Commentaire composé sur Corneille, Médée, acte I, scène 4

Commentaire composé sur Corneille, Médée, acte I, scène 4

Comment le tragique s’exprime-t-il dans cette scène ?

 

I) La vengeance

Dans cette scène, Médée exprime une douleur et une colère intenses face à l’abandon de Jason, qu’elle juge inconcevable au regard des sacrifices qu’elle a consentis par amour. Ses deux questions rhétoriques, « Me peut-il bien quitter après tant de bienfaits ? / M'ose-t-il bien quitter après tant de forfaits ? », révèlent son incompréhension et sa fureur. Les rimes internes dans ces alexandrins renforcent l’écho entre ses interrogations et traduisent son trouble profond.

Elle rappelle ensuite les crimes atroces qu’elle a commis pour lui, notamment en énumérant dans une gradation macabre : « Quoi ! mon père trahi, les éléments forcés, / D'un frère dans la mer les membres dispersés ». Cette énumération souligne à la fois l’ampleur de ses actes et l’injustice qu’elle ressent face à l’abandon de Jason. Médée en vient alors à formuler une menace à peine voilée dans une nouvelle question rhétorique : « Lui font-ils présumer qu'à mon tour méprisée, / Ma rage contre lui n'ait par où s'assouvir ? ». Les crimes qu’elle a commis par amour pour Jason pourraient maintenant être perpétrés par haine, ce qui marque un basculement vers une soif de vengeance.

Elle rejette également l’idée que son pouvoir soit réduit à servir Jason. Sa blessure d’orgueil transparaît lorsqu’elle déclare : « Tu t'abuses, Jason, je suis encor moi-même. » Cette affirmation martèle qu’elle n’a rien perdu de sa puissance et qu’elle est prête à la retourner contre lui. Médée rappelle alors qu’« tout ce qu’en ta faveur fit mon amour extrême, / Je le ferai par haine ». Le mot « haine », placé stratégiquement avant la césure, traduit l’intensité de son ressentiment. Enfin, elle annonce son projet de vengeance en évoquant une fin aussi tragique que l’a été leur union : « Et que notre union, que rompt ton changement, / Trouve une fin pareille à son commencement. »

Le point culminant de sa haine est atteint lorsqu’elle envisage le meurtre de ses propres enfants : « Déchirer par morceaux l'enfant aux yeux du père / N'est que le moindre effet qui suivra ma colère. » Elle cherche délibérément la vengeance la plus cruelle et s’abandonne à une imagination macabre. Enfin, elle affirme vouloir accomplir un acte encore plus grandiose que ses précédents crimes : « Il faut bien autrement montrer ce que je sai ; / Il faut faire un chef-d’œuvre, et qu'un dernier ouvrage / Surpasse de bien loin ce faible apprentissage. » En parlant de ses futurs meurtres comme d’un « chef-d’œuvre », elle sombre dans une folie où l’orgueil et la démence s’entrelacent.

 

II) La folie

La folie de Médée est également mise en lumière tout au long de ce monologue. Dès les premières répliques, ses nombreuses questions rhétoriques révèlent une pensée désordonnée et obsessionnelle, notamment lorsqu’elle s’interroge : « S'il a manqué d'amour, manque-t-il de mémoire ? » Le monologue, par sa nature même, reflète son isolement et son dialogue intérieur, mais ses propos prennent une dimension particulièrement inquiétante lorsqu’elle s’adresse directement à Jason, bien qu’il soit absent : « Tu t'abuses, Jason, je suis encor moi-même. » Ces paroles montrent à quel point son obsession pour lui la consume.

Sa folie s’exprime aussi dans sa volonté de transformer son divorce en un carnage à la hauteur des festivités de leur mariage : « Que mon sanglant divorce, en meurtres, en carnage, / S'égale aux premiers jours de notre mariage. » Ce parallèle macabre entre les moments de bonheur passés et la violence qu’elle veut désormais infliger accentue la nature tragique de son personnage. Médée ne recule devant rien, pas même le meurtre de ses propres enfants, pour assouvir sa vengeance : « Déchirer par morceaux l'enfant aux yeux du père / N'est que le moindre effet qui suivra ma colère. » Ces mots montrent qu’elle ne ressent plus d’amour maternel et qu’elle est prête à dépasser toutes les limites morales.

Enfin, Médée bascule dans une forme de délire mégalomane lorsqu’elle qualifie ses futurs crimes de « chef-d’œuvre ». Cette expression inappropriée reflète à la fois son orgueil et la perte totale de raison qui l’anime. La folie tragique atteint son apogée lorsqu’elle affirme vouloir surpasser ses crimes passés : « Il faut bien autrement montrer ce que je sai ; / Il faut faire un chef-d’œuvre, et qu'un dernier ouvrage / Surpasse de bien loin ce faible apprentissage. » Médée, en quête de reconnaissance dans sa haine, ne distingue plus le bien du mal, et c’est cette démesure qui la condamne à devenir un personnage tragique par excellence.

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Commentaires: 1
  • #1

    beta (lundi, 16 mai 2022 21:32)

    merciii continuez !