Montesquieu, Les lettres persanes, analyse de la lettre 12
Lecture analytique
Dans cette lettre, Montesquieu nous donne la vision idyllique d'une société utopique, c’est-à-dire un monde imaginaire parfait avec des individus exceptionnels qui « aimaient la vertu » et « n’avaient de différends, que ceux d’une douce et tendre amitié faisait naître ». De plus, « dans ce pays heureux, la cupidité était étrangère : ils se faisaient des présents, où celui qui donnait croyait toujours avoir l'avantage » cette avalanche de compliments donne une vision parfaite de ce peuple, qui amène à en rêver.
Ces personnages semblent être altruistes et possèdent le sens du partage. Ils agissent tous en vue du bien commun : « ils travaillaient avec une sollicitude commune », « dans l'intérêt commun ». L’éducation y est importante, car cet altruisme n’est pas héréditaire mais se transmet de père en fils grâce aux modèles exemplaires des parents. Tous les mariages se déroulent à la perfection, avec une réciprocité des sentiments : « une union douce et fidèle ».
Cette société est non seulement parfaite, mais aussi atemporelle, c’est-à-dire qu’elle est éternelle. En effet, l’auteur utilise des indices de temps indéfinis : « le soir », et de lieu imprécis : « dans l’endroit du pays le plus écarté, séparés de leurs compatriotes indignes de leur présence ». De plus, il n’y a pas besoin d’entretenir les domaines, car « la terre semblait produire d’elle-même » et « La nature ne fournissait pas moins à leurs désirs qu’à leurs besoins », comme dans le mythe de l’âge d’or, au commencement de la Terre contrairement aux mauvais Troglodytes qui vivaient dans l’âge de fer. Le monde semble parfait, un véritable paradis sur terre, source de bonheur : « ils décrivaient ensuite les délices de la vie champêtre, et le bonheur d'une condition toujours parée de l'innocence ».
Dans cet apologue, une image de la famille idéale nous est dessinée : « ils menaient une vie heureuse et tranquille ». De plus, l’altruisme n’est pas héréditaire mais se transmet de père en fils avec le modèle exemplaire des parents : « Ils eurent bientôt la consolation des pères vertueux, qui est d'avoir des enfants qui leur ressemblent » et « Toute leur attention était d’élever leurs enfants à la vertu ».
Cette lettre de Montesquieu fait l’apologie d’une société idéale des Lumières.
Tout d’abord, pour nous convaincre, il utilise un vocabulaire mélioratif : « Ils aimaient leurs femmes, et ils en étaient tendrement chéris », « d'heureux mariages ». Mais aussi la répétition du mot vertu : « cultivée par ces vertueuses mains » ou « la vertu, bien loin de s'affaiblir dans la multitude, fut fortifiée, au contraire, par un plus grand nombre d'exemples ». Enfin, il emploie des questions rhétoriques, c’est-à-dire qui n’attendent pas de réponses et servent à retenir l’attention du lecteur : « Qui pourrait représenter ici le bonheur des Troglodytes ? ».
Puis, ce philosophe nous présente un peuple solidaire et fraternel pour compléter notre vision idyllique de la société : « ils avaient de l’humanité ; ils connaissaient la censure » et non seulement ils ne demandent pas de choses matérielles mais leurs prières sont uniquement pour les autres et pas pour eux-mêmes : « Ils n'étaient au pied des autels que pour demander la santé de leurs pères, l'union de leurs frères, la tendresse de leurs femmes, l'amour et l'obéissance de leurs enfants ». Tous vivent heureux et en parfaite harmonie : « Les jeunes filles, ornées de fleurs, et les jeunes garçons, les célébraient par leurs danses, et par les accords d'une musique champêtre ; on faisait ensuite des festins, où la joie ne régnait pas moins que la frugalité. ».
Tout au long de ce texte, des valeurs des philosophes des Lumières sont dévoilées et défendues, notamment grâce à des procédés similaires aux leurs tels que le présent de vérité générale, le narrateur s’exprime sous forme de maximes : « la vertu n'est point une chose qui doive nous coûter ; qu'il ne faut point la regarder comme un exercice pénible ; et que la justice pour autrui est une charité pour nous. ».
Le principe fondamental de cette société est la vertu (le terme revient six fois pendant la lettre). Elle est mise en pratique à chaque moment de la vie : dans le travail, l'éducation… Puis, le second principe est la solidarité et l'union du peuple qui reposent sur la justice : mouvement ternaire lignes 3/4 (solennité, insistance), « liés par la droiture », « union », « sollicitude commune pour l'intérêt commun », « justice » : « C'était dans ces assemblées que parlait la nature naïve, c'est là qu'on apprenait à donner le cœur et à le recevoir » et « ils se faisaient des présents, où celui qui donnait croyait toujours avoir l'avantage ». Ensuite, un troisième principe est le rôle de la famille. Ces deux familles vont être la base d'une nouvelle société. Son unité est assurée par « d'heureux mariages ». L'image des familles unies s'oppose au libertinage régnant en France à cette époque (XVIIIème siècle). Les parents s'attachent eux-mêmes à éduquer leurs enfants : inculquer de vraies valeurs, montrer les personnes n'ayant pas respecté ces principes (les mauvais Troglodytes). Un autre principe mis en valeur dans cette lettre est la religion. On remet ici en question le clergé et la religion l’Eglise. Montesquieu montre que la religion et le bonheur ne sont pas incompatibles. La religion soude cette communauté et la renforce dans l'application de ses valeurs. Elle sert de lien entre la vertu et le bonheur. De plus, le travail de la terre y est important. A cette époque, 80% de la population française vit dans un milieu rural. Ici, la terre nourrit ceux qui la travaillent. Elle rassemble la communauté car on la cultive ensemble : « où la joie ne régnait pas moins que la frugalité » . Enfin, le dernier principe correspond à la vie en autarcie, c’est-à-dire dans une communauté qui vit repliée sur elle-même et qui veut se protéger des autres. Elle fonctionnera seulement si elle est séparée des autres.
Dans cette lettre se cache une critique voilée par l’utopie, mais aussi grâce à l’utilisation de la lettre fictive pour éviter la censure de la société européenne. En effet, on assiste à une comparaison entre les méchants Troglodytes et les bons qui ont évolué et créé une société idéale : « les Troglodytes périrent par leur méchanceté même, et furent les victimes de leurs propres injustices. » (l. 1, 2 et 3).
Un autre principe mis en valeur dans cette lettre est la religion. Montesquieu montre que la religion et le bonheur ne sont pas incompatibles. En effet, la religion soude cette communauté : « ils chantaient ensuite les grandeurs des dieux » et la renforce dans l'application de ses valeurs en critiquant implicitement l’Eglise catholique jugée trop riche pendant que le peuple est accablé misère : « On allait au temple pour demander les faveurs des dieux : ce n'était pas les richesses et une onéreuse abondance ; de pareils souhaits étaient indignes des heureux Troglodytes ». Elle sert de lien entre la vertu et le bonheur : « Un peuple si juste devait être chéri des dieux. Dès qu'il ouvrit les yeux pour les connaître, il apprit à les craindre ; et la religion vint adoucir dans les mœurs ce que la nature y avait laissé de trop rude. Ils instituèrent des fêtes en l'honneur des dieux ».
Tous les mariages se déroulent à la perfection, avec une réciprocité des sentiments : « une union douce et fidèle » et « Ils aimaient leurs femmes, et ils en étaient tendrement chéris » dans la société décrite : « Le jeune peuple qui s'éleva sous leurs yeux s'accrut par d'heureux mariages : le nombre augmenta, l'union fut toujours la même » et « c'est là que la pudeur virginale faisait en rougissant un aveu surpris, mais bientôt confirmé par le consentement des pères ; et c'est là que les tendres mères se plaisaient à prévoir par avance une union douce et fidèle. ». De plus, le motif du mariage est l’amour alors qu’en Europe c’est l’argent : « Les filles y venaient apporter le tendre sacrifice de leur cœur, et ne leur demandaient d'autre grâce que celle de pouvoir rendre un Troglodyte heureux ».
C’est une société communautaire : « Ils travaillaient, avec une sollicitude commune, pour l’intérêt commun » où le bonheur de l’individu vient du bonheur commun. En effet, ils sont « autant liés par la droiture de leur cœur, que par la corruption de celui des autres » et « ils voyaient la désolation générale, et ne la ressentait que par la pitié : c’était le motif d’une union nouvelle ». Enfin, le partage est pour eux est source d’ennui : « Le peuple troglodyte se regardait comme une seule famille ; les troupeaux étaient presque toujours confondus ; la seule peine qu'on s'épargnait ordinairement, c'était de les partager ».
Les bons Troglodytes ont trouvé le bonheur parce qu'ils sont vertueux et altruistes (contraire de égoïstes). Ils ont surtout compris qu'il fallait faire passer l'intérêt commun avant l'intérêt
particulier. Montesquieu utilise l'apologue des Troglodytes pour critiquer implicitement la société de son temps. Voltaire, Rousseau et Diderot reprendront les mêmes
thèmes.
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