Commentaire composé sur René de Chateaubriand, "Mais comment exprimer cette foule de sensations fugitives"
Texte
Mais comment exprimer cette foule de sensations fugitives, que j'éprouvais dans mes promenades ? Les sons que rendent les passions dans le vide d'un coeur solitaire ressemblent au murmure que les vents et les eaux font entendre dans le silence d'un désert ; on en jouit, mais on ne peut les peindre.
L'automne me surprit au milieu de ces incertitudes : j'entrai avec ravissement dans les mois des tempêtes. Tantôt j'aurais voulu être un de ces guerriers errant au milieu des vents, des nuages et des fantômes, tantôt j'enviais jusqu'au sort du pâtre que je voyais réchauffer ses mains à l'humble feu de broussailles qu'il avait allumé au coin d'un bois. J'écoutais ses chants mélancoliques, qui me rappelaient que dans tout pays le chant naturel de l'homme est triste, lors même qu'il exprime le bonheur. Notre coeur est un instrument incomplet, une lyre où il manque des cordes, et où nous sommes forcés de rendre les accents de la joie sur le ton consacré aux soupirs.
Le jour je m'égarais sur de grandes bruyères terminées par des forêts. Qu'il fallait peu de choses à ma rêverie ! une feuille séchée que le vent chassait devant moi, une cabane dont la fumée s'élevait dans la cime dépouillée des arbres, la mousse qui tremblait au souffle du nord sur le tronc d'un chêne, une roche écartée, un étang désert où le jonc flétri murmurait ! Le clocher solitaire, s'élevant au loin dans la vallée, a souvent attiré mes regards; souvent j'ai suivi des yeux les oiseaux de passage qui volaient au-dessus de ma tête. Je me figurais les bords ignorés, les climats lointains où ils se rendent ; j'aurais voulu être sur leurs ailes. Un secret instinct me tourmentait; je sentais que je n'étais moi-même qu'un voyageur, mais une voix du ciel semblait me dire : "Homme, la saison de ta migration n'est pas encore venue ; attends que le vent de la mort se lève, alors tu déploieras ton vol vers ces régions inconnues que ton coeur demande."
"Levez-vous vite, orages désirés, qui devez emporter René dans les espaces d'une autre vie !" Ainsi disant, je marchais à grands pas, le visage enflammé, le vent sifflant dans ma chevelure, ne sentant ni pluie ni frimas, enchanté, tourmenté, et comme possédé par le démon de mon coeur.
Chateaubriand, René
Commentaire composé
Dans l'analyse de cette œuvre de Chateaubriand, deux axes majeurs se dégagent : le paysage en tant qu'état d'âme et le personnage de René en tant qu'incarnation du romantisme tourmenté et passionné.
I) Un paysage état d’âme
L'évocation de la nature chez Chateaubriand est souvent une projection de l'état intérieur du narrateur. Cette idée est mise en avant dès le début avec la citation “Les sons que rendent les passions dans le vide d'un coeur solitaire ressemblent au murmure que les vents et les eaux font entendre dans le silence d'un désert”. Ici, la comparaison entre les sons des éléments naturels et les sentiments du narrateur suggère une forte corrélation entre le paysage et son malaise existentiel. C'est une caractéristique du romantisme que de trouver dans la nature une résonance aux tourments de l'âme.
Le passage “L'automne me surprit au milieu de ces incertitudes” marque une prise de conscience du narrateur de son monde intérieur. Il y a une réflexion sur l'impact de ce monde sur sa quête de sens, démontrant une introspection profonde.
“J'entrai avec ravissement dans les mois des tempêtes” symbolise l'immersion du narrateur dans ses pensées intérieures, suggérant une recherche de compréhension de soi à travers les éléments tumultueux de la nature.
La description du pâtre réchauffant ses mains, ainsi que l'envie du narrateur de devenir un guerrier errant, témoignent de son désir de communion avec la nature et d'accomplissement d'une mission supérieure, révélant un cœur empli de compassion chrétienne.
II) Un personnage romantique tourmenté et passionné
Chateaubriand, à travers René, incarne le paroxysme du personnage romantique, exprimé par la question rhétorique “Mais comment exprimer cette foule de sensations fugitives... ?”. Cette interrogation révèle le tumulte des émotions amoureuses qui tourmentent l'auteur.
L'emploi du pronom “on” dans “on en jouit, mais on ne peut les peindre” universalise les sentiments du narrateur, dépeignant une expérience émotionnelle partagée par beaucoup, typique de l'ère romantique.
En tant que personnage romantique, René est dépeint comme quelqu'un qui partage ses doutes et ses questionnements, illustrés par “L'automne me surprit au milieu de ces incertitudes”. Son aspiration à être semblable au Bon Berger souligne son désir de guider et de protéger, une quête spirituelle profonde.
Le rôle de poète messianique que s'attribue Chateaubriand est illustré par des visions quasi-prophétiques, comme lorsqu'une voix céleste lui parle de la mort et de l'au-delà. Cela renforce l'idée d'un destin hors du commun, en phase avec les croyances et les attentes de son temps.
Enfin, la tempête, métaphore de ses passions déchaînées, trouve un écho dans l'âme tourmentée de René : “Levez-vous vite, orages désirés...”. Cette image du narrateur marchant face aux éléments, enflammé et comme possédé, est emblématique de la fougue et de l'ardeur qui caractérisent le héros romantique, en proie à des émotions intenses et parfois dévastatrices.
Ainsi, Chateaubriand, par le biais de René, explore les profondeurs de l'âme romantique, où la nature et les tempêtes intérieures se mêlent pour créer un paysage émotionnel riche et complexe.
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ely (vendredi, 25 mars 2022 21:38)
pourquoi le narrateur n'a pas pu accomplir sa mission au service des autres et il regrette parceque il a le coeur rempli du compassion chretienne?
Jad (vendredi, 28 octobre 2022 18:07)
Analyse du texte /questions et réponses