Analyse du portrait du Colonel Chabert

Analyse du portrait du Colonel Chabert

De «Le jeune avoué demeura pendant un moment stupéfait en entrevoyant dans le clair-obscur le singulier client qui l’attendait» à «dont le moindre mérite était de ressembler à ces fantaisies que les peintres s’amusent à dessiner au bas de leurs pierres lithographiques en causant avec leurs amis.» 

 

I) Un portrait réaliste

Balzac dépeint le Colonel Chabert avec une précision presque photographique, ancrant le personnage dans la réalité du Paris du XIXème siècle. La référence au "cabinet de Curtius" dans "Le colonel Chabert était aussi parfaitement immobile que peut l’être une figure en cire de ce cabinet de Curtius où Godeschal avait voulu mener ses camarades" situe immédiatement le lecteur dans un contexte historique et géographique précis. Cette allusion ajoute une dimension tangible et familière à la description, renforçant l’impression de réalisme.

Le narrateur décrit Chabert de manière méthodique, rappelant la technique d'un peintre détaillant chaque aspect d'un portrait. Il commence par la silhouette, qualifiant Chabert de "sec et maigre", avant de se concentrer sur le visage, en partant du front caché sous une perruque lisse, et descendant progressivement jusqu’aux yeux, pour finalement évoquer la forme générale du visage, "en lame de couteau". Cette méthode de description, allant du général au particulier, permet au lecteur de visualiser progressivement le personnage dans son intégralité.

La comparaison à une œuvre d’art, "qu’un homme d’imagination aurait pu prendre cette vieille tête pour quelque silhouette due au hasard, ou pour un portrait de Rembrandt, sans cadre", renforce cette approche détaillée et réaliste. Comme Rembrandt, connu pour la minutie de ses portraits, le narrateur offre une image riche en détails et en contrastes, comme le montre le champ lexical des ombres et de la lumière avec "projetaient un sillon noir" et "brusquerie du contraste".

Une métaphore marquante est utilisée pour illustrer la souffrance et la misère de Chabert : "les signes d’une douleur profonde, les indices d’une misère qui avait dégradé ce visage, comme les gouttes d’eau tombées du ciel sur un beau marbre l’ont à la longue défiguré." Ici, les gouttes d’eau évoquent les larmes de Chabert, symbolisant ses épreuves et sa dégradation progressive, tout en soulignant la beauté originelle du personnage, désormais altérée par la souffrance.

La description se termine par une comparaison à une œuvre d’art plus abstraite : "ressembler à ces fantaisies que les peintres s’amusent à dessiner au bas de leurs pierres lithographiques en causant avec leurs amis." Cela donne au portrait une qualité à la fois réaliste et poétique, ancrant Chabert dans un monde tangible tout en évoquant une dimension artistique.

 

II) Un portrait fantastique

Parallèlement à cette approche réaliste, Balzac infuse son portrait du Colonel Chabert d’éléments fantastiques, créant une atmosphère troublante et mystérieuse. Dès les premières lignes, les mots "stupéfait" et "singulier" introduisent un climat d’étrangeté, renforcé par "le clair-obscur" qui instaure un sentiment d'angoisse : "Le jeune avoué demeura pendant un moment stupéfait en entrevoyant dans le clair-obscur le singulier client qui l’attendait." Ce sentiment d’étonnement persiste tout au long de la description.

La métaphore de la figure de cire, "Le colonel Chabert était aussi parfaitement immobile que peut l’être une figure en cire de ce cabinet de Curtius", suggère un cadavre embaumé, renforçant l'idée de mort. La répétition du mot "immobile" et "immobilité" accentue cette impression.

L’évocation du "spectacle surnaturel que présentait l’ensemble du personnage" oriente clairement le récit vers le fantastique. Chabert est décrit comme un squelette : "Le vieux soldat était sec et maigre". Son front caché sous une perruque ajoute une dimension mystérieuse : "Son front, volontairement caché sous les cheveux de sa perruque lisse, lui donnait quelque chose de mystérieux", évoquant l’image de cheveux de squelette.

Les yeux de Chabert, "couverts d’une taie transparente", "de la nacre sale dont les reflets bleuâtres chatoyaient à la lueur des bougies", renforcent l’impression d’un être entre la vie et la mort. Le visage "pâle, livide" et "semblait mort" accentue l’aspect cadavérique du personnage.

La cravate noire "serrée" autour de son cou suggère une pendaison, ajoutant une touche macabre : "Le cou était serré par une mauvaise cravate de soie noire". L’utilisation du champ lexical de la noirceur ("sillon noir", "L’ombre") et des énumérations ("les rides blanches, les sinuosités froides, le sentiment décoloré de cette physionomie cadavéreuse") renforce l’idée de mort et de désolation.

Le narrateur décrit aussi une atmosphère de démence et de fatalité, "s’accordait avec une certaine expression de démence triste, avec les dégradants symptômes par lesquels se caractérise l’idiotisme, pour faire de cette figure", et conclut par une prétérition : "je ne sais quoi de funeste qu’aucune parole humaine ne pourrait exprimer." Cette figure de style, ironique, souligne la puissance de l'horreur que Balzac vient de décrire, tout en maintenant l’ambiguïté et le mystère.

En résumé, le portrait du Colonel Chabert est à la fois réaliste et fantastique. Balzac parvient à ancrer son personnage dans la réalité tout en lui conférant une dimension surnaturelle, créant ainsi une figure complexe et profondément troublante.

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