Commentaire composé sur André Gide, L'Immoraliste, première partie, chapitre IV
André Gide écrit l'Immoraliste en 1902, à ce moment-là, il n'a pas pour ambition d'écrire un roman au sens traditionnel du terme ; il qualifie donc son texte de récit. Michel, le protagoniste, a pourtant toutes les caractéristiques d'un personnage de roman ; c’est un personnage de fiction, qui ne porte pas le nom de l'auteur, il vit des événements, et évolue au cours du récit. L’extrait qui fait l'objet de notre analyse est une métamorphose du personnage de Michel. Michel, le narrateur du récit, tombe gravement malade au cours de son voyage de noces en Algérie. Pour l'aider à retrouver la santé, son épouse Marceline l'emmène profiter du grand air au cours d'une promenade.
En quoi la révélation que vit le protagoniste puise-t-elle sa source dans la description des lieux de la promenade ? La promenade que mène Michel avec sa femme Marceline, est sensée lui faire retrouver la santé. Elle va le mener vers un espace merveilleux, celui de l'oasis et du chemin qui y mène. Ces lieux se révèleront être la source d'un bouleversement mystérieux et sensuel.
La perspective d'une promenade vers l'oasis est perçue par Michel comme une libération, après sa longue convalescence. On le voit grâce au champ lexical de la liberté ("le grand air et la marche" et "liberté", l. 3 ; "longues courses" l. 4 et 5 ; "marcher" l. 7, "sortîmes" l. 8. "Sortîmes") et le champ lexical du bonheur ("joie" l. 1, "aimait" l. 2, "éblouie" l. 4, "plaisirs" l. 5, "jouir" l. 6, etc.). Cette promenade a lieu lors du rétablissement de Michel, ce rétablissement sera une renaissance pour le personnage. Les marqueurs temporels dans le premier paragraphe du texte montrent cette renaissance, ("ma santé enfin revenir" l. 1, "déjà" suivi de "Mais à présent que j'allais mieux", l. 6.) Marceline, l’épouse de Michel, guide son mari vers le rétablissement, vers l'oasis ("Marceline (...) commençait depuis quelques jours à me parler" l. 1 et 2, "elle comptait sur leur attrait pour achever de me remettre" l. 6 et 7, "nous sortîmes ensemble" l. 8, "Marceline me regardait" l. 18).
Le lieu dans lequel Marceline guide son mari est exceptionnel ("bizarre" l.9, "tel que dans aucun pays je n'en vis jamais de pareil" l. 9 – 10). Effectivement, la topologie du lieu semble étrange, puisqu'il s'agit d'un chemin délimité par des murs ("deux assez hauts murs de terre" l. 10), qui empêchent le promeneur d'apercevoir clairement le lieu vers lequel il se dirige ("par-dessus les murs, des palmiers" l. 17 – 18). Le lieu dans lequel Marceline guide Michel est marqué par la généralité. Ainsi, tout est fait de la même terre, les murs, le chemin, et l'oasis ("les murs sont faits avec la terre même de la route, celle de l'oasis entière" l. 13 et 14). Cette terre est constituée d’une couleur, et cette couleur peut varier ("une argile rosâtre ou gris tendre, que l'eau rend un peu plus foncée" l. 15). De même, l'aspect de la terre varie ("craquelle", "durcit", en antithèse avec "mollit" l. 16). Elle varie sous l'effet du soleil et de l'eau ("soleil ardent" l. 15, "première averse" l. 16). La visite de cet espace est marquée par le rêve. Il y a une personnification des éléments ("il circule comme indolemment" l. 10, "il se courbe ou brise sa ligne" l. 12, "l'eau fidèle de la rivière" l. 13). Le personnage est perdu, comme dans un labyrinthique ("un détour vous perd" l. 12 ; "on ne sait plus ni d'où l'on vient, ni où on va" l. 12 – 13).
Ce qui ne devait être qu'une promenade de santé amène le personnage de Michel à un bouleversement mystérieux. Ce bouleversement est sensuel, le personnage de Michel se sent mieux ("J'oubliais ma fatigue et ma gêne" l. 19). Il ressent une révélation sensuelle ("Je marchais dans une sorte d'extase, d'allégresse silencieuse, d'exaltation des sens et de la chair"). Michel connaît un bouleversement sexuel. Il y a une multiplication d’images sexuelles dans le texte. Les palmiers, sont un symbole phallique, tandis que la brèche dans le mur évoque la pénétration. Le bouleversement sensuel que vit Michel annonce une tendance homosexuelle, révélée par le personnage du jeune berger. Les tourterelles symbolisant l'amour, sont une première indication ("Par-dessus les murs, des palmiers. A notre approche, des tourterelles y volèrent." l. 17 – 18 ; "appel discret des tourterelles" l. 26) les tourterelles guident Michel vers le jeune garçon. La figure du jeune garçon est marquée par une grande sensualité, il est "presque nu" (l. 28), et il est assis "sur le tronc d'un palmier abattu" (l. 28), symbolisant alors la sexualité hétérosexuelle vaincue de Michel.
La promenade de santé, dans laquelle Marceline entraîne Michel afin de l’aider à se rétablir, mènera les deux personnages dans un espace merveilleux, universel et rêveur, dans lequel Michel vivra une révélation mystérieuse, qu'on suppose être un bouleversement sexuel, qui se révèlera être une révélation homosexuelle.
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