Commentaire composé sur Marivaux, Le jeu de l’amour et du hasard Acte III scène 2
Texte
Marivaux, Le jeu de l’amour et du hasard
Acte III
SCÈNE 2 - DORANTE seul, et ensuite MARIO.
DORANTE
Tout ce qui se passe ici, tout ce qui m'y est arrivé à moi-même est incroyable... Je
voudrais pourtant bien voir Lisette, et savoir le succès de ce qu'elle m'a promis de faire
auprès de sa maîtresse pour me tirer d'embarras. Allons voir si je pourrai la trouver
seule.
MARIO
Arrêtez, Bourguignon, j'ai un mot à vous dire.
DORANTE
Qu'y a-t-il pour votre service, Monsieur ?
MARIO
Vous en contez à Lisette ?
DORANTE
Elle est si aimable, qu'on aurait de la peine à ne lui pas parler d'amour.
MARIO
Comment reçoit-elle ce que vous lui dites ?
DORANTE
Monsieur, elle en badine.
MARIO
Tu as de l'esprit, ne fais-tu pas l'hypocrite ?
DORANTE
Non ; mais qu'est-ce que cela vous fait ? Supposez que Lisette eût du goût pour moi...
MARIO
Du goût pour lui ! Où prenez-vous vos termes ? Vous avez le langage bien précieux
pour un garçon de votre espèce.
DORANTE
Monsieur, je ne saurais parler autrement.
MARIO
C'est apparemment avec ces petites délicatesses-là que vous attaquez Lisette ; cela imite
l'homme de condition.
DORANTE
Je vous assure, Monsieur, que je n'imite personne ; mais sans doute que vous ne venez
pas exprès pour me traiter de ridicule, et vous aviez autre chose à me dire ; nous
parlions de Lisette, de mon inclination pour elle et de l'intérêt que vous y prenez.
MARIO
Comment morbleu ! Il y a déjà un ton de jalousie dans ce que tu me réponds ; modère-
toi un peu. Eh bien, tu me disais qu'en supposant que Lisette eût du goût pour toi, après
?
DORANTE
Pourquoi faudrait-il que vous le sussiez, Monsieur ?
MARIO
Ah, le voici ; c'est que malgré le ton badin que j'ai pris tantôt, je serais très fâché qu'elle
t'aimât, c'est que sans autre raisonnement je te défends de t'adresser davantage à elle,
non pas dans le fond que je craigne qu'elle t'aime, elle me paraît avoir le coeur trop haut
pour cela, mais c'est qu'il me déplaît à moi d'avoir Bourguignon pour rival.
DORANTE
Ma foi, je vous crois, car Bourguignon, tout Bourguignon qu'il est, n'est pas même
content que vous soyez le sien.
Commentaire composé
I) L'analyse des sentiments
A. Les sentiments amoureux
Le champ lexical montre les sentiments amoureux : « parler d'amour » ; « du goût pour moi », « mon inclination », «qu'elle t'aime ». Dorante fait un mini monologue pour montrer son étonnement : “tout ce qui se passe ici …” et ses prises de décision. Dorante joue aussi bien le jeux car il se moque de Lisette : “elle en badin”. Mais il montre aussi ses sentiments amoureux : “Elle est si aimable, qu'on n'aurait de la peine à ne pas lui pas parler d'amour”. Il ne cesse de la mettre en valeur “ si... que” et fait aussi une description de Lisette : “Aimable”. Mario fait semblant d’être un rival pour embêter Dorante et tester ses sentiments à l’égard de sa soeur Sylvia déguisée en Lisette : “vous en contez à Lisette”. Mario montre son étonnement face à Dorante par rapport à Lisette « Supposez que Lisette eut du goût pour moi » / « Du goût pour lui » Il montre sa jalousie en le nommant comme rival « Il me déplait à moi d'avoir bourguignon pour rival ».
B. Mario, un personnage provocateur
Mario utilise sa supériorité face à Dorante en lui interdisant de la revoir : “ je te défend de t'adresser davantage à elle”. En faisant cela il règle la vie sentimentale entre lui et Dorante. Mario cherche aussi à créer une tension chez Dorante pour qu’il parle. Mario a aussi un rôle comique car il se fait passer pour un spectateur. Il utilise une forme d’ironie et à un jeu d’acteur : “comment reçoit-elle ce que vous lui dites ?”
II) La critique sociale
A. Maître et valet (Mario et Bourguignon)
Mario utilise un discours impératif et injonctif pour montrer la confrontation qu’il y a entre lui et le valet : “Arrêtez, Bourguignon, j'ai un mot à vous dire”, “modère-toi un peu”, “je te défends de t'adresser davantage à elle”. Mario fait passer un interrogatoire à Dorante : « Comment reçoit-elle ce que vous dites ? », « ou prenez-vous vos termes ? », « C'est apparemment avec ces petites délicatesses là que vous attaquez Lisette ? ». Mario alterne aussi entre le tutoiement et le vouvoiement : « j'ai un mot à vous dire » / « tu as de l'esprit ». Mario traite aussi le valet avec un langage familier pour montrer son mépris et son intimité : « Vous en contez à Lisette » et montre aussi de l’agressivité « ne fais-tu pas l'hypocrite », « se paierait-on ma tête ? » Contrairement au valet qui traite respectueusement le maître : « Qu'y a t-il pour votre service, monsieur».
B. Confrontation entre maîtres (Mario et Dorante)
Mario a un but précis. Il veut déstabiliser Dorante ce qui fait allusion à son amour en arrivant brutalement : “Vous en contez à Lisette” Il y a aussi un échange de rôles. En effet, il y a un paradoxe de langage avec le langage de Dorante qui est différent d’un valet : “qu'on n'aurait de la peine à ne pas lui pas parler d'amour” et avec le langage de Mario qui utilise un vocabulaire familier. Mario accuse Dorante de ne pas être ce qu’il est à cause de son langage : “Ou prenez-vous vos termes ? Vous avez le langage bien précieux pour un garçon de votre espèce”, “ cela imite l'homme de condition” et “ ne fais-tu pas l'hypocrite”. Dorante se défend en expliquant qu’il “n’imite personne” ce qui est paradoxal puisqu’il est déguisé en valet mais il est aussi sincère car il reste naturel malgré son déguisement.
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