Commentaire composé sur le dénouement du Colonel Chabert de Balzac, dernier chapitre, la déchéance de Chabert
De «En 1840, vers la fin du mois de juin, Godeschal, alors avoué, allait à Ris, en compagnie de Derville son prédécesseur» à «Et il décrivit en l’air avec sa canne une arabesque imaginaire.»
Dans le dernier chapitre du Colonel Chabert de Balzac, les personnages de Derville et Godeschal retrouvent le colonel dans un état lamentable à l’hospice de Bicêtre. Ce passage est remarquable pour les effets produits par l’abondance de détails. Nous montrerons tout d’abord qu’il s’agit d’un roman réaliste. Nous étudierons ensuite comment Balzac insère une critique de la société dans son excipit.
Dans un premier temps, nous pouvons nous apercevoir de la déchéance du Colonel Chabert. En effet, “un de ces vieux pauvres chenus et cassés qui ont obtenu le bâton de maréchal des mendiants en vivant à Bicêtre comme les femmes indigentes vivent à la Salpêtrière” est pathétique puisque le colonel Chabert va finir sa vie dans un mouroir affreux. Ce détail rend le personnage du colonel Chabert vraiment misérable ce qui vise donc à toucher le lecteur.
On voit l’ennui du personnage à travers le registre pathétique : “Cet homme, l’un des deux mille malheureux logés dans l’Hospice de la Vieillesse, était assis sur une borne et paraissait concentrer toute son intelligence dans une opération bien connue des invalides, et qui consiste à faire sécher au soleil le tabac de leurs mouchoirs, ” En passant de héros de guerre à moins que rien, il n’a plus d’existence sociale ni morale car il n’a plus de rôle à jouer dans le monde, son désoeuvrement est total.
C’est un personnage pour qui on a de la compassion : “Ce vieillard avait une physionomie attachante. Il était vêtu de cette robe de drap rougeâtre que l’Hospice accorde à ses hôtes, espèce de livrée horrible.”
Dans la citation : “les deux amis trouvèrent assis sur la souche d’un arbre abattu le vieillard qui tenait à la main un bâton et s’amusait à tracer des raies sur le sable” , l’arbre abattu représente le personnage de Chabert qui est désormais exclu de la société. Cela montre aussi son dépit. Il attend la mort car le fait qu’il joue avec le sable évoque le verset biblique “Tu es né poussière et tu retourneras à la poussière” qui symbolise le cycle de la vie.
Il est complètement déshumanisé, il n’a plus de personnalité. Il se sent vide car on lui a volé son identité ainsi que sa vie. Sa vie n’a plus aucun sens car il n’a plus de but, ce qui l’effraie : “Pas Chabert ! pas Chabert ! je me nomme Hyacinthe, répondit le vieillard. Je ne suis plus un homme, je suis le numéro 164, septième salle, ajouta-t-il en regardant Derville avec une anxiété peureuse, avec une crainte de vieillard et d’enfant”.
Chabert est devenu fou car il ne fait plus la différence entre le passé et le présent, il vit dans ses souvenirs et sa fidélité envers Napoléon est intacte, même si la France l’a abandonné : “il les remercia par un regard stupide, en disant : « Braves troupiers ! » Il se mit au port d’armes, feignit de les coucher en joue, et s’écria en souriant : « Feu des deux pièces ! vive Napoléon ! » Et il décrivit en l’air avec sa canne une arabesque imaginaire.”
Par la suite, on se rend compte que les détails se tournent soudainement en une critique de la société du XIXème siècle.
On est dans un roman réaliste, avec une date précise, les noms des personnages et leur fonction : “En 1840, vers la fin du mois de juin, Godeschal, alors avoué, allait à Ris, en compagnie de Derville son prédécesseur.” Le réalisme de Balzac se déploie dans sa mise en scène de toutes les misères physiques et morales qui accablent les faibles, à commencer par le colonel Chabert.
Balzac fait ironiquement référence au titre honorifique de Maréchal des logis pour appuyer l’écart entre la situation actuelle de Chabert et celle qu’il mériterait d’avoir en tant que Héros de la guerre : “un de ces vieux pauvres chenus et cassés qui ont obtenu le bâton de maréchal des mendiants en vivant à Bicêtre comme les femmes indigentes vivent à la Salpêtrière”
Après tout ce qu’il a accompli pour la France, il est traité comme un rebut de la société. Balzac dénonce l’ingratitude de la France envers les héros des guerres napoléoniennes : “Il était vêtu de cette robe de drap rougeâtre que l’Hospice accorde à ses hôtes, espèce de livrée horrible.”
Godeschal se moque du colonel par rapport à son apparence, et le compare à un monstre. Il ne fait preuve d’aucune compassion. Les pronoms indéfinis nous montrent bien qu’il le considère comme un objet : “voyez donc ce vieux. Ne ressemble-t-il pas à ces grotesques qui nous viennent d’Allemagne ? Et cela vit, et cela est heureux peut-être !”
Derville est le porte parole de Balzac, qui s’oppose au romantisme car il fait parti du mouvement réaliste. La vie du colonel Chabert illustre parfaitement ce qu’est un drame romantique puisqu’il est à terre mais qu’il sert d’exemple pour dénoncer la cruauté de la société du XIXème siècle qui valorise uniquement l’argent au détriment de l’amour et de la compassion : “Ce vieux-là, mon cher, est tout un poème, ou, comme disent les romantiques, un drame.”
La comtesse a obtenu son statut social grâce au colonel comme toutes les femmes. Sans les hommes, dans la société de l’époque, elles ne valaient rien et ne pouvaient pas subvenir à leurs besoins seules, c’est donc la société qui les poussait à avoir ce comportement, comme le dit Balzac lui-même, “le mariage est une prostitution légale” “S’il est dans cet hospice au lieu d’habiter un hôtel, c’est uniquement pour avoir rappelé à la jolie comtesse Ferraud qu’il l’avait prise, comme un fiacre, sur la place”
Il a survécu à la guerre mais l’amour l’a détruit : “Il n’est pas marié, lui ! Il est bien heureux.”
Ainsi nous avons vu que l’abondance de détails dans le passage permet à Balzac d’ancrer une critique de la société dans son roman réaliste.
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ELIAS (vendredi, 21 mai 2021 09:20)
très belle fin, ce livre est incroyable.