Commentaire composé sur L'Espoir de Malraux chapitre 1 incipit
Comment Malraux nous livre-t-il un incipit original ?
I) Un incipit en apparence riche en informations
Dès les premières lignes de L’Espoir, Malraux plonge le lecteur dans un contexte de guerre en apparence bien défini. L’incipit s’ouvre sur une scène marquée par une atmosphère tendue et un cadre spatio-temporel explicite. Le lecteur apprend rapidement que l’action se déroule à Madrid, en pleine guerre civile, comme l’indique la phrase : « de camions chargés de fusils […] couvrait Madrid ». L’auteur précise également que l’événement se situe « dans la nuit d’été », une indication temporelle qui, bien que partielle, inscrit le récit dans une ambiance étouffante, presque oppressante. Par ailleurs, Malraux évoque l’évolution rapide des événements : « Depuis plusieurs jours les organisations ouvrières annonçaient l’imminence du soulèvement fasciste […] Maintenant le Maroc était occupé. » Ces phrases juxtaposées et rythmées traduisent l’urgence et la brutalité de la guerre, tout en inscrivant le récit dans un contexte politique précis.
Le lecteur reçoit également des informations sur les personnages, bien qu’elles soient limitées. On découvre deux figures principales : Ramos, « secrétaire du syndicat des cheminots », et Manuel, son assistant pour la nuit. Les fonctions des personnages sont dévoilées, mais leurs descriptions restent incomplètes. Ramos est caractérisé physiquement par son « gueule joviale gangster frisé », un portrait qui traduit à la fois son enthousiasme et une ambiguïté qui pourrait être liée à « l’illusion lyrique » mentionnée dans le titre de la première partie. En revanche, Manuel reste mystérieux, comme s’il n’était pour l’instant qu’un témoin de l’action. Ce manque de détails permet à Malraux de maintenir une certaine distance avec les personnages, laissant leur personnalité se révéler au fil du récit.
Le dialogue entre les personnages, marqué par un registre familier et des éclats de colère, témoigne de la tension qui règne. Des phrases comme « On avait appelé Ramos d’urgence » ou encore « Le Comité ouvrier de la gare - fusillé » montrent l’urgence de la situation et le climat d’angoisse. Ce langage direct et familier, propre à leur statut social, donne un ton réaliste au récit tout en immergeant le lecteur dans le quotidien des ouvriers engagés dans ce conflit.
II) Une écriture expressive et énigmatique
L’originalité de l’incipit réside également dans la manière dont Malraux alterne entre récit et dialogue, créant un style à la fois journalistique et théâtral. Par exemple, la phrase « Il était temps : les coups de téléphone des provinces, optimistes de minuit à deux heures, commençaient à ne plus l’être » montre un souci d’exactitude dans le déroulement des événements. L’auteur retranscrit les actions en temps réel, comme un reporter qui décrirait l’évolution des deux camps. Ce style rythmé, presque documentaire, renforce l’idée d’une urgence qui déborde sur la narration elle-même.
Cependant, cette précision journalistique est parfois interrompue par des absences de ponctuation, comme dans « Le central téléphonique de la gare du Nord appelait les gares les unes après les autres. » Ici, l’absence de pauses souligne l’agitation frénétique des personnages et l’ampleur des actions entreprises. Ce glissement entre un récit structuré et une écriture plus fluide traduit l’urgence et la confusion du moment.
Le dialogue, quant à lui, joue un rôle central dans cet incipit. Il s’insère dans le récit sous forme de stichomythies, avec des phrases courtes et un registre familier. Les échanges sont marqués par une théâtralité évidente, comme en témoignent les insultes échangées : « tas d’ordure », « salaud », « enfant de putain ». La ponctuation accentue cette tension, mêlant phrases exclamatives et interrogatives pour transmettre la pression qui pèse sur les personnages. Cette théâtralisation du dialogue, associée à des phrases hachées, donne au texte une dynamique qui capte immédiatement l’attention du lecteur.
En dépit de ces éléments apparemment informatifs, Malraux laisse le lecteur dans une certaine incertitude. Par exemple, bien que le roman commence par « un chahut », ce bruit initial reste vague et énigmatique. De même, le contexte de la guerre est rapidement évoqué, mais sans entrer dans les détails sur sa nature exacte : « À une heure du matin, le gouvernement avait enfin décidé de distribuer les armes au peuple. » Si cette phrase indique une action décisive, elle ne précise pas clairement quel côté le gouvernement soutient. De plus, bien que l’heure et certains lieux soient mentionnés (« à trois heures », « la gare de Madrid »), Malraux omet volontairement des précisions comme la date ou l’année.
Enfin, l’écrivain joue sur une inversion de situation pour maintenir le lecteur en haleine. L’évolution du dialogue, marquée par la phrase « Mais le dialogue venait de changer », signale un retournement stratégique, sans pour autant donner immédiatement les clés pour comprendre ce changement. Ce choix narratif, qui mêle informations partielles et suspense, donne à l’incipit une dimension énigmatique qui pousse le lecteur à poursuivre sa lecture.
Conclusion
En mêlant descriptions riches en apparence, dialogues expressifs et informations partielles, Malraux construit un incipit original et captivant. Loin de se contenter d’une ouverture traditionnelle, il plonge le lecteur dans une ambiance tendue, marquée par l’urgence et la confusion, tout en laissant planer des zones d’ombre. Cette écriture, à la fois réaliste et énigmatique, reflète l’ambiguïté des événements qu’elle décrit et prépare le lecteur à une réflexion plus profonde sur la guerre et les illusions qu’elle peut engendrer.
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