Commentaire composé sur Sartre, La nausée, incipit
Commentaire composé
I) Un incipit déroutant
Le lecteur ressent de l'incompréhension, de la surprise et un certain malaise en raison de l’incertitude exprimée par le narrateur. En effet, la première phrase du roman écrite au conditionnel semble poser une question au lecteur : “Le mieux serait d’écrire”, alors que dans un roman traditionnel le lecteur ne co-écrit jamais l’histoire. De plus, l’emploi des tournures impersonnelles comme “Il faut” fait participer le lecteur à sa réflexion et semble attendre de l’aide de la part du lecteur. Dans un incipit, le lecteur s’attend à avoir des informations sur le temps, le lieu et les personnages. Le narrateur fait référence à un samedi mais sans vraiment l’ancrer dans le temps : “ je ne peux rien décrire sur ces histoires de samedi”. Il évoque une plage de galets mais sans préciser où elle se trouve : “je ne sais plus si je regardais la mer ou le galet”. Le texte est écrit par un narrateur qui dit “je” mais malgré la focalisation interne, il nous est impossible de l’identifier.
II) Le projet littéraire de Sartre
Cet incipit ne semble pas écrit dans le but de raconter une histoire mais d’entraîner le lecteur dans une réflexion théorique sur les mécanismes de la création littéraire : “Le mieux serait d’écrire les événements au jour le jour”. Le narrateur expose son projet littéraire : “Ne pas laisser échapper les nuances, les petits faits, même s’ils n’ont l’air de rien, et surtout les classer”. Ainsi, il insiste sur sa volonté de coller le plus fidèlement possible à la réalité : “il ne faut pas mettre de l’étrange où il n’y a rien”. Cependant, il a du mal à réaliser son projet car il est trop perfectionniste et exigeant : “Je pense que c’est le danger lorsqu’on tient un journal : on s’exagère tout, on est aux aguets, on force continuellement la vérité”. Le narrateur exagère du fait qu’il nous dit ne plus se rappeler de ses souvenirs d’avant-hier, ce qui est impossible “Naturellement, je ne peux plus rien écrire de net sur ces histoires de samedi et d’avant-hier, j’en suis déjà trop éloigné”. Le lecteur se sent alors pris dans un jeu dont il ne connaît pas les règles. Dans cet incipit, le narrateur raconte une histoire qui est en fait sa propre histoire de romancier, remplie de doutes et de désillusions : “Voilà pour l’extérieur. Ce qui s’est passé en moi n’a pas laissé de traces claires”. La diégèse (l’histoire racontée) n’a aucune importance, seule compte la clarté du style (à défaut de la clarté des idées). Pour Sartre, l’écriture serait donc une sorte d’errance intérieure que l’auteur tenterait en vain de canaliser. La métaphore du galet symbolise les idées du narrateur qui lui paraissent tantôt sans intérêt (“Le galet était plat, sec sur tout un côté”) tantôt confuses (“humide et boueux de l’autre”). Sartre dans cet incipit nous donne les règles qu’il se fixe mais malgré cela, il se perd dans ses propres idées et entraîne le lecteur dans sa confusion.
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