Analyse de Roberto Zucco de Bernard-Marie Koltès

Analyse de Roberto Zucco de Bernard-Marie Koltès

Tableau 2, Le meurtre de la mère

Le symbolisme de la porte dans cette scène de Roberto Zucco de Bernard-Marie Koltès est central pour comprendre la tension dramatique et la rupture définitive qui se joue entre la mère et le fils. La porte fermée représente avant tout une barrière physique et symbolique entre eux, incarnant la tentative de la mère de se protéger de son fils devenu dangereux. Elle refuse d'ouvrir la porte, affirmant « jamais », et rappelle ainsi son rejet catégorique de ce qu’il est devenu, reniant même le lien maternel en déclarant que Roberto « n’est plus [son] fils ». La porte matérialise donc la distance émotionnelle, morale et physique qu’elle veut maintenir, refusant l’accès à cet être devenu pour elle une menace, et non plus un proche.

En tant que frontière, la porte marque également le seuil entre deux mondes inconciliables : d’un côté, celui de la mère, qui tente de préserver un espace sûr et familier malgré le crime de son fils ; de l’autre, celui de Zucco, désormais extérieur, marginal et violent. Cette porte est à la fois l’expression de l’impuissance de la mère et de son désir de garder une illusion de contrôle sur la situation. Pourtant, Zucco menace d’enfoncer la porte, révélant son intention d'imposer son passage, d’éliminer toute barrière entre lui et sa mère, et de faire valoir sa volonté de manière brutale.

Lorsque Zucco défonce la porte, le symbolisme de cet acte est celui du point de non-retour dans leur relation. Il ne s'agit plus seulement de franchir un obstacle physique, mais de briser définitivement le lien de respect et de reconnaissance qui existait encore entre eux. En détruisant cette barrière, Zucco transgresse non seulement l’espace sacré et intime de la mère, mais il efface également ce qu’il restait de leur lien familial. La mère ne pourra plus ignorer sa transformation en assassin, et cette intrusion forcée achève de la couper de son fils qu'elle voit maintenant comme une figure inhumaine, presque monstrueuse.

Ainsi, la destruction de la porte marque symboliquement la rupture finale : elle scelle le passage de Zucco dans la violence irréversible, éliminant toute possibilité de réconciliation. Koltès utilise cet acte comme une métaphore de la fatalité tragique, où l’irréparable se manifeste concrètement par la force et la violence, réduisant à néant toute barrière morale et émotionnelle entre les personnages.

 

Dans cette scène de Roberto Zucco, le treillis militaire représente bien plus qu’un simple vêtement : il symbolise l'identité troublée de Zucco et devient un catalyseur de la violence et de la marginalité qui le définissent. Ce treillis, un habit de combat, reflète une personnalité en guerre, autant contre la société que contre lui-même et son passé. En insistant pour le récupérer, Zucco exprime son besoin de s’approprier une image de lui-même qui s’éloigne de l’humanité, optant pour une allure qui le rapproche d’un soldat ou d’un combattant prêt à agir sans morale ni hésitation. Le treillis devient ainsi l’emblème de sa transformation en un être qui ne recule devant aucune violence.

La revendication de ce vêtement par Zucco traduit également un désir de réaffirmation de soi, comme si cette tenue devenait le seul moyen pour lui d’affirmer une identité qu’il contrôle. En opposition aux vêtements civils ou ordinaires, le treillis militaire le distingue de son entourage, le plaçant dans une catégorie à part. Il choisit le treillis, non pas pour se fondre dans la société, mais pour se dissocier et affirmer un statut extérieur, celui d’un homme hors-la-loi qui refuse de s'intégrer. Il s'approprie donc une tenue associée à la force et à l’autorité, des caractéristiques qui, pour lui, justifient et légitiment sa violence.

Le refus initial de la mère de lui donner le treillis, sous prétexte qu'il est « sale » et « froissé », souligne un désir de sa part de purifier symboliquement son fils, de laver ce vêtement comme pour effacer la souillure de ses crimes. Pour elle, donner le treillis dans cet état, c’est accepter le fait que son fils ait cédé à la brutalité. Mais Zucco rejette cette tentative de rédemption : en affirmant qu'il lavera lui-même son treillis à la laverie automatique, il se dissocie de tout sentiment de culpabilité ou de remords, et montre qu’il assume pleinement son identité marginale et violente.

Symboliquement, le treillis incarne donc la nature mécanique et déshumanisée de Zucco. En comparant la laverie automatique à un endroit calme et « tranquille », il révèle une fascination pour un monde de mécanismes dénués de conscience, un monde où il peut, comme une machine, agir sans émotions. Cette comparaison laisse entendre que Zucco, lui aussi, fonctionne désormais « machinalement », et que ses actions, même les plus brutales, sont devenues une réponse automatique, sans humanité. Le treillis, enfin, vient cristalliser sa transformation : revêtir ce vêtement de combat, c’est accepter pleinement le rôle de meurtrier qu’il a endossé et rejeter définitivement toute tentative de réintégration dans la société.

En somme, le treillis militaire revêt une importance symbolique profonde, représentant non seulement la violence de Zucco, mais aussi son rejet de tout ce qui est humain et sa quête d’une identité détachée des liens familiaux et moraux. Koltès utilise ce vêtement comme un emblème de l’irréversibilité de la trajectoire de Zucco, soulignant le choix de ce dernier de vivre en dehors de la rédemption et de l’humanité.

 

La scène de Roberto Zucco de Bernard-Marie Koltès s’inscrit dans la tradition de la tragédie classique, tout en réinventant ses codes pour explorer des thématiques modernes et une dynamique familiale bouleversée. En reprenant des éléments tragiques traditionnels tels que le destin inéluctable, la culpabilité familiale, et la violence filiale, Koltès crée une tragédie contemporaine où la fatalité se manifeste dans la destruction des liens familiaux et la perte de repères moraux. Il renouvelle également les aspects formels de la tragédie, notamment par l’usage d’un langage mêlant familiarité et lyrisme, qui transforme le dialogue en une confrontation crue et désenchantée.

Dans cette scène, le destin tragique de Zucco est marqué par l’inéluctabilité de sa chute, un motif central dans la tragédie classique où les personnages sont souvent prisonniers d’un destin qu’ils ne peuvent pas fuir. Zucco, en franchissant le seuil de la porte et en confrontant sa mère, semble être poussé par une force intérieure irrépressible, une pulsion qui rappelle les malédictions et fatalités des héros tragiques. Comme dans les mythes d’Oedipe ou d’Oreste, auxquels la scène fait implicitement référence, le personnage se trouve en proie à une violence contre ses propres parents, symbolisant la rupture irrémédiable des liens familiaux et la transgression de tabous fondateurs de l’humanité. Le matricide qui clôt cette scène évoque ainsi un acte ultime de rupture avec toute loi sociale et morale, rappelant la gravité et l’irréversibilité des crimes des héros tragiques.

Toutefois, Koltès réinvente ce destin tragique par une approche résolument moderne. Là où les héros classiques sont souvent élevés par leur rang ou leur statut, Zucco est un être marginal, un criminel dont les actes de violence semblent aussi absurdes que destructeurs. Cette marginalité transforme la grandeur tragique classique en une errance sans gloire, dépeignant un protagoniste non pas héroïque mais monstrueux, et dont l'acte matricide apparaît davantage comme le résultat d’une déshumanisation progressive. Ainsi, Koltès insuffle une dimension tragique moderne où l’on assiste à la désintégration de l’individu et de la cellule familiale, au lieu de la grandeur d’un destin accompli.

Par ailleurs, le langage de la pièce réinvente celui de la tragédie en brisant le registre soutenu et les conventions de bienséance traditionnelles du théâtre classique. La mère, par exemple, emploie un langage familier, voire vulgaire (« tu n’es plus mon fils », « saloperie d’habit militaire », « on aurait dû te foutre à la poubelle »), qui contraste avec les tirades lyriques où elle exprime sa douleur et sa désillusion avec des accents poétiques : « Une voiture qui s’est écrasée au fond d’un ravin, on ne la répare pas. » Ce mélange crée un choc stylistique qui amplifie l’aspect tragique de la scène tout en la rendant accessible et poignante dans un contexte moderne. Koltès mélange donc des registres de langue pour souligner le fossé qui sépare les personnages et pour exprimer la violence brute et désespérée de leur confrontation.

Enfin, Koltès bouleverse la dynamique familiale classique en inversant les rôles affectifs et les symboles de tendresse, rendant l’amour maternel ambigu et instable. La caresse que Zucco adresse à sa mère, habituellement un geste de tendresse, devient ici un geste de mort, détournant la douceur en violence dans un renversement tragique et cruel. Cette ambivalence affective et cette tension entre amour et haine illustrent un paradoxe tragique moderne : là où la tragédie classique propose une résolution, même dramatique, de la crise, Koltès expose un conflit insurmontable, marqué par l’incommunicabilité et l’incompréhension entre les personnages. Ce renversement symbolise une rupture définitive où l’amour familial ne peut pas sauver, mais condamne au contraire les personnages à la violence.

 

La scène de Roberto Zucco de Bernard-Marie Koltès s’inscrit dans la tradition de la tragédie classique, tout en réinventant ses codes pour explorer des thématiques modernes et une dynamique familiale bouleversée. En reprenant des éléments tragiques traditionnels tels que le destin inéluctable, la culpabilité familiale, et la violence filiale, Koltès crée une tragédie contemporaine où la fatalité se manifeste dans la destruction des liens familiaux et la perte de repères moraux. Il renouvelle également les aspects formels de la tragédie, notamment par l’usage d’un langage mêlant familiarité et lyrisme, qui transforme le dialogue en une confrontation crue et désenchantée.

Dans cette scène, le destin tragique de Zucco est marqué par l’inéluctabilité de sa chute, un motif central dans la tragédie classique où les personnages sont souvent prisonniers d’un destin qu’ils ne peuvent pas fuir. Zucco, en franchissant le seuil de la porte et en confrontant sa mère, semble être poussé par une force intérieure irrépressible, une pulsion qui rappelle les malédictions et fatalités des héros tragiques. Comme dans les mythes d’Oedipe ou d’Oreste, auxquels la scène fait implicitement référence, le personnage se trouve en proie à une violence contre ses propres parents, symbolisant la rupture irrémédiable des liens familiaux et la transgression de tabous fondateurs de l’humanité. Le matricide qui clôt cette scène évoque ainsi un acte ultime de rupture avec toute loi sociale et morale, rappelant la gravité et l’irréversibilité des crimes des héros tragiques.

Toutefois, Koltès réinvente ce destin tragique par une approche résolument moderne. Là où les héros classiques sont souvent élevés par leur rang ou leur statut, Zucco est un être marginal, un criminel dont les actes de violence semblent aussi absurdes que destructeurs. Cette marginalité transforme la grandeur tragique classique en une errance sans gloire, dépeignant un protagoniste non pas héroïque mais monstrueux, et dont l'acte matricide apparaît davantage comme le résultat d’une déshumanisation progressive. Ainsi, Koltès insuffle une dimension tragique moderne où l’on assiste à la désintégration de l’individu et de la cellule familiale, au lieu de la grandeur d’un destin accompli.

Par ailleurs, le langage de la pièce réinvente celui de la tragédie en brisant le registre soutenu et les conventions de bienséance traditionnelles du théâtre classique. La mère, par exemple, emploie un langage familier, voire vulgaire (« tu n’es plus mon fils », « saloperie d’habit militaire », « on aurait dû te foutre à la poubelle »), qui contraste avec les tirades lyriques où elle exprime sa douleur et sa désillusion avec des accents poétiques : « Une voiture qui s’est écrasée au fond d’un ravin, on ne la répare pas. » Ce mélange crée un choc stylistique qui amplifie l’aspect tragique de la scène tout en la rendant accessible et poignante dans un contexte moderne. Koltès mélange donc des registres de langue pour souligner le fossé qui sépare les personnages et pour exprimer la violence brute et désespérée de leur confrontation.

Enfin, Koltès bouleverse la dynamique familiale classique en inversant les rôles affectifs et les symboles de tendresse, rendant l’amour maternel ambigu et instable. La caresse que Zucco adresse à sa mère, habituellement un geste de tendresse, devient ici un geste de mort, détournant la douceur en violence dans un renversement tragique et cruel. Cette ambivalence affective et cette tension entre amour et haine illustrent un paradoxe tragique moderne : là où la tragédie classique propose une résolution, même dramatique, de la crise, Koltès expose un conflit insurmontable, marqué par l’incommunicabilité et l’incompréhension entre les personnages. Ce renversement symbolise une rupture définitive où l’amour familial ne peut pas sauver, mais condamne au contraire les personnages à la violence.

En somme, Koltès reprend les fondements de la tragédie classique – fatalité, transgression des liens familiaux et violence filiale – pour en faire une tragédie contemporaine marquée par l’absurdité, l’ambiguïté morale et l’éclatement des repères traditionnels. Par un langage hybride et des symboles réinventés, il fait de la relation entre Zucco et sa mère un drame de désintégration, où la tragédie de la destinée se transforme en un miroir de la violence intérieure et du chaos de l’individu moderne.

 

La relation mère-fils dans cette scène de Roberto Zucco se distingue par une juxtaposition frappante entre douceur et violence, transformant les liens affectifs en une dynamique troublante et tragique. Cette tension entre tendresse et brutalité révèle la complexité des émotions qui se mêlent dans leur relation, exacerbée par la violence passée de Zucco et le rejet viscéral de la mère. Koltès met en scène cette dualité en opposant des souvenirs de tendresse maternelle à la cruauté des gestes et des paroles échangés, soulignant ainsi l’abîme irréparable qui s’est creusé entre eux.

La mère évoque les souvenirs de Zucco enfant, un fils « sage » et tendre, pour souligner l’étrangeté de sa transformation en meurtrier. Elle rappelle les gestes de douceur qu’il lui prodiguait autrefois, et la tendresse presque instinctive qui a marqué leur relation durant des années. La répétition des expressions telles que « toujours été doux et gentil » et les références à son regard maternel qui n’a jamais quitté son fils renvoient à un attachement profond, symbolisant l’amour inconditionnel qui persiste malgré l’horreur de ses actes. Cependant, ces souvenirs de tendresse sont teintés d’incompréhension et de désespoir, car elle ne reconnaît plus en lui l’enfant qu’elle a élevé. En déclarant « Je t’oublie, Roberto, je t’ai oublié », la mère tente d’enterrer ces souvenirs et de rompre le lien affectif devenu trop douloureux, une démarche qui accentue le contraste entre l’amour maternel et le rejet présent.

Dès lors, la douceur de ces souvenirs contraste de manière poignante avec la brutalité des paroles et des actions actuelles. Les mots de la mère oscillent entre reproches amers et insultes cinglantes, employant un langage vulgaire pour exprimer la répulsion et le rejet (« tu ne comptes pas davantage, pour moi, qu’une mouche à merde »). Ces mots rudes et violents, inhabituels pour un dialogue mère-fils, révèlent la profondeur de la blessure causée par le matricide et le parricide qui pèsent sur leur relation. Koltès, en brisant ici les codes de bienséance, souligne la gravité et l’irréversibilité du changement qui s’est opéré en Roberto, faisant basculer la tendresse maternelle dans un champ de haine et de renoncement.

Les gestes de Zucco renforcent également cette ambivalence, passant de la tendresse à la violence meurtrière dans un enchaînement qui incarne la tragédie du matricide. Après avoir pris le treillis, Zucco s’approche de sa mère, la caresse, et l’embrasse. Ces gestes, qui pourraient être interprétés comme un adieu ou une dernière marque d'affection, prennent une tournure sinistre et mortelle lorsqu’il finit par l'étrangler. Koltès utilise ainsi la caresse et l’étreinte comme une arme, détournant des gestes habituellement associés à la protection et à l’amour pour en faire des symboles de mort. Le matricide vient ici détruire tout lien affectif entre eux, transformant leur relation en un paradoxe où la douceur devient elle-même violence.

En fin de compte, cette scène met en lumière un paradoxe tragique : l’amour maternel, qui avait forgé des liens de douceur et de proximité entre la mère et son fils, se transforme en haine, en peur, et en violence inextricable. Ce mélange de tendresse et de brutalité révèle la profondeur de la rupture entre eux et souligne la déshumanisation progressive de Zucco, devenu un être pour lequel la violence est désormais la seule forme d’expression. Koltès dépeint ici une relation où les souvenirs d’affection ne suffisent plus à contenir la tragédie qui se joue, rendant ainsi toute tentative de réconciliation impossible et accentuant l’horreur d’un drame familial où l’amour lui-même devient un instrument de mort.

 

La didascalie finale de cette scène de Roberto Zucco joue un rôle fondamental dans la compréhension de l’issue dramatique de la relation entre Roberto et sa mère, tout en éclairant la transformation intérieure de Zucco. En précisant les actions finales de Zucco — « Il s’approche, la caresse, l’embrasse, la serre ; elle gémit. Il la lâche et elle tombe, étranglée » — cette didascalie décrit l’enchaînement tragique de gestes ambigus, qui oscillent entre tendresse et violence. Par ce mélange de douceur apparente et de brutalité, Koltès accentue la confusion entre amour et haine, dévoilant ainsi la complexité des émotions qui se heurtent au sein de ce lien familial désormais irréconciliable.

L’étreinte que Zucco impose à sa mère en préambule à son meurtre revêt une dimension symbolique forte : elle rappelle un geste d’affection, un dernier adieu entre une mère et son fils, mais se mue en un acte meurtrier, renversant ainsi la signification première de la caresse et de l’embrassade. Ce geste ambigu reflète la tension insoutenable entre l’attachement persistant de Zucco à sa mère et son désir de s’en libérer définitivement. Par l’embrassement qui se transforme en strangulation, Koltès fait de l’amour un véhicule de mort, révélant que le personnage de Zucco ne parvient plus à exprimer son attachement sans violence, et que tout ce qui autrefois était porteur de douceur se traduit désormais par la destruction.

Cette didascalie éclaire également la transformation de Roberto en un être pour qui les frontières entre amour et haine, tendresse et violence, se sont dissoutes. La douceur de l’étreinte, d'abord associée à l’affection filiale, devient ici le dernier moment de proximité physique entre lui et sa mère, avant que l’acte de strangulation ne vienne anéantir définitivement leur lien. L’étreinte représente alors un symbole de l’ambivalence de Roberto, déchiré entre un besoin inconscient de retrouver la chaleur maternelle et son incapacité à revenir vers cette humanité perdue. En tuant sa mère, Zucco entérine son rejet de toute attache affective, affirmant par là même sa rupture définitive avec son passé familial et son humanité.

Ainsi, la didascalie finale cristallise la tragédie intime de Zucco, un personnage qui, en désirant retrouver une dernière connexion avec sa mère, finit par la détruire. Koltès met en scène une figure pour laquelle les gestes d’amour sont devenus impossibles sans passer par la violence, et pour qui la confusion entre ces émotions est totale. Ce geste final témoigne d'une rupture existentielle, où l'acte de tuer celle qui l’a porté devient un acte de rejet de soi et de son propre passé. La didascalie, en détaillant cette étreinte morbide, condense l’essence du drame familial en une image marquante et symbolique, qui exprime avec une intensité poignante l’incompatibilité tragique entre l’amour et la haine dans la relation entre Roberto et sa mère.

 

Cette scène s’inspire des mythes grecs d’Oedipe et Oreste.

 

 I) Un être à la marge

 

La mère fait de son fils le portrait d’un fou, elle montre son inquiétude et son incompréhension  à travers la comparaison avec un train qui déraille et qui ne pourra plus jamais se redresser. De plus le train et la voiture sont des objets mécaniques qui n’ont rien d’un être vivant ce qui renforce l’allusion au fait que Roberto est inhumain et sans sentiments. Sa mère renie Roberto : “Je t’oublie, Roberto, je t’ai oublié”.  Le langage de la mère est familier voir vulgaire au début (“il est dégueulasse”) tandis que dans sa tirade son langage prend une forme poétique et plus soutenue. Koltès casse les codes de la tragédie pour mieux la réinventer avec le langage familier, mais il s’inscrit tout de même dans la tradition du personnage tragique avec l’introduction de passages en langage soutenu.

 

II) La tragédie renouvelée

 

Les champs lexicaux de la douceur et de la violence s’entremêlent, ce qui montre à la fois leur passé affectif et le changement de Roberto en assassin. La mère exprime sa violence par la parole, plus précisément lorsqu’elle dit qu’elle l’oublie elle le tue en tant que fils ce qui réveille sa violence. Dans la dernière didascalie, on voit que le tragique naît de la tension entre l’amour et la haine que se portent le fils et la mère. L’embrassade et la caresse du cou qui étaient jadis entre eux des signes de tendresse sont désormais des armes parricides. La mère refuse de rendre le treillis sale, à son fils et elle propose de lui laver car elle veut en quelque sorte nettoyer les crimes de son fils pour qu’il redevienne comme avant. Cependant Roberto, lui, ne veut pas nier ce qu’il est devenu, c’est pourquoi il décide d’aller à la laverie automatique, car c’est une machine qui lui ressemble, qui fait les choses “machinalement” et sans parler. De plus il dit que la laverie est l’endroit du monde qu’il préfère car c’est “calme” et “tranquille”  comme la mort ce qui nous prépare au meurtre de la mère qu’il semble tuer pour la faire taire. De plus il dit qu’à la laverie il y a des femmes, ce qui est inquiétant car Roberto éprouve aussi des pulsions de viol.  

 

III) La dispute

 

Nous pouvons observer un langage très agressif de la part de la mère envers son fils Roberto Zucco: “ Tu ne comptes pas davantage, pour moi, qu’une mouche à merde.” Ici Koltès rompt tous les codes du théâtre classique en enfreignant la règle de bienséance puisqu’il choque le public avec un champ lexical de la violence très présent et langage familier voire vulgaire : “tu n’es plus mon fils”, “saloperie”, “bouge-toi”, “On aurait dû [...] te foutre à la poubelle”. 

Ensuite, nous nous apercevons que la porte a beaucoup d’importance dans cette scène puisqu’elle représente la ligne à ne point franchir. Zucco a déjà tué son père, un affront si terrible qu’il deviendra un monstre au yeux de la population. Mais ce sera le fait de tuer sa mère qui justifiera cette image puisqu’une mère c’est la personne la plus précieuse au monde, c’est sa mère qui lui a donné la vie, c’est sa mère qui l’a élevé, c’est sa mère qui s’est sacrifiée afin qu’il ait une vie correcte. Tuer sa mère est un péché impardonnable, plus personne ne peut plus rien faire pour lui : “Zucco défonce la porte”. Zucco franchit la ligne…

Par la suite, Koltès utilise une ponctuation expressive qui nous fait comprendre que la mère et son fils sont en dispute. En effet, les phrases courtes en plus des points d'interrogation nombreux nous montrent à quel point la mère est à bout. Le dialogue ne mène à rien, le treillis représente la violence dont Roberto est capable, ce n’est donc pas le vêtement qui est l’enjeu de la dispute mais la monstruosité de Roberto : “Cette saloperie de treillis”. C’est une scène marquée par l’incommunicabilité car il n’y a pas d’échange réel. 

Tableau 3, Zucco et la gamine

I) Un dialogue ambigu

 

C’est la Gamine qui mène le dialogue car elle pose de nombreuses questions et elle insiste sur ce qu’elle veut savoir tandis que Roberto se contente de répondre. La Gamine ne veut pas être comparée à un petit animal mignon comme un moineau ou un poussin, elle voudrait être comparée à un rat ou un serpent à sonnette ce qui révèle son caractère vicieux et fourbe. Roberto se compare à un agent secret car il pense que c’est le métier qui se rapproche le plus à son activité de meurtrier en série car un agent secret, tue dans le secret et cache toujours sa véritable identité. La gamine veut connaître l'identité de Roberto pour pouvoir le retrouver car elle s’est éprise de lui, ne parvenant pas à le revoir elle finira par le dénoncer ce qui mènera à l’arrestation de Roberto.

 

II) Le désir de l’ailleurs

 

Roberto et la Gamine parlent de vouloir aller à voir  de la neige et des rhinocéros blancs en Afrique car peu de personnes savent qu’il y en a. Cela montre le fait qu’ils aiment ce qui est très différent de la norme. Cela symbolise leur rejet des normes sociales. L’emplois du Conditionnel montre que la Gamine se projette dans un avenir commun avec Zucco loin de réalité dans laquelle ils vivent dans le présent. De plus quand Zucco parle de l’Afrique à la gamine, il lui vend un rêve qu’elle a envie de croire.

Tableau 8, Zucco et le balèze

I) La déchéance de Zucco

 

Zucco dit que ”il n’y a pas d’amour dans le monde” et il pense que la vie ne vaut pas la peine d’être vécue. Pour Zucco le chien est un animal dont tout le monde se moque et qui est répugnant, tandis que pour Balèze un chien est meilleur qu’un homme car il reste toujours fidèle. On voit que Zucco a des paroles de mort tandis que le Balèze a des paroles de vie.

 

II) Une mort inéluctable

 

Zucco attend la mort car il n’est pas adapté à ce monde donc il voit la mort comme seule issue, ce qui en fait un personnage tragique. Zucco explique l’absence d’amour entre les êtres par le fait que “personne ne s’intéresse à personne”. Ce dialogue avec le Balèze est une réflexion sur le sens de la vie. Le téléphone est très important car à travers lui Roberto s’adresse à Dieu à qui il exprime toute sa colère.

Tableau 10, La prise d'otages

I) La brutalité de la scène

 

La brutalité de la scène est montrée par la posture et les menaces de Zucco. Il tient le pistolet sous la gorge de la femme pour l’empêcher de parler. De plus il met son pied sur la tête de son enfant et lui dit de ne pas dire un mot. Cela montre qu’il veut écraser l’enfant parce qu’il représente l’avenir, un avenir dont Zucco ne veut pas. La parole est interdite à la fois pour l’enfant et la mère pour les  déshumaniser et rendre la violence plus facile.

Zucco n’a  pas peur de la mort car il dit qu’il “s’en fout de [sa] vie”, la mort est vue comme une délivrance pour Zucco. Cette absence de peur justifie probablement le fait qu’il puisse avoir des changements de tempérament extrêmes, quand il passe d’une discussion avec une femme à  la prendre, elle et son fils, en otage et à les menacer de mort.

Zucco insiste sur le fait d’avoir une Porsche, cela est capricieux de sa part car il veut avoir tout ce que la vie à à offrir en terme de confort et d’argent puisqu’il pense qu’il n’y a pas d’amour dans ce monde matérialiste et vide de sens.

 

II) De la satire au grotesque

 

Les autres personnages sont appelés “Un Homme” et “Une femme” ce qui supprime leur individualité et les déshumanise en robots identiques et interchangeables. Les badauds ont des attitudes invraisemblables et ils rendent la situation absurde, par exemple ils discutent de voitures alors qu’ils sont menacés de mort ce qui vient renforcer les idées de Zucco, qu’il n’y a pas d’amour dans ce monde et les seules choses qui comptent pour les hommes sont matérielles. Les femmes, en revanche, sont dans une maternité protectrice tournée en ridicule parce que prononcées d’une manière niaise et invraisemblable dans ce contexte de prise d’otage : “Pauvre petit. Est-ce que ce méchant pied ne te fait pas mal ?”

Dans cette scène les “Flics” sont décrits d’une manière satirique grâce des paroles ironiques comme “Cela, au moins les flics sauront le faire” ce qui montre qu’ils ne savent rien faire et le fait qu’eux-mêmes ne bougent pas et ne font rien que recommander l’immobilisme :  “ne bougez pas”.

Tableau 15, Le dénouement

Dans ce passage du Tableau 15 de Roberto Zucco, la lumière du soleil et son intensité croissante jouent un rôle fondamental dans la création d'une atmosphère étrange et oppressante. La montée du soleil, « extraordinairement lumineux », enveloppe la scène d’une clarté inhabituelle qui devient rapidement aveuglante. Cette lumière, qui ne cesse de s’intensifier jusqu'à devenir aussi éclatante que « l’éclat d’une bombe atomique », contribue à une atmosphère à la fois mystique et menaçante, où le réel semble vaciller et se dissoudre sous une luminosité démesurée.

L’effet de cette lumière sur les personnages est multiple. D’abord, elle engendre une sorte d’éblouissement collectif, où les personnages perdent leur capacité à percevoir et à comprendre ce qui les entoure. Les voix des autres personnages réagissent à l’éclat du soleil en signalant qu’il « nous fait mal aux yeux » et « nous éblouit », ce qui témoigne d’un malaise physique mais aussi d’un malaise existentiel. Face à cette lumière écrasante, ils sont incapables de voir ou de comprendre ce que Zucco tente de leur montrer ; elle devient une barrière sensorielle, les plaçant dans une posture de rejet face aux visions de Zucco, qu’ils perçoivent comme délirantes et incompréhensibles.

Cette lumière aveuglante transforme également la dynamique de la scène en accentuant l’isolement de Zucco, qui semble être le seul à percevoir dans le soleil quelque chose d'invisible aux autres. Alors qu’il tente de leur faire voir le « sexe du soleil » et la source du vent, ses perceptions sont rejetées, et les voix lui répondent par des paroles incrédules, renforçant son image de marginal incompris et visionnaire délirant. La lumière du soleil, en brouillant leur vision, fait ressortir la solitude et l’incompréhension de Zucco, dont la perception du monde paraît de plus en plus inaccessible aux autres. Les voix l’accusent d’être « fou », et, alors que la lumière atteint un niveau insoutenable, Zucco perd son équilibre, anticipant sa chute finale.

En somme, cette lumière aveuglante participe à une atmosphère de tension et de fin imminente, où le monde semble basculer dans une luminosité irréelle et déstabilisante. Elle intensifie le contraste entre Zucco et les autres personnages, le projetant dans une dimension quasi mystique où il perçoit ce que les autres ne peuvent voir, mais où cette perception le mène également à sa propre perte. La lumière, en amplifiant sa marginalité et en réduisant les autres au silence et à l’incompréhension, symbolise la frontière infranchissable entre sa vision et celle du reste du monde, rendant l’issue tragique de la scène inévitable et insoutenable.

 

Dans Roberto Zucco, la symbolique du soleil est profondément ambivalente, représentant à la fois une force vitale et destructrice. Pour Zucco, le soleil devient une figure chargée de mystère et de puissance, qu’il interprète de manière personnelle et visionnaire. L’association du soleil au « sexe » et à la « source des vents » suggère une vision du monde où la nature et le cosmos sont investis d’une énergie créatrice brute et démesurée, presque divine, mais également insaisissable et déroutante.

Le choix du terme « sexe » pour décrire le soleil semble lier cette force cosmique à une idée de fertilité et de puissance génératrice. Pour Zucco, le soleil est plus qu’une simple étoile lumineuse ; il devient un organe créateur, un point d'origine d’où jaillit le mouvement et la vie elle-même, symbolisée ici par le vent. Cette conception du soleil montre une perception du monde profondément marquée par une fascination pour les forces primaires et essentielles de la vie, une recherche d'absolu qui le dépasse et qui le détache de la rationalité. Le soleil devient alors pour Zucco une métaphore d'une force cosmique impénétrable, incarnant une énergie vitale, violente et aveuglante, qui échappe aux logiques humaines et résonne avec son propre état intérieur troublé et chaotique.

La description du soleil comme la « source des vents » ajoute à cette vision une dimension cosmique où le vent, engendré par le soleil, symbolise une force de mouvement perpétuel et incontrôlable. Le vent qui s’élève avec violence dans la scène agit en écho aux mots de Zucco, comme si sa vision du monde se matérialisait en une tempête concrète, un ouragan qui le fait vaciller et qui accentue son isolement. Ce vent, issu de la force primordiale du soleil, semble symboliser la puissance sauvage de ses pensées et de ses émotions, agitées comme les éléments naturels. Par cette interprétation quasi mystique, Koltès montre un personnage qui s’abandonne à des visions d’un monde imprégné d’une énergie divine, mais dévastatrice, une force que lui seul semble percevoir et qui le pousse progressivement à la folie.

La manière dont Zucco parle du soleil reflète ainsi une rupture avec le monde des autres, une fracture mentale qui le rend incapable de communiquer sa vision sans être incompris. Pour lui, le soleil n’est pas fixe, il « bouge d’un côté à l’autre » et « suit » les mouvements de ceux qui le regardent, ce qui suggère une perspective de plus en plus détachée de la réalité ordinaire, marquée par un certain délire ou une obsession. La perception du soleil comme entité mouvante et vivante met en évidence un esprit en proie à une hallucination cosmique, où Zucco projette ses propres états mentaux sur le monde naturel. En affirmant des choses que les autres ne voient pas — le mouvement du soleil, son sexe, sa connexion avec le vent — Zucco se révèle de plus en plus déconnecté de la perception collective, enfermé dans une vision solitaire et symbolique qui accentue son aliénation.

Ainsi, le soleil, avec son « sexe » et sa « source des vents », devient une projection des pulsions, des obsessions et de la soif d'absolu de Zucco, mais aussi de sa dérive mentale. Il symbolise une force puissante et primordiale, tantôt créatrice, tantôt destructrice, qui rend visible l’incapacité de Zucco à rester en phase avec la réalité des autres. Ce symbole souligne ainsi la complexité de son état psychologique, fait de visions extatiques et d’une quête insatiable de transcendance qui le mènent inévitablement à sa chute.

 

Les voix qui interviennent dans cette scène de Roberto Zucco jouent un rôle comparable à celui d’un chœur dans la tragédie antique, en opposant une perception rationnelle, collective et ordinaire à la vision mystique et hallucinée de Zucco. Leur présence crée un contraste saisissant entre le délire de Zucco et la réaction pragmatique des autres, soulignant son isolement croissant et sa déconnexion totale de la réalité commune.

À travers des répliques brèves et incrédules, les voix expriment la perplexité, le doute et l’agacement face au discours énigmatique de Zucco. Alors que Zucco perçoit le soleil comme un être vivant et pulsant d’énergie, avec un « sexe » et une « source des vents », les voix de l’entourage se montrent sceptiques et ancrées dans une logique tangible : « On ne voit rien », « Comment voudrais-tu que quelque chose bouge, là-haut ? Tout y est fixé depuis l'éternité ». En se heurtant à la vision poétique et décalée de Zucco, les voix agissent comme un rappel de la réalité ordinaire, montrant que ce que Zucco perçoit comme mouvant et organique est en fait, pour eux, stable et invariable. Leur ton souvent moqueur et méprisant — « Vos gueules ! » ou « Il est fou » — participe à cette mise à distance, délimitant les frontières entre la perception de Zucco et celle des autres, renforçant son isolement au sein du groupe.

Le rôle de ces voix comme chœur de tragédie se manifeste aussi dans leur fonction d’avertissement, comme s’il s’agissait d’un ultime appel à la raison avant la chute de Zucco. Lorsqu’elles disent « Arrête, Zucco ; tu vas te casser la gueule » ou « Il est fou. Il va tomber », elles expriment une lucidité et une prémonition tragiques, comme si elles voyaient arriver l’inévitable chute de Zucco dans la démesure de sa propre vision. Les voix, telles les spectateurs d’un destin qui se scelle, comprennent que Zucco dépasse les limites de la raison, s’aventurant dans un univers où sa perception, tout comme sa quête de transcendance, le mène à une perte certaine.

Cette scène rappelle le mythe d’Icare, notamment par l’image de la montée vers le soleil et la chute qui s’ensuit. Comme Icare, Zucco se laisse envoûter par une vision fascinante et interdite : le soleil, symbole ultime de puissance, de liberté et de danger. À mesure que la lumière devient « aveuglante » et « éclatante comme une bombe atomique », le parallèle avec le mythe s’accentue, suggérant que Zucco, en fixant le soleil, s’expose lui aussi à un danger inévitable et autodestructeur. L’intensité croissante de cette lumière, que seuls Zucco semble comprendre, agit comme un piège lumineux, l’attirant irrésistiblement vers sa perte. En cherchant à s’élever vers un idéal inaccessible, incarné ici par le soleil, Zucco, tout comme Icare, ignore les avertissements du « chœur » autour de lui et s’engage dans une voie qui le conduira inévitablement à la chute.

En définitive, les voix, en opposant leur rationalité pragmatique à l’extase mystique de Zucco, soulignent la tragédie de son isolement et de son obsession. Son incapacité à se raccrocher à la perception collective l’entraîne dans une quête de l’absolu qui le détache irrémédiablement du réel. Comme dans le mythe d’Icare, cette scène met en lumière la folie de vouloir approcher une puissance divine ou surnaturelle, au prix d’une chute fatale. Les voix deviennent ainsi des témoins d’un destin inéluctable, assistant impuissantes à l’éclatement de la raison de Zucco et à sa précipitation vers une destruction auto-infligée.

 

Dans Roberto Zucco, le vent et l’ouragan qui se lèvent au cours de cette scène jouent un rôle symbolique puissant, traduisant à la fois la montée en tension émotionnelle et l’instabilité intérieure de Zucco. Ce vent violent, qui accompagne le discours mystique de Zucco sur le soleil et son énergie créatrice, devient le reflet de son état mental et physique, exprimant le tumulte qui agite son être. Il est plus qu’un simple phénomène météorologique : il incarne la force destructrice de la vision du monde de Zucco et son isolement face aux autres, qui l’interprètent comme un signe de folie.

Le vent, en tant que « source des vents » qu’il attribue au soleil, est pour Zucco une force primordiale, l’expression d’une énergie cosmique qu’il voit comme le souffle vital de l’univers. En décrivant ce vent comme émanant du « sexe » du soleil, Zucco lie cette puissance naturelle à un principe de fertilité, une impulsion créatrice brute et inarrêtable. Pourtant, ce vent, loin de représenter uniquement la vie, prend ici la forme d’un ouragan, une force indomptée qui déstabilise, tourmente et finit par menacer Zucco lui-même. L’ouragan, de manière symbolique, devient alors le miroir de l’état intérieur de Zucco, qui vacille face à sa propre vision démesurée et incontrôlable du monde. Ce lien entre le vent et son état mental suggère une perte de contrôle, une sorte de dérive intérieure, où Zucco se trouve emporté par ses propres pulsions sans parvenir à les maîtriser.

Cet ouragan traduit aussi le paroxysme émotionnel et physique de Zucco dans sa quête de transcendance. Alors que le vent se fait de plus en plus intense, il semble s'accorder avec l’extase mystique de Zucco, comme si le monde extérieur répondait à sa vision intérieure. Ce phénomène naturel s’accorde en quelque sorte avec son obsession et sa folie, donnant un écho tangible à sa perception. Le vent violent souligne ainsi son isolement extrême, car alors que Zucco perçoit le vent comme un signe de vie ou de connexion cosmique, les autres personnages voient seulement une tempête qui le fait « vaciller » et qui le menace de chute. Cette discordance entre Zucco et son entourage renforce l’idée que ce vent est une projection de son esprit en dérive, une force qui le dépasse et qu’il ne peut contenir, semblable à ses visions du soleil et de l’univers.

L’ouragan qui se lève est donc une métaphore de l’aliénation de Zucco et de sa propre autodestruction. Alors que le vent l’emporte, il devient évident que Zucco ne peut plus maintenir un équilibre, ni physique ni mental, et qu’il est pris dans un tourbillon qui le conduit inévitablement vers sa chute. Cette tempête intérieure, symbolisée par l’ouragan, exprime la force inéluctable de sa dérive tragique et l’incapacité de Zucco à revenir vers la stabilité ou la raison. En somme, le vent et l’ouragan, dans cette scène, accentuent l’état de chaos émotionnel et psychologique de Zucco, traduisant à la fois la puissance de sa vision intérieure et l'inévitabilité de sa destruction, en résonance avec la puissance aveuglante et impitoyable du soleil qu’il vénère.

 

La scène de Roberto Zucco utilise l'image de la chute de Zucco pour souligner la précarité de son équilibre physique et mental, et pour exprimer l’inéluctabilité de sa déchéance. La progression de la scène, renforcée par les didascalies et les réactions des voix autour de lui, traduit une montée en tension qui culmine dans la chute de Zucco, symbolisant sa perte totale de contrôle et son incapacité à échapper à ses obsessions destructrices.

Les didascalies jouent un rôle crucial dans cette représentation de la fragilité de Zucco. Au départ, Zucco semble stable et animé par une vision mystique du soleil, mais progressivement, son discours et son état physique deviennent instables, reflétant son esprit en déséquilibre. La didascalie « Zucco vacille » marque un premier signe de faiblesse et de perte de contrôle. Ce vacillement physique est l’écho de sa dérive mentale : à mesure que son discours sur le soleil et la « source des vents » devient plus intense et halluciné, son corps traduit cette intensité par des signes de fatigue et de fragilité. Le vacillement incarne donc la perte d’équilibre entre sa perception intérieure exaltée et le monde réel, qu’il n’arrive plus à concilier.

Les voix des autres personnages agissent comme une sorte de chœur tragique qui anticipe et commente la chute de Zucco. Elles perçoivent sa fragilité et interprètent ses visions comme des signes de folie : « Il est fou. Il va tomber. » Leur rôle est double : elles expriment d’une part leur incompréhension face aux visions exaltées de Zucco, et d’autre part leur perception de la précarité de son état physique et psychique. Ces voix le mettent en garde, sans succès, et semblent annoncer son destin tragique. Les répliques « Arrête, Zucco ; tu vas te casser la gueule » et « Il va tomber » fonctionnent à la fois comme des avertissements et comme une prise de distance. En rejetant sa vision et en anticipant sa chute, elles soulignent l’isolement de Zucco et la rupture totale entre lui et le monde des autres, qui ne peuvent ni comprendre ni sauver celui qui est pris dans sa propre folie.

La scène atteint son paroxysme dans la chute finale de Zucco, une chute à la fois littérale et symbolique. Le soleil, devenu « aveuglant comme l’éclat d’une bombe atomique », crée un environnement oppressant et écrasant qui précipite l’effondrement de Zucco. La lumière intense, qui a d’abord captivé Zucco, finit par l’aveugler et le déstabiliser totalement, révélant ainsi la dangerosité de sa quête de transcendance. Sa chute apparaît alors comme l’aboutissement inévitable de son incapacité à maintenir un équilibre entre son désir de grandeur cosmique et la réalité ordinaire. Elle symbolise la défaite de Zucco face à ses propres visions et à ses pulsions de dépassement, l’incapacité à exister dans un monde où il est en total décalage avec ceux qui l’entourent.

En somme, la scène exploite l’image de la chute pour incarner la fragilité existentielle de Zucco. Les didascalies et les réactions des voix construisent cette chute comme l’échec ultime d’une quête impossible, une recherche de sens et de liberté qui mène finalement à l’anéantissement. La chute de Zucco est ainsi la matérialisation de son isolement et de sa déconnexion de la réalité, marquant la fin tragique de son parcours, condamné par son propre besoin de s’élever au-delà des limites humaines.

 

L’évocation d’une lumière « aveuglante comme l’éclat d’une bombe atomique » dans cette scène de Roberto Zucco de Bernard-Marie Koltès amplifie la dimension tragique et apocalyptique du passage en introduisant une image à la fois terrifiante et symboliquement lourde de sens. Cette comparaison projette une intensité dramatique extrême, associant la lumière du soleil à une force destructrice capable d’anéantir et de bouleverser tout ce qui l’entoure, y compris Zucco lui-même.

L’image de la bombe atomique évoque ici une puissance incommensurable et dévastatrice, un éclat si violent qu’il dépasse les limites du supportable pour l’œil humain et la perception ordinaire. En décrivant le soleil de cette manière, Koltès confère à la scène un caractère apocalyptique : ce soleil écrasant n’est plus une source de vie, mais une force qui menace de tout détruire, Zucco y compris. Cette lumière aveuglante agit comme une métaphore de la quête obsessionnelle de Zucco pour atteindre une sorte de vérité cosmique, une lumière de révélation qui, loin de l’éclairer, le consume. L'éclat de la bombe atomique devient ainsi le symbole ultime de la démesure tragique dans laquelle Zucco est pris, où son aspiration à s’élever vers le soleil, comme un nouvel Icare, aboutit à une illumination destructrice et fatale.

Cette lumière aveuglante affecte également la perception de Zucco par les autres personnages. Pour eux, l’intensité de cette lumière est incompréhensible et insoutenable, à l’image de Zucco lui-même, dont la vision et le discours leur échappent totalement. Ils perçoivent cette lumière comme une menace et l’associent instinctivement à la folie de Zucco, en le qualifiant de « fou ». L’intensité de cette lumière renforce donc l’écart entre la perception mystique de Zucco et la rationalité pragmatique de ceux qui l’entourent, créant une distance irréversible entre lui et le monde des autres. Pour les voix qui l’observent, Zucco apparaît comme un personnage en proie à une vision hallucinée et dangereuse, emporté par une force qu’ils ne comprennent pas et qu’ils redoutent. Cette incompréhension et cette peur face à ce qu’il incarne contribuent à renforcer la perception de Zucco comme un être marginal, voire apocalyptique, qui ne peut que finir par être consumé par sa propre vision.

Enfin, cette image de lumière atomique projette une fin inévitable et tragique pour Zucco. En associant la lumière à une explosion nucléaire, Koltès suggère que l’issue de la quête de Zucco ne peut être qu’une destruction totale. L’éclat aveuglant, en effaçant la vision, devient le symbole de la perte de contrôle ultime de Zucco, le point de non-retour où son désir de transcendance se retourne contre lui pour le plonger dans le néant. Il s’agit d’un moment apocalyptique dans la mesure où la scène se clôt sur un anéantissement visuel et symbolique, marquant la défaite totale d’un homme qui, en tentant de percer les mystères de l’univers, se retrouve face à une lumière dévorante qui le dépasse et le réduit au silence.

Ainsi, l’évocation de cette lumière « aveuglante comme l’éclat d’une bombe atomique » confère à la scène une intensité dramatique qui transforme le passage en une scène de fin du monde personnelle pour Zucco. Elle exprime l’impossibilité de sa quête de transcendance et met en relief l’isolement de son personnage, perdu dans une vision qui ne peut mener qu’à sa propre destruction, tout en projetant une image effrayante et tragique de la nature humaine face à des forces qu’elle ne peut contrôler.

 

I) Le rôle des voix

 

Les voix sont des démons dans la tête de Roberto, d’où le fait qu’ils n’ont pas de corps. Leurs répliques sont très rapides car ils mènent une vive discussion philosophique et grotesque à la fois. Zucco justifie ses crimes de façon provocatrice en dénigrant la vie et plus particulièrement la vie humaine. Le spectateur éprouve de la répulsion pour Zucco ce qui engendre un effet de catharsis et souligne la morale de la pièce. Le parallèle entre l’histoire de Samson et Dalila et celle de Roberto Zucco est que Samson et Zucco ont tous les deux été trahis par une femme puisque Zucco est trahi par la Gamine qui est tombée amoureuse de lui. 

 

II) Un dénouement symbolique

 

Le champ lexical de la lumière joue un rôle tragique dans cette scène comme dans les tragédies de Sophocle et aussi dans l’Etranger de Camus. La lumière va aveugler Zucco ce qui va mener à son suicide, c’est comme la main du destin qui le pousse dans le vide.

Ici l’ascension vers le soleil aveuglant fait référence au mythe d’Icare qui s’est brûlé les ailes en voulant s’approcher trop près du soleil. C’est aussi un message pour dire que l’homme doit rester à sa place et ne peut pas atteindre le statut de dieu. 

Dans cette scène comme dans toute la pièce nous trouvons des tableaux qui présentent Zucco contre une foule de personnes ou de voix qui l’agressent. Il se dit rhinocéros ce qui fait allusion à la pièce de Ionesco cependant dans cette pièce les rhinocéros sont la foule tandis que Zucco est justement quelqu’un de très différent et qui se cache derrière une carapace parce qu'il est blessé par le monde.

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Commentaires: 1
  • #1

    Claire (lundi, 14 août 2023 15:08)

    Bonjour, merci pour votre article. Vous classez donc la pièce parmi les tragédies, j'imagine ?