moquerie. Sa « lèvre calleuse » et « cette dent [qui] empiétait comme la défense d’un éléphant » achèvent de construire un personnage dont l’apparence inspire le rejet par son étrangeté et sa disproportion.

Cependant, derrière cette horreur se dessine un portrait pitoyable, qui éveille la compassion du lecteur. Hugo fait de Quasimodo un être marqué par une souffrance profonde, visible dans « ce mélange de malice, d’étonnement et de tristesse » qui transparaît sur son visage. Cette expression humaine contraste avec la monstruosité physique et rappelle que Quasimodo est avant tout une victime. Par ailleurs, ses traits difformes, tels « ce nez tétraèdre » ou « cette bouche en fer à cheval », traduisent une condition douloureuse qui l’exclut du reste de l’humanité. Le narrateur pousse ainsi le lecteur à ressentir, au-delà de l’horreur, une pitié sincère pour ce personnage rejeté par tous.

 

II) Une scène de roman romantique

Cette scène s’inscrit pleinement dans l’esthétique romantique, notamment par les procédés d’exagération qui amplifient l’impact émotionnel et esthétique du passage. L’hyperbole est omniprésente dès les premières lignes : « un tonnerre d’applaudissements », « une prodigieuse acclamation », autant d’expressions qui soulignent l’ampleur de l’événement et de la réaction de la foule. Le discours direct, « Noël ! Noël ! Noël ! criait le peuple de toutes parts », donne un rythme vif et immédiat à la scène, immergeant le lecteur dans une marée humaine bruyante et agitée.

L’oxymore « une merveilleuse grimace » reflète l’ambivalence romantique entre le sublime et le grotesque, deux notions que Victor Hugo affectionne particulièrement. En décrivant Quasimodo comme un être dont la laideur atteint un paroxysme fascinant, l’auteur célèbre une esthétique nouvelle où la difformité peut devenir une forme d’art. Cette idée est également mise en valeur par la gradation : « pentagones, hexagones et hétéroclites », qui énumère les formes grotesques de grimaces pour finalement couronner Quasimodo, dont l’expression dépasse toutes les autres.

Le narrateur lui-même s’implique fortement pour influencer la perception du lecteur. Par exemple, lorsqu’il évoque « cet idéal du grotesque qui s’était construit dans les imaginations exaltées par l’orgie », il interprète les attentes de la foule et souligne l’enthousiasme presque démesuré pour ce type de spectacle. En qualifiant la grimace de Quasimodo de « sublime », il va jusqu’à suggérer que cette laideur extrême touche au divin, comme si elle était une création parfaite dans son imperfection.

Enfin, Hugo utilise des figures de style pour donner un ton onirique à la scène, propre au romantisme. La prétérition, « Nous n’essaierons pas de donner au lecteur une idée de », suivie d’une longue description détaillée, pousse le lecteur à imaginer cette laideur par lui-même, renforçant ainsi son effet. De même, lorsqu’il écrit « Qu’on rêve, si l’on peut, cet ensemble », Hugo transforme la laideur en un objet de contemplation esthétique, mêlant horreur et admiration.

 

Conclusion

À travers la description de l’élection du pape des Fous, Victor Hugo parvient à susciter des émotions contradictoires chez le lecteur. Il dresse un portrait de Quasimodo à la fois monstrueux et émouvant, mêlant horreur et pitié dans un équilibre propre à l’esthétique romantique. En exaltant la laideur de son personnage jusqu’à la rendre sublime, il brouille les frontières entre le beau et le grotesque, tout en dénonçant implicitement la cruauté de la foule qui se réjouit de cette humiliation publique. Cette scène illustre ainsi le génie de Victor Hugo, qui fait d’un moment grotesque et cruel un tableau profondément humain et universel.


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Commentaires: 2
  • #1

    Jennie. L (dimanche, 19 juillet 2020 22:00)

    Je comprends mieux le texte après avoir lu ces explications. Merci !

  • #2

    Sioen J-P (lundi, 16 janvier 2023 20:36)

    Seule Esmeralda est à ses cotés digne de lui ; avec une fleur qu’il a cueillie dans les recoins des gouttières de ND de Paris pour exprimer la beauté la pureté l’amour …. SUBLIME