Commentaire composé de Jean Giono, Un Roi sans divertissement, le portrait de madame Tim
Texte
[…] Mme Tim était abondamment grand-mère. Les filles occupaient aussi des situations dans les plaines, en bas autour.
A chaque instant, sur les chemins qui descendaient de Saint-Baudille on voyait partir le messager et, sur les chemins qui montaient à Saint-Baudille, on voyait monter ensuite des cargaisons de nourrices et d’enfants. L’aînée à elle seule en avait six. Le messager de Mme Tim avait toujours l’ordre de faire le tour des trois ménages et de tout ramasser.
C’étaient, alors, des fêtes à n’en plus finir : des goûters dans le labyrinthe de buis1; des promenades à dos de mulets dans le parc ; des jeux sur les terrasses et, en cas de pluie, pour calmer le fourmillement de jambes de tout ce petit monde, des sortes de bamboulas2dans les grands combles3du château dont les planchers grondaient alors de courses et de sauts, comme un lointain tonnerre.
Quand l’occasion s’en présentait, soit qu’on revienne de Mens (dont la route passe en bordure d’un coin de parc), soit que ce fût pendant une journée d’automne, au retour d’une petite partie de chasse au lièvre, c’est -à-dire quand on était sur les crêtes qui dominent le labyrinthe de buis et les terrasses, on ne manquait pas de regarder tous ces amusements. D’autant que Mme Tim était toujours la tambour-major4.
Elle était vêtue à l’opulente d’une robe de bure5, avec des fonds énormes qui se plissaient et se déplissaient autour d’elle à chaque pas, le long de son corps de statue. Elle avait du corsage et elle l’agrémentait de jabots de linon6. A la voir au milieu de cette cuve d’enfants dont elle tenait une grappe dans chaque main, pendant que les autres giclaient autour d’elle, on l’aurait toute voulue. Derrière elle, les nourrices portaient encore les derniers-nés dans des cocons blancs. Ou bien, en se relevant sur la pointe des pieds et en passant la tête par-dessus la haie, on la surprenait au milieu d’un en-cas champêtre, distribuant des parts de gâteaux et des verres de sirop, encadrée, à droite, d’un laquais (qui était le fils Onésiphore de Prébois) vêtu de bleu, portant le tonnelet d’orangeade et, à gauche, d’une domestique femme (qui était la petite fille de la vieille Nanette d’Avers), vêtue de zinzolins7et de linge blanc, portant le panier à pâtisserie. C’était à voir !
1- Buis : arbuste.
2- Bamboula : fête.
3- Combles : espaces compris entre le dernier étage de la demeure et le toit.
4- Tambour-major : grade militaire (sous- officier qui commande les tambours et les clairons d’un régiment) donné ici, de façon plaisante, à Mme Tim qui commande tout.
5- Bure : étoffe de laine brune.
6- Jabots de linon : ornements de tissu qui s’étalent sur la poitrine.
7- Zinzolins : tissus d’un violet rougeâtre.
Commentaire composé
Comment le narrateur rend-il le personnage maternel vivant et attachant ?
I) Une femme à la fois belle et élégante
Le narrateur donne de Mme Tim une image qui inspire immédiatement l’admiration, tant par sa beauté que par son élégance. Elle est décrite comme une femme majestueuse, dont le physique impressionne. L’expression « le long de son corps de statue » compare son corps à une œuvre d’art, suggérant des proportions harmonieuses et idéales. Cette métaphore sculpturale confère à Mme Tim une allure noble et intemporelle. De plus, son physique évoque une féminité maternelle, comme le souligne l’expression « elle avait du corsage », qui fait allusion à une poitrine généreuse. Cette caractéristique, associée à l’image de la mère nourricière, souligne son rôle de matrone ayant donné la vie à de nombreux enfants.
Son élégance est également mise en valeur par le soin qu’elle apporte à sa tenue. Elle est décrite comme « vêtue à l’opulente d’une robe de bure, avec des fonds énormes qui se plissaient et se déplissaient autour d’elle à chaque pas ». Ce détail attire l’attention sur la qualité et le mouvement de ses vêtements, accentuant son charisme naturel. De plus, elle « agrémentait [sa robe] de jabots de linon », un détail qui témoigne de son goût pour les parures délicates. Par cette description, le narrateur fait de Mme Tim une figure imposante, à la fois sophistiquée et accessible.
II) Un décor de fête
La vie qui émane de Mme Tim ne se limite pas à sa personne, mais s’étend au décor joyeux et effervescent qui l’entoure. Elle est toujours entourée de ses petits-enfants, dans un cadre animé par des activités festives et enfantines. Le mouvement incessant des enfants est omniprésent : « des cargaisons de nourrices et d’enfants » envahissent les lieux, comme une vague inarrêtable. L’utilisation du mot « cargaison », emprunté au domaine du transport, donne une idée d’abondance et de flux continu, renforçant l’image d’un environnement grouillant de vie. De même, « les planchers grondaient alors de courses et de sauts » décrit le château comme vibrant au rythme des jeux d’enfants, presque comme un organisme vivant.
Les fêtes qu’elle organise pour ses petits-enfants renforcent encore cette impression de mouvement et de bonheur partagé. Les goûters dans le « labyrinthe de buis » ou les « promenades à dos de mulets dans le parc » transforment leur quotidien en un véritable univers magique. Mme Tim est alors décrite comme une figure centrale et bienveillante, distribuant gâteaux et sirops, entourée de domestiques vêtus de manière festive : « C’était à voir ! ». Ce foisonnement de couleurs, de saveurs et de rires transporte le lecteur dans un monde d’enfance idéalisé, où tout semble possible.
III) La complicité entre les enfants et la grand-mère
Au-delà de son rôle de mère nourricière et de cheffe d’orchestre des festivités, Mme Tim se distingue par la complicité qu’elle partage avec ses petits-enfants. Elle incarne une grand-mère universelle et rassembleuse. L’expression « Mme Tim était abondamment grand-mère » en fait presque un archétype. Le mot « abondamment », inhabituellement associé à un nom, traduit son caractère hors norme et son aptitude à incarner toutes les qualités associées à la figure maternelle.
Cette supériorité symbolique est renforcée par des expressions qui la placent au sommet d’une hiérarchie familiale. Elle est « la tambour-major », la meneuse incontestée de cette joyeuse tribu. Les enfants, comparés à une « cuve d’enfants dont elle tenait une grappe dans chaque main », sont décrits comme un prolongement de son énergie vitale, formant un tout animé par sa présence. Cette métaphore, empruntée au domaine du vin, associe son rôle à une source de plaisir et de convivialité, rappelant l’idée de fête et de partage.
Par ailleurs, Mme Tim se montre particulièrement attentive au bonheur des enfants, qui sont au centre de toutes les attentions. Ils vivent dans un véritable paradis où tout leur est permis, comme en témoigne cette description : « C’étaient, alors, des fêtes à n’en plus finir : des goûters dans le labyrinthe de buis ; des promenades à dos de mulets dans le parc ; des jeux sur les terrasses et, en cas de pluie, des sortes de bamboulas dans les grands combles du château. » Le choix de termes comme « fêtes » ou « bamboulas » traduit la profusion et l’excès des plaisirs qui leur sont offerts, dans un cadre hors du commun. Cette générosité et cette dévotion de Mme Tim envers ses petits-enfants la rendent d’autant plus attachante.
Conclusion
À travers son portrait vivant et lumineux, le narrateur fait de Mme Tim une figure maternelle exceptionnelle. Sa beauté, son élégance et sa présence au sein de cet univers enfantin en perpétuel mouvement en font un personnage presque mythique, mais profondément humain. Sa complicité avec les enfants, son rôle de matrone et l’énergie festive qu’elle insuffle dans son entourage la rendent particulièrement attachante, à la fois pour les enfants de la fable et pour le lecteur, qui ne peut rester insensible à ce personnage vibrant de vie.
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