Analyse des Caractères de La Bruyère, Des jugements

Analyse des Caractères de La Bruyère, Des jugements

I) La perversité de l'homme

A. Un comportement pire que celui des animaux

Dans ce passage, La Bruyère dépeint l’homme comme un être bien plus cruel et irrationnel que les animaux. Il s’appuie sur l’ironie pour démontrer l’absurdité de la thèse selon laquelle “l’homme est un animal raisonnable”. En effet, la question rhétorique suivante illustre l'ironie mordante de l’auteur : “L'homme est un animal raisonnable. Qui vous a passé cette définition ? sont-ce les loups, les singes et les lions, ou si vous vous l'êtes accordée à vous-mêmes ?”. En posant cette question, il critique la prétention des hommes à se considérer comme supérieurs aux animaux par leur raison, tout en montrant que leur comportement est souvent bien plus barbare.

L'exemple des chiens se mordant, “Mais si vous voyez deux chiens qui s'aboient, qui s'affrontent, qui se mordent et se déchirent, vous dites : "Voilà de sots animaux" ; et vous prenez un bâton pour les séparer.”, sert de miroir aux actions des hommes en temps de guerre. Les hommes jugent sévèrement les querelles animales tout en acceptant et en participant à des guerres encore plus violentes. Par cette analogie, La Bruyère critique l’hypocrisie humaine : les hommes condamnent la violence chez les animaux tout en la pratiquant eux-mêmes de manière plus pernicieuse.

 

B. Une intelligence mise au service du mal

L'un des points essentiels soulevés par La Bruyère est que l’homme utilise son intelligence non pas pour le bien commun, mais pour nuire à ses semblables. Il souligne ce paradoxe avec l'ironie dans la phrase : “C'est déjà une chose plaisante que vous donniez aux animaux, vos confrères, ce qu'il y a de pire, pour prendre pour vous ce qu'il y a de meilleur.” Ici, il dénonce la tendance humaine à s’octroyer les meilleures qualités tout en attribuant aux animaux les comportements les plus vils, alors qu’en réalité, c’est l’homme qui agit de manière destructrice.

La Bruyère poursuit sa critique à travers une description ironique des instruments de guerre : “Vous avez déjà, en animaux raisonnables, [...] imaginé les lances [...] car avec vos seules mains que vous pouviez-vous vous faire les uns aux autres, [...] ou tout au plus vous arracher les yeux de la tête ?” L’ironie est cinglante : l’homme, plutôt que de développer des outils pour améliorer sa condition, a utilisé son intelligence pour concevoir des armes toujours plus meurtrières. Le moraliste feint de se réjouir de cette capacité de destruction, alors qu'il condamne en réalité cette tendance humaine à faire la guerre.

L’auteur poursuit avec un ton tout aussi ironique lorsqu’il décrit les armes modernes : “vous avez de petits globes qui vous tuent tout d'un coup [...] d'autres plus massifs qui vous coupent en deux parts ou qui vous éventrent”. À travers cette description détaillée et glaçante, La Bruyère dénonce la fascination morbide des hommes pour la guerre et la violence, montrant à quel point leur intelligence est pervertie lorsqu’elle est mise au service de la destruction.

 

II) L'absurdité de la guerre

A. Un message à destination des hommes

La Bruyère adresse directement son message aux hommes, dénonçant l’absurdité de la guerre en utilisant la prétérition : “Je ne parle point, ô hommes, de vos légèretés, de vos folies et de vos caprices, qui vous mettent au-dessous de la taupe et de la tortue”. Ici, en prétendant ne pas vouloir en parler, il attire précisément l'attention sur les erreurs et la folie des hommes. La comparaison avec la taupe et la tortue, des animaux perçus comme lents et peu intelligents, sert à rabaisser les hommes et à souligner leur folie.

En utilisant un ton autoritaire, La Bruyère cherche à éveiller les consciences : “mais écoutez-moi un moment”. Il interpelle directement ses contemporains, les incitant à réfléchir à leurs actions. Il poursuit son argumentation en utilisant une métaphore frappante : “Que si l'on vous disait que tous les chats d'un grand pays se sont assemblés par milliers dans une plaine [...] ils se sont jetés avec fureur les uns sur les autres”. En plaçant les hommes dans la peau de chats s’entre-dévorant, l’auteur rend tangible l'absurdité de la guerre. Cette métaphore permet de mettre en lumière l’inutilité et la cruauté des conflits humains, tout en soulignant la vanité de leur quête de destruction.

La Bruyère insiste également sur les conséquences désastreuses de la guerre : “que de cette mêlée il est demeuré de part et d'autre neuf à dix mille chats sur la place, qui ont infecté l'air à dix lieues de là par leur puanteur”. Cette image rappelle les champs de bataille jonchés de cadavres, source de maladie et de souffrance. Il critique ainsi l'inhumanité des guerres qui, au-delà de la violence immédiate, laissent derrière elles des séquelles physiques et morales dont personne ne se soucie.

 

B. La dénonciation de la recherche de la gloire et de ses conséquences

La Bruyère s’attaque également à la recherche de la gloire, souvent invoquée pour justifier la guerre. Il s’interroge sur l'absurdité de ce concept avec la question rhétorique suivante : “Et si les uns ou les autres vous disaient qu'ils aiment la gloire, concluriez-vous de ce discours qu'ils la mettent à [...] anéantir leur propre espèce ?”. Ici, il pointe l’incohérence entre la quête de la gloire et la destruction de l’humanité. Il dénonce le fait que, pour un simple désir de reconnaissance ou de pouvoir, les hommes sont prêts à sacrifier des milliers de vies.

La critique de La Bruyère culmine dans cette image tragique des femmes et des enfants victimes de la guerre : “vous avez d'autres, plus pesants et plus massifs, qui vous éventrent [...] et font sauter en l'air, avec vos maisons, vos femmes qui sont en couche, l'enfant et la nourrice”. L’auteur introduit ici un registre pathétique en évoquant les femmes qui accouchent, symbole de la vie, anéanties par la violence des combats. Il montre ainsi que la guerre n'épargne personne, même les plus innocents, et que la recherche de gloire conduit à des destructions insensées.

En somme, La Bruyère, par l’ironie, les métaphores et les questions rhétoriques, offre une critique acerbe de la guerre et de la nature humaine. Son texte met en lumière l’absurdité de la violence et dénonce la perversité des hommes qui, au lieu de chercher à améliorer leur sort, s’acharnent à se détruire mutuellement.

Écrire commentaire

Commentaires: 0