Commentaire composé sur Molière, Amphitryon Acte I, scène 2

Commentaire composé sur Molière, Amphitryon Acte I, scène 2

Texte

Molière, Amphitryon

Acte I, scène 2 (extrait)

[…] 

SOSIE

N’importe, je ne puis m’anéantir pour toi,

Et souffrir un discours si loin de l’apparence.

Être ce que je suis est-il en ta puissance ?

Et puis-je cesser d’être moi ?

S’avisa-t-on jamais d’une chose pareille ?

Et peut-on démentir cent indices pressants ?

Rêvé-je ? est-ce que je sommeille ?

Ai-je l’esprit troublé par des transports puissants ?

Ne sens-je pas bien que je veille ?

Ne suis-je pas dans mon bon sens ?

Mon maître Amphitryon ne m’a-t-il pas commis

À venir en ces lieux vers Alcmène sa femme ?

Ne lui dois-je pas faire, en lui vantant sa flamme,

Un récit de ses faits contre nos ennemis ?

Ne suis-je pas du port arrivé tout à l’heure ?

Ne tiens-je pas une lanterne en main ?

Ne te trouvé-je pas devant notre demeure ?

Ne t’y parlé-je pas d’un esprit tout humain ?

Ne te tiens-tu pas fort de ma poltronnerie

Pour m’empêcher d’entrer chez nous ?

N’as-tu pas sur mon dos exercé ta furie ?

Ne m’as-tu pas roué de coups ?

Ah ! tout cela n’est que trop véritable,

Et plût au Ciel le fût-il moins !

Cesse donc d’insulter au sort d’un misérable,

Et laisse à mon devoir s’acquitter de ses soins.

MERCURE

Arrête : ou sur ton dos le moindre pas attire

Un assommant éclat de mon juste courroux.

Tout ce que tu viens de dire,

Est à moi, hormis les coups.

C’est moi qu’Amphitryon députe vers Alcmène,

Et qui du port Persique arrive de ce pas.

Moi qui viens annoncer la valeur de son bras,

Qui nous fait remporter une victoire pleine,

Et de nos ennemis a mis le chef à bas.

C’est moi qui suis Sosie enfin, de certitude ;

Fils de Dave, honnête berger ;

Frère d’Arpage, mort en pays étranger ;

Mari de Cléanthis la prude,

Dont l’humeur me fait enrager.

Qui dans Thèbes ai reçu mille coups d’étrivière,

Sans en avoir jamais dit rien.

Et jadis en public, fus marqué par derrière,

Pour être trop homme de bien.

SOSIE

Il a raison. À moins d’être Sosie,

On ne peut pas savoir tout ce qu’il dit.

Et dans l’étonnement, dont mon âme est saisie,

Je commence, à mon tour, à le croire un petit.

En effet, maintenant que je le considère,

Je vois qu’il a de moi, taille, mine, action.

[…] 

Commentaire composé

L'analyse de la scène d'affrontement comique entre Sosie et Mercure dans la pièce d'Amphitryon de Molière nous offre un exemple fascinant de l'usage de la comédie pour explorer des thèmes tels que l'identité, la réalité et l'illusion.

 

I. L’affrontement comique entre Sosie et Mercure

1. Sosie

 

Sosie, confronté à l'apparition divine de Mercure, réagit avec combativité et indignation. Ses répliques, telles que "N’importe, je ne puis m’anéantir pour toi, Et souffrir un discours si loin de l’apparence", témoignent de son refus de s'effacer devant une entité supérieure. L'anaphore de "ne" et l'utilisation de questions rhétoriques dans des répliques comme "Ne lui dois-je pas faire, en lui vantant sa flamme, Un récit de ses faits contre nos ennemis ?", illustrent sa détermination à défendre son identité et sa mission. Cependant, sa supplique à Mercure de le laisser accomplir son devoir révèle également une certaine vulnérabilité, car il craint les conséquences s'il échoue dans sa tâche.

 

2. Mercure

 

Mercure, d'autre part, utilise son pouvoir divin pour dominer et intimider Sosie. Sa menace, "Arrête : ou sur ton dos le moindre pas attire, Un assommant éclat de mon juste courroux", souligne sa supériorité et sa capacité à punir. L'humour de Mercure, souvent cruel, se manifeste lorsqu'il usurpe l'identité de Sosie, créant ainsi un jeu de miroir déroutant pour le véritable Sosie. Cette usurpation atteint son apogée lorsqu'il évoque des détails intimes de la vie de Sosie, ce qui non seulement l'humilie mais le pousse également à douter de sa propre réalité.

 

II. Une réflexion sur le théâtre

1. Une mise en abyme (le théâtre dans le théâtre)

 

Cette scène crée une mise en abyme théâtrale, où le jeu de Mercure avec l'identité de Sosie transforme ce dernier en spectateur de son propre rôle. Cette superposition de réalités accentue l'aspect ludique et métathéâtral de la scène.

 

2. Jeu sur la double énonciation théâtrale

 

Le public, en possession d'informations que Sosie ignore, se retrouve complice de Mercure. Cette connaissance partagée entre le public et Mercure crée un effet comique, car le public perçoit pleinement l'ironie de la situation et l'absurdité de la confusion de Sosie.

 

3. Interrogation sur l’illusion et la réalité

 

La question de l'illusion et de la réalité est au cœur de cette scène. Sosie, déstabilisé par l'intervention de Mercure, se demande s'il rêve ou s'il est victime d'hallucinations. Cependant, les coups reçus de Mercure le ramènent à une douloureuse réalité. Cette confusion atteint son apogée lorsque Sosie commence à douter de sa propre identité, illustrant ainsi les thèmes de l'illusion, de la réalité et de l'identité qui sont explorés tout au long de la pièce.

 

En conclusion, cette scène d'Amphitryon offre une richesse d'éléments comiques, tout en engageant le spectateur dans une réflexion profonde sur les thèmes de l'identité, de la réalité et de l'illusion, caractéristiques du théâtre de Molière.


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