Lecture analytique de Edgar Allan Poe, Derniers contes, L’ensevelissement prématuré
Texte
Je ne me sentais pas le courage de me mouvoir. Je n’osais pas faire l’effort nécessaire pour me rendre compte de ma destinée ; et cependant il y avait quelque chose dans mon cœur qui me murmurait que c’était vrai. Le désespoir — un désespoir tel qu’aucune autre espèce de misère n’en peut inspirer à un être humain — le désespoir seul me poussa après une longue irrésolution à soulever les lourdes paupières de mes yeux. Je les soulevai. Il faisait noir — tout noir. Je reconnus que l’accès était passé. Je reconnus que ma crise était depuis longtemps terminée. Je reconnus que j’avais maintenant recouvré l’usage de mes facultés visuelles. — Et cependant il faisait noir — tout noir — l’intense et complète obscurité de la nuit qui ne finit jamais.
J’essayai de crier, mes lèvres et ma langue desséchées se murent convulsivement à la fois dans cet effort ; — mais aucune voix ne sortit des cavernes de mes poumons, qui, oppressées comme sous le poids d’une montagne, s’ouvraient et palpitaient avec le cœur, à chacune de mes pénibles et haletantes aspirations.
Le mouvement de mes mâchoires dans l’effort que je fis pour crier me montra qu’elles étaient liées, comme on le fait d’ordinaire pour les morts. Je sentis aussi que j’étais couché sur quelque chose de dur, et qu’une substance analogue comprimait rigoureusement mes flancs. Jusque-là je n’avais pas osé remuer aucun de mes membres ; — mais alors je levai violemment mes bras, qui étaient restés étendus les poignets croisés. Ils heurtèrent une substance solide, une paroi de bois, qui s’étendait au dessus de ma personne, et n’était pas séparée de ma face de plus de six pouces. Je ne pouvais plus en douter, je reposais bel et bien dans un cercueil.
Edgar Allan Poe, Derniers contes, L’ensevelissement prématuré (1887)
Lecture analytique
Le narrateur pense être enfermé dans un cercueil : « Je ne pouvais plus en douter, je reposais bel et bien dans un cercueil. » mais en raison de la focalisation interne et de l’état de panique dans lequel se trouve le narrateur, on ne peut pas en être certain. La littérature fantastique, en introduisant le mystère dans le réel, laisse planer le doute : est-ce que le narrateur a raison ? Est-ce qu’il est fou ? Y a-t-il une explication rationnelle ou surnaturelle au phénomène observé ? Autant de questions qui se doivent de rester sans réponse pour que la nouvelle fantastique soit réussie. Ici le lecteur perçoit l’extérieur à travers les sens du narrateur : la vue « Et cependant il faisait noir — tout noir — l’intense et complète obscurité de la nuit qui ne finit jamais. » ; le toucher « j’étais couché sur quelque chose de dur, et qu’une substance analogue comprimait rigoureusement mes flancs », « Ils heurtèrent une substance solide, une paroi de bois, qui s’étendait au dessus de ma personne, et n’était pas séparée de ma face de plus de six pouces ». L’insistance sur les difficultés respiratoires du narrateur augmente l’angoisse et le malaise du lecteur qui a lui aussi la sensation d’étouffer : « mais aucune voix ne sortit des cavernes de mes poumons, qui, oppressées comme sous le poids d’une montagne, s’ouvraient et palpitaient avec le cœur, à chacune de mes pénibles et haletantes aspirations. »
Écrire commentaire