Commentaire sur Victor Hugo, Les Contemplations, Réponse à un acte d’accusation (Vers 41 à 80)

Commentaire sur Victor Hugo, Les Contemplations, Réponse à un acte d’accusation (Vers 41 à 80)

Poème

Les mots, bien ou mal nés, vivaient parqués en castes;

Les uns, nobles, hantant les Phèdres, les Jocastes,

Les Méropes, ayant le décorum pour loi,

Et montant à Versaille aux carrosses du roi;

Les autres, tas de gueux, drôles patibulaires,

Habitant les patois ; quelques-uns aux galères

Dans l'argot ; dévoués à tous les genres bas,

Déchirés en haillons dans les halles ; sans bas,

Sans perruque ; créés pour la prose et la farce;

Populace du style au fond de l'ombre éparse;

Vilains, rustres, croquants, que Vaugelas leur chef

Dans le bagne Lexique avait marqués d'une F;

N'exprimant que la vie abjecte et familière,

Vils, dégradés, flétris, bourgeois, bons pour Molière.

Racine regardait ces marauds de travers;

Si Corneille en trouvait un blotti dans son vers,

Il le gardait, trop grand pour dire : Qu'il s'en aille;

Et Voltaire criait : Corneille s'encanaille !

Le bonhomme Corneille, humble, se tenait coi.

Alors, brigand, je vins; je m'écriai : Pourquoi

Ceux-ci toujours devant, ceux-là toujours derrière ?

Et sur l'Académie, aïeule et douairière,

Cachant sous ses jupons les tropes effarés,

Et sur les bataillons d'alexandrins carrés,

Je fis souffler un vent révolutionnaire.

Je mis un bonnet rouge au vieux dictionnaire.

Plus de mot sénateur ! plus de mot roturier !

Je fis une tempête au fond de l'encrier,

Et je mêlai, parmi les ombres débordées,

Au peuple noir des mots l'essaim blanc des idées;

Et je dis : Pas de mot où l'idée au vol pur

Ne puisse se poser, tout humide d'azur !

Discours affreux ! – Syllepse, hypallage, litote,

Frémirent ; je montai sur la borne Aristote,

Et déclarai les mots égaux, libres, majeurs.

Tous les envahisseurs et tous les ravageurs,

Tous ces tigres, les Huns, les Scythes et les Daces,

N'étaient que des toutous auprès de mes audaces;

Je bondis hors du cercle et brisai le compas.

 

Je nommai le cochon par son nom ; pourquoi pas ?

 

Commentaire composé

Problématique : comment V. Hugo exprime-t-il sa conception de la littérature ?

 

I. La langue et la littérature française avant le romantisme 

1°) La discrimination des mots et des genres

 

   Hugo attaque Vaugelas, grammairien opposé à la nouveauté en le caractérisant de “chef [des mots mal nés]”. Certains mots sont bannis aux yeux des élitistes, et sont dignes des genres considérés comme honteux, dont la comédie : “que Vaugelas, leur chef Dans le bagne Lexique avait marqués d'une F; N'exprimant que la vie abjecte et familière”. Ces mots et genres sont discriminés par certains auteurs. Les plus grands dramaturges du théâtre classique ont tous honte de la présence de ces mots : “Racine regardait ces marauds de travers”. Victor Hugo défend les mots interdits. Pour parler de lui même, Victor Hugo se caractérise de brigand, puisqu'il va à l’encontre de la société littéraire : “Alors, brigand, je vins; je m'écriai : Pourquoi Ceux-ci toujours devant, ceux-là toujours derrière ?” La césure à l'hémistiche montre l’opposition entre les différentes classes et les opinions des personnes.

 

2°) Une littérature figée à l'image de la société

 

   Dans ce poème, Victor Hugo personnifie les mots afin de les comparer à des classes sociales en France. Dans la littérature, comme dans la société, il y a des classes.  Il y a des mots ne sont pas employés au théâtre car ils sont caractérisés comme insultants et Victor Hugo les compare à la partie pauvre du Tiers-État, contenant des personnes “gueux, drôles patibulaires” aux yeux des autres. Victor Hugo compare ces mots aux auteurs de comédie : “Vils, dégradés, flétris, bourgeois, bons pour Molière”. Au contraire, les mots “bien nés” sont comparés au théâtre classique, au plus haut de la littérature, ou il y a un retour vers l'antiquité : “Les uns, nobles, hantant les Phèdres, les Jocastes, Les Méropes”. Certains dramaturges utilisent quand même ces mots et assument son utilisation. Hugo utilise l’exemple de Corneille. Hugo appelle quand même Corneille  “bonhomme” afin de montrer que l’usage de ces mots était mal vu : “Et Voltaire criait : Corneille s'encanaille Le bonhomme Corneille, humble, se tenait coi”.

 

II. La révolution littéraire : le romantisme

1°)  Le lyrisme et l’engagement du poète

 

Le romantique est impliqué dans la politique. Victor Hugo député, est très impliqué dans la vie politique. Dans ce poème, il parle de son vécu, mais aussi de son implication pour moderniser la littérature. Il emploie à plusieurs reprise la première personne du singulier : “Alors, brigand, je vins; je m'écriai”. Victor Hugo n’est pas seulement lyrique, car il raconte ses histoires. Il est lyrique car il exprime ses opinions directement. Il est directement impliqué, d'où l’emploi régulier du “je”. 

Victor Hugo est engagé dans la cause des mots dépréciés et cherche à faire évoluer la littérature afin de donner de la liberté à tous les genres. Le poète fait référence à la bataille d’Hernani. Toute sa volonté de rendre libre la litterature, “[mettre] un bonnet rouge au dictionnaire”, est perçue pendant la première de sa pièce Hernani. Apres cette premiere, les différents auteurs se sont départagés et se sont battus, dû à l’emploi de mots dépréciés et la volonté de changement vu que Victor Hugo montre dans sa pièce. La salle de théâtre est partagée entre les auteurs conservateurs donc ceux qui veulent rester aux règles classiques du théâtre et aux révolutionnaires, ceux qui sont pour le romantisme et souhaitent une avancée.

 

2°) Le parallélisme entre la bataille d’Hernani et la révolution de 1789

 

  Victor Hugo, comme l’ont fait les philosophes des lumières durant la révolution française, cherche à donner de la liberté à la littérature afin de rendre tous les mots et genres égaux. Il veut qu’il n’y ait plus de vision négative envers les mots familiers et souhaite que les dramaturges n’aient pas peur de les utiliser. Il fait référence à Marianne, allégorie de la liberté, et donne au dictionnaire son bonnet phrygien au dictionnaire pour montrer que la littérature est maintenant libre: “Je fis souffler un vent révolutionnaire. Je mis un bonnet rouge au vieux dictionnaire”. Ce qui était considéré comme normal durant des siècles est maintenant remis en cause par Victor Hugo et la vague Romantique. L’ancien code est maintenant renversé pour développer la littérature et changer les visions péjoratives et restrictives des dramaturges : “Et sur l'Académie, aïeule et douairière Cachant sous ses jupons les tropes effarés, Et sur les bataillons d'alexandrins carrés, Je fis souffler un vent révolutionnaire”. Victor Hugo fait référence à l'abolition des trois ordres et à l'égalité entre tous les citoyens afin de montrer que dans la littérature, tous les mots familiers et soutenus peuvent et doivent être utilisés de la même manière : “Plus de mot sénateur ! plus de mot roturier !” La césure à l'hémistiche souligne l’opposition entre les deux mots, qui au final les rassemble : il sont égaux. 


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