Commentaire composé sur Pirandello, Six personnages en quête d’auteur, de "Je ne dis pas le contraire, et je comprends" à "pourraient faire mauvaise impression sur le public."
Texte
Le directeur. – Je ne dis pas le contraire, et je comprends, je comprends tout votre dégoût, mademoiselle, mais vous, comprenez à votre tour que l'on ne peut pas porter tout cela à la scène.
La belle-fille. – On ne peut pas… Alors, merci bien, je ne joue pas.
Le directeur. – Voyons…
La belle-fille. – Je ne joue pas, je ne joue pas. Ce qu'on peut porter à la scène, vous l'avez combiné tous les deux ensemble, merci bien… Oh ! Je comprends, allez… Il veut en venir tout de suite à son drame « cérébral » compliqué, à la représentation de ses remords et de ses tourments, mais moi, je veux aussi représenter mon drame, mon drame !
Le directeur, ennuyé, haussant les épaules. – Votre drame ! Mais à la fin du compte, il n'y a pas que votre drame. Il y a celui des autres. (Montrant le père). Le sien. Celui de votre mère ! Il est inadmissible qu'un personnage se mette ainsi en vedette et envahisse la scène au détriment des autres. Il faut assembler les personnages en un tableau harmonieux et jouer ce qui est jouable. Je sais aussi bien que vous que chacun a toute une vie secrète qu'il voudrait étaler. Le difficile, c'est précisément de n'en représenter que ce qui est nécessaire, par rapport aux autres, et faire deviner, par le peu qu'on montre, tout le reste. Ce serait trop commode si chaque personnage pouvait, dans un beau monologue ou pourquoi pas ? – dans une conférence, venir épancher devant les spectateurs tout ce qu'il contient en lui ! (Débonnaire, conciliant). Il faut vous modérer, mademoiselle. Croyez-moi, c'est dans votre intérêt. Je dois vous avouer que cette fureur destructrice, ce dégoût exaspéré que vous avez avoué vous-même en disant que vous aviez déjà été avec d'autres hommes, à plusieurs reprises, chez madame Pace, pourraient faire mauvaise impression sur le public.
Commentaire composé
I) Le théâtre dans le théâtre
Dans cette scène, les personnages cherchent à monter une pièce de théâtre. Dans cette pièce de théâtre, deux des personnages se disputent sur scène : “On ne peut pas… Alors, merci bien, je ne joue pas”. Un des deux personnages est le directeur de la pièce, qui n’est pas supposé jouer et avoir un rôle. Pourtant, les didascalies qui lui sont attribuées attestent qu’il est est bien lui-même un personnage de la pièce : “Le directeur, ennuyé, haussant les épaules”.
II) Une réflexion théorique sur le théâtre
Dans cette scène, Pirandello développe une réflexion théorique sur le théâtre. Tout d’abord, Pirandello cherche à montrer qu’il y a besoin de plusieurs personnages pour faire une bonne intrigue, sinon on sait tout directement, et on n’a plus besoin de réfléchir. “Il est inadmissible qu'un personnage se mette ainsi en vedette et envahisse la scène au détriment des autres. Il faut assembler les personnages en un tableau harmonieux et jouer ce qui est jouable”. Le directeur utilise l’ironie pour convaincre le personnage mais aussi le spectateur puisqu’il y a une double énonciation : “Ce serait trop commode si chaque personnage pouvait, dans un beau monologue ou pourquoi pas ? – dans une conférence, venir épancher devant les spectateurs tout ce qu'il contient en lui !”. Le directeur affirme que la tragédie prend trop de place dans le théâtre et ne laisse pas les autres genres théâtraux prendre de ‘importance : “Croyez-moi, c'est dans votre intérêt. Je dois vous avouer que cette fureur destructrice, ce dégoût exaspéré […] pourraient faire mauvaise impression sur le public”. Le directeur convoque ici ironiquement la règle de bienséance dans le but de contraindre l’actrice à renoncer à jouer une tragédie comme elle le souhaite, et à jouer la comédie comme il le lui demande. Ainsi, on voit que le directeur n’a aucune autorité sur ses acteurs et qu’il est donc obligé d’argumenter pour les convaincre de jouer sa pièce comme il l’entend.
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