Commentaire composé de la fable "Le chat et les lapins" de Fénelon

Commentaire composé de la fable "Le chat et les lapins" de Fénelon

Comment le fabuliste porte-t-il une réflexion sur l’exercice du pouvoir à travers un récit plaisant qui met en scène un animal hypocrite ?

 

I) La structure de la fable

La fable repose sur une structure classique qui, grâce à une narration captivante, permet d’introduire une réflexion critique. Elle commence par une situation initiale intrigante : « Un chat, qui faisait le modeste, était entré dans une garenne peuplée de lapins. » Dès cette première phrase, le lecteur pressent un danger imminent, car la cohabitation entre un chat et des lapins, naturellement vulnérables, est inconcevable sans péripéties.

Très vite, le récit s’anime. « Aussitôt toute la république alarmée ne songea qu’à s’enfoncer dans ses trous » marque le début des péripéties, où la panique des lapins les pousse à fuir. Mais le chat, personnage rusé et manipulateur, parvient à tromper leurs représentants : « Les députés, simples et crédules, retournèrent dire à leurs frères que cet étranger […] était un philosophe, sobre, désintéressé, pacifique. » Grâce à un discours enjôleur, le chat gagne la confiance des lapins, malgré les avertissements d’un vieux lapin sage : « En vain un vieux lapin rusé, qui était le docteur de la troupe, représenta combien ce grave philosophe lui était suspect. » Cette opposition entre la naïveté collective et la sagesse solitaire met en lumière le caractère universel du récit, qui dépasse le simple cadre animalier.

La situation finale offre un dénouement moral. Le chat, après avoir trompé et massacré les lapins : « qui étrangla du premier salut sept ou huit de ces pauvres gens », est finalement abattu par un berger, alerté par un lapin agile. Cette conclusion souligne le danger de l’hypocrisie et la justice inévitable qui finit par rattraper les trompeurs.

La morale est claire : « Quand on a une fois trompé, on ne peut plus être cru de personne ; on est haï, craint, détesté, et on est enfin rattrapé par ses propres finesses. » Cette leçon s’applique autant aux personnages de la fable qu’à la société humaine, où la trahison entraîne des conséquences irréversibles.

 

II) L’utilisation des animaux apporte de la gaieté

La mise en scène des lapins et du chat dans cette fable renforce le plaisir du récit tout en adoucissant la gravité de son message. Les lapins, en tant que personnages collectifs, sont décrits de manière à provoquer l’amusement du lecteur. Leur panique, dès l’apparition du chat, est illustrée avec humour : « Aussitôt toute la république alarmée ne songea qu’à s’enfoncer dans ses trous. » L’emploi de termes politiques comme « république » pour parler d’une communauté de lapins ajoute une dimension comique et satirique à la fable.

Leur naïveté est également source de divertissement. Lorsqu’ils négocient avec le chat, ils prennent soin de ne pas s’approcher trop près : « Aussitôt les lapins entrent en négociation avec lui, sans se mettre néanmoins à la portée de sa griffe. » Ce mélange de prudence et de crédulité illustre leur maladresse face au danger. De même, les descriptions exagérées des compliments qu’ils adressent au chat (« si vénérable par son maintien modeste et par sa majestueuse fourrure ») renforcent leur caractère naïf et ridiculement docile.

Le chat, quant à lui, est présenté comme un personnage hypocrite et manipulateur, mais également comique. Son comportement et ses discours exagérés suscitent à la fois l’amusement et la méfiance du lecteur. Dès le début, il est décrit comme « un chat, qui faisait le modeste », une image inhabituelle et décalée qui intrigue. Ses protestations, telles que « qu’il n’avait fait ce meurtre que malgré lui, pour son pressant besoin », montrent son habileté à justifier l’injustifiable tout en faisant sourire par leur absurdité.

L’ironie omniprésente, notamment dans les dialogues du chat, ajoute une légèreté au récit tout en mettant en lumière son hypocrisie. L’emploi d’un langage élaboré, comme lorsqu’il se présente comme un « philosophe, sobre, désintéressé, pacifique », contraste avec ses intentions prédatrices, rendant son personnage encore plus plaisant et ridicule.

 

III) Une réflexion sur l’exercice du pouvoir

Au-delà de l’aspect plaisant, la fable offre une critique mordante de l’exercice du pouvoir et de la manipulation politique. Les lapins, en tant que représentants du peuple ou des députés, sont dépeints comme faibles et incapables de résister aux stratégies des hommes de pouvoir. Leur première réaction face au danger est révélatrice : « Aussitôt toute la république alarmée ne songea qu’à s’enfoncer dans ses trous. » Ce comportement illustre leur incapacité à faire face aux crises, préférant se cacher plutôt que de prendre des décisions courageuses.

La crédulité des lapins est également une critique implicite des élites politiques, prêtes à croire n’importe quel discours bien tourné : « Les députés, simples et crédules, retournèrent dire à leurs frères que cet étranger […] n’avait garde de croquer les lapins. » Leur confiance aveugle en des apparences flatteuses reflète les dangers d’un pouvoir naïf et mal informé.

Le chat, quant à lui, incarne les hommes de pouvoir hypocrites et manipulateurs. Son discours enjôleur et ses mensonges habiles symbolisent les stratégies utilisées pour séduire et dominer les autres. Dès le début, il se présente comme modeste et inoffensif, mais ses actions démontrent le contraire : « Alors dom Mitis revint à l’entrée du terrier, protestant, d’un ton plein de cordialité, qu’il n’avait fait ce meurtre que malgré lui. » Cette capacité à justifier ses actes, même après avoir commis des crimes, est une critique directe des pratiques politiques malhonnêtes.

Enfin, la fable dénonce les conséquences inévitables de l’hypocrisie au pouvoir. La chute du chat, tué par le berger, illustre que la manipulation et la trahison finissent toujours par être punies. Le berger, bien qu’il soit lui-même un prédateur, incarne ici une sorte de justice divine, mettant fin au règne du chat.

 

Conclusion

En mettant en scène des animaux dans une situation amusante et absurde, le fabuliste parvient à dissimuler une critique acerbe du pouvoir et de ses dérives. Les lapins naïfs et le chat hypocrite deviennent des symboles universels des jeux politiques et des dangers de la manipulation. La structure plaisante de la fable, combinée à une réflexion profonde, fait de ce récit un outil efficace pour dénoncer les travers de la société, tout en divertissant le lecteur.


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