Commentaire composé sur un extrait du chapitre 3 - Le Ventre de Paris - Emile Zola

Commentaire composé sur un extrait du chapitre 3 - Le Ventre de Paris - Emile Zola

Texte

Florent ne songeait guère à ces belles filles. Il traitait d’ordinaire les femmes en homme qui n’a point de succès auprès d’elles. Puis, il dépensait en rêve trop de sa virilité. Il en vint à éprouver une véritable amitié pour la Normande ; elle avait un bon cœur, quand elle ne se montait pas la tête. Mais jamais il n’alla plus loin. Le soir, sous la lampe, tandis qu’elle approchait sa chaise, comme pour se pencher sur la page d’écriture de Muche, il sentait même son corps puissant et tiède à côté de lui avec un certain malaise. Elle lui semblait colossale, très lourde, presque inquiétante, avec sa gorge de géante ; il reculait ses coudes aigus, ses épaules sèches, pris de la peur vague d’enfoncer dans cette chair. Ses os de maigre avaient une angoisse au contact des poitrines grasses. Il baissait la tête, s’amincissait encore, incommodé par le souffle fort qui montait d’elle. Quand sa camisole s’entrebâillait, il croyait voir sortir, entre deux blancheurs, une fumée de vie, une haleine de santé qui lui passait sur la face, chaude encore, comme relevée d’une pointe de la puanteur des Halles, par les ardentes soirées de juillet. C’était un parfum persistant, attaché à la peau d’une finesse de soie, un suint de marée coulant des seins superbes, des bras royaux, de la taille souple, mettant un arôme rude dans son odeur de femme. Elle avait tenté toutes les huiles aromatiques ; elle se lavait à grande eau ; mais dès que la fraîcheur du bain s’en allait, le sang ramenait jusqu’au bout des membres la fadeur des saumons, la violette musquée des éperlans, les âcretés des harengs et des raies. Alors, le balancement de ses jupes dégageait une buée ; elle marchait au milieu d’une évaporation d’algues vaseuses ; elle était, avec son grand corps de déesse, sa pureté et sa pâleur admirables, comme un beau marbre ancien roulé par la mer et ramené à la côte dans le coup de filet d’un pêcheur de sardines. Florent souffrait ; il ne la désirait point, les sens révoltés par les après-midi de la poissonnerie ; il la trouvait irritante, trop salée, trop amère, d’une beauté trop large et d’un relent trop fort. 

 

 

Extrait du chapitre 3 - Le Ventre de Paris - Emile Zola

Commentaire composé

I) Une femme trop belle qui inquiète Florent et révèle sa peur des femmes

 

“Florent ne songeait guère à ces belles filles.”: Florent ne se comporte pas comme la plupart des hommes, qui eux seraient toujours en train de penser aux femmes, mais Florent n’est pas intéressé par les femmes. “Il traitait d’ordinaire les femmes en homme qui n’a point de succès auprès d’elles.”: Comme Florent avait l’habitude de se faire rejeter par les femmes, il ne montre aucune attirance pour elles :  il sentait même son corps puissant et tiède à côté de lui avec un certain malaise.”  “Puis, il dépensait en rêve trop de sa virilité.”: Florent est un rêveur et un penseur, ce qui lui fait oublier qu’il a un corps, et donc tout désir a disparu chez Florent : “Mais jamais il n’alla plus loin.”  Ce portrait de la femme est plutôt un portrait de Florent car nous la voyons à travers ses yeux : “Il en vint à éprouver une véritable amitié pour la Normande ; elle avait un bon cœur, quand elle ne se montait pas la tête.” De plus, cette femme est décrite comme une statuette tribale représentant la déesse de la fécondité, ce qui la rend intouchable et effrayante pour Florent : “Elle lui semblait colossale, très lourde, presque inquiétante, avec sa gorge de géante”. La plupart des hommes aiment les femmes à forte poitrine, mais Florent est trop maigre, il n’est pas à la hauteur et il se sent en position d’infériorité face à la poissonnière : “il reculait ses coudes aigus, ses épaules sèches, pris de la peur vague d’enfoncer dans cette chair. Ses os de maigre avaient une angoisse au contact des poitrines grasses. Il baissait la tête, s’amincissait encore”. Cette femme au corps de déesse est impressionnante pour Florent qui paraît ridicule et impuissant en face d’elle qui est beaucoup trop belle pour lui du point de vue du narrateur : “elle était, avec son grand corps de déesse, sa pureté et sa pâleur admirables, comme un beau marbre ancien roulé par la mer et ramené à la côte dans le coup de filet d’un pêcheur de sardines.” La plupart des hommes sont très intéressés par la chemise d’une femme qui s’ouvre, et ils pensent aux seins de la femme, mais pas Florent, qui est plutôt écoeuré  : “Quand sa camisole s’entrebâillait, il croyait voir sortir, entre deux blancheurs, une fumée de vie, une haleine de santé qui lui passait sur la face, chaude encore”.

 

II) Une description qui révèle la haine de Florent pour les Halles

 

A travers la description de cette femme qui est imprégnée d’une odeur de poisson, Florent la rejette de la même façon dont il rejette les Halles : “incommodé par le souffle fort qui montait d’elle”. La description du corps de la femme est marquée d’une forte sensualité, pourtant annulée par le point de vue du personnage de Florent qui ne retient que les odeurs de poisson qui se dégagent de la maraîchère à travers la métaphore filée de la marée révélatrice de la puissante aversion du jeune homme pour les Halles et tout ce qui s’y rattache : “comme relevée d’une pointe de la puanteur des Halles, par les ardentes soirées de juillet. C’était un parfum persistant, attaché à la peau d’une finesse de soie, un suint de marée coulant des seins superbes, des bras royaux, de la taille souple, mettant un arôme rude dans son odeur de femme.” Le narrateur, après avoir fait une description sensuelle, utilise un champ lexical très péjoratif pour insister sur la puanteur du poisson sur laquelle est focalisé le personnage de Florent : “Elle avait tenté toutes les huiles aromatiques ; elle se lavait à grande eau ; mais dès que la fraîcheur du bain s’en allait, le sang ramenait jusqu’au bout des membres la fadeur des saumons, la violette musquée des éperlans, les âcretés des harengs et des raies. Alors, le balancement de ses jupes dégageait une buée ; elle marchait au milieu d’une évaporation d’algues vaseuses”. A force d'être dans les Halles, Florent est devenu malade, presque agonisant tellement son aversion est forte, tandis que par opposition, la femme représente la vie devenue insupportable pour lui : “Florent souffrait ; il ne la désirait point, les sens révoltés par les après-midi de la poissonnerie ; il la trouvait irritante, trop salée, trop amère, d’une beauté trop large et d’un relent trop fort.” 


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