Commentaire composé sur Le Tigre bleu de l’Euphrate, Acte X de Laurent Gaudé
Dans les pièces de théâtre, la mort d'un personnage est un sujet particulièrement délicat à traiter. Les dramaturges classiques, tels que Racine, ne montrent pas les scènes de mort, préférant simplement les raconter pour ne pas choquer le public, conformément à la règle de bienséance dictée par Boileau. Mais les auteurs plus tardifs montrent la mort sur scène de façon subtile. Ainsi, nous allons étudier comment Laurent Gaudé, dans sa pièce Le Tigre bleu de l'Euphrate, représente la mort de son personnage, Alexandre le Grand, sur scène. Nous analyserons cette question en évaluant, dans un premier temps, la déchéance d'Alexandre le Grand, puis, nous regarderons son acceptation de la mort.
Dans cet extrait, Alexandre le Grand, conquérant de l'antiquité, se remémore les différentes réussites de sa vie, mais aussi ses échecs.
Le texte présente plusieurs références à la vie d'Alexandre le Grand, comme on peut le voir dans « Malgré les trésors de Babylone, Malgré toutes ces victoires ». Cette anaphore souligne la puissance du conquérant et son importance historique. Gaudé précise que son héros est un acteur important de l'histoire de la Grèce antique, qui a conquis plusieurs pays de l'Asie dont la Perse. Il n'oublie pas sa grandeur.
Cependant, Gaudé montre également les objectifs inachevés d'Alexandre le Grand, « Je pleure sur toutes ces terres que je n'ai pas eu le temps de voir. Je pleure sur le Gange lointain de mon désir ». Ici, l'anaphore remet en question la réalité des événements. Même si Alexandre le Grand a bâti le plus grand des empires, il n'a pas conquis l'intégralité de l'Asie. L'extrait représente ainsi le côté imparfait de son personnage.
Cette idée s'accentue lors de la mention de la mortalité d'Alexandre le Grand, « Je suis l'homme qui ne possède rien Qu'un souvenir de conquêtes. ». La phrase ramène à la déchéance du conquérant. Malgré toute son importance et ses victoires, il reste humain et tout son travail n'aura servi à rien au final puisqu'il mourra sans rien, uniquement des mémoires passées. Alexandre le Grand n'est pas différent des autres hommes, il est mortel.
Bien que sa vie fut remplie de conquêtes, Alexandre le Grand reste mortel et imparfait, non seulement n'a t-il pas terminé sa mission, mais ses combats sont vains à la fin de sa vie.
Dans un deuxième temps, Alexandre le Grand dialogue également avec la Mort au sujet de sa propre condition d'homme mourant, tout en l'acceptant.
En effet, la Mort est personnifiée tout au long de la pièce, « Et je te demande d'avoir pitié de moi ». La Mort écoute le discours d'Alexandre le Grand, et cette phrase montre que ce dernier est conscient de sa présence, et qu'il lui parle. Si l'on considère que la Mort est présente sur scène, le discours est alors un soliloque. La présence de cette personnification montre que la fin des jours du conquérant est proche.
En outre, dans son discours, Alexandre le Grand évoque aussi sa propre mort, « Je serai bientôt l'une de ces millions d'ombres qui se mêlent et s'entrecroisent dans tes souterrains sans lumières ». L’évocation des souterrains est une périphrase désignant les enfers. De plus, le début de la phrase prouve qu'Alexandre le Grand est prêt à accepter sa mort, et renforce l'idée qu'il n'est qu'un homme, donc mortel.
Enfin, le conquérant admet qu'il meurt sans rien, « Je me présente à toi, nu comme au sortir de ma mère ». Alexandre le Grand meurt comme il est né, dépourvu de tout bien et de toute gloire, comme pour montrer qu'au final, malgré les bons moments, tout le monde meurt sans rien emmener, seule la mémoire que d'autres personnes ont de nous persiste. Cette idée est accentuée par deux champs lexicaux: celui de la privation, tout au long du texte, mêlé à celui du guerrier « Sans épée, ni cheval, Sans ami, ni bataille », renforçant le fait qu'Alexandre le Grand, même étant un grand conquérant, part sans rien.
Le conquérant accepte sa mort, car au final, il connaît son destin et sait que tout son parcours n'aura rien changé à l’ordre du monde. Il meurt donc en parfait philosophe stoïcien.
Laurent Gaudé, dans cet extrait théâtral, met en scène Alexandre face à la mort. C'est la mort d’un philosophe ; le dramaturge ne la montre pas directement, mais la rend claire puisque le personnage est prêt à mourir et sait que son destin ne sera pas plus remarquable que celui d'autres personnes.
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