Analyse des Caractères de La Bruyère, Irène
Irène pourrait être une contemporaine de La Bruyère par ses préoccupations et ses plaintes qui résonnent avec les préoccupations des lecteurs de l'époque de La Bruyère. La Bruyère utilise ce mélange des époques pour montrer l'universalité des comportements humains et des soucis de santé. Ce procédé souligne que, malgré les progrès techniques et scientifiques, les préoccupations humaines restent constantes. Le contraste entre le cadre antique et les préoccupations modernes crée un effet comique et critique, révélant la nature intemporelle des travers humains.
Le prénom "Irène", qui signifie "paix" en grec, est ironique car il contraste fortement avec l'attitude plaintive et inquiète du personnage. Irène incarne l'agitation et l'insatisfaction, loin de la sérénité que suggère son prénom. La Bruyère renforce cette ironie par le contraste entre le nom et les actions d'Irène, ainsi que par l'exagération des descriptions de ses maux et de ses consultations médicales. L'utilisation de termes médicaux et de prescriptions burlesques ajoute à cette tonalité ironique.
Esculape est présenté comme un dieu patient mais quelque peu exaspéré par les plaintes incessantes d'Irène. Il donne des conseils médicaux de manière sérieuse mais finit par admettre ses propres faiblesses, ce qui ajoute une dimension burlesque. Le duo formé avec Irène est comique car il illustre le contraste entre la gravité apparente du dieu et la nature triviale des préoccupations d’Irène. Les réponses d’Esculape, bien que médicales, sont empreintes d'une certaine absurdité qui souligne le ridicule de la situation.
La Bruyère utilise des répliques courtes et dynamiques, des interruptions et des exclamations pour donner une vivacité théâtrale à son dialogue. Le rythme rapide des échanges et le ton parfois exaspéré d’Irène contribuent à cette vivacité. L'utilisation de termes précis et de prescriptions médicales ajoute également un effet dramatique et comique, accentuant la tension entre les personnages.
La réplique d’Esculape produit un effet comique par sa simplicité et son pragmatisme. Elle contraste fortement avec les attentes d’Irène qui espérait une solution plus divine et mystérieuse. Cette réponse terre à terre désamorce la gravité de la plainte d'Irène et ridiculise ses attentes exagérées. Elle montre également l'absurdité de certaines demandes humaines et la distance entre les espérances des patients et la réalité des solutions médicales.
La progression des maux décrits par Irène, de la fatigue aux insomnies, puis aux indigestions, montre une escalade des plaintes qui deviennent de plus en plus banales et ridicules. Cette exagération initialement amusante invite ensuite à une réflexion plus sérieuse sur l'obsession humaine pour la santé et le bien-être, souvent au détriment de la véritable sagesse et de la sérénité. La Bruyère utilise l’humour pour critiquer cette tendance humaine à l'insatisfaction et à la recherche de solutions immédiates et superficielles.
Les trois interrogations d'Irène révèlent son agacement face aux réponses simplistes d’Esculape et son amour-propre blessé par l’inefficacité des solutions proposées. Elle remet en question l'autorité et la sagesse du dieu, exprimant sa frustration et son désir de recevoir des conseils plus sophistiqués et mystiques. Ses questions montrent son insatisfaction face à des réponses trop terre à terre, reflétant son besoin de se sentir prise au sérieux et son désir de solutions exceptionnelles à ses problèmes.
La dernière réponse du dieu, qui suggère qu'Irène aurait pu trouver des solutions simples sans faire un long voyage, constitue une pointe très efficace car elle souligne l’absurdité des efforts démesurés pour résoudre des problèmes simples. Cette réponse met en lumière la tendance humaine à compliquer les choses inutiles et à chercher des réponses lointaines alors que des solutions évidentes sont à portée de main. La Bruyère critique ici le manque de pragmatisme et l’orgueil des gens qui refusent de voir la simplicité des solutions.
La Bruyère fait la satire de la tendance humaine à l'auto-complaisance, à l'exagération des problèmes personnels, et au manque de pragmatisme. Il critique également l’orgueil et l'incapacité à accepter des solutions simples. La conduite qu’il préconise aux hommes est celle de la simplicité et du bon sens, de la modération dans les plaintes et d’une approche plus directe et pragmatique des problèmes quotidiens. La Bruyère encourage ainsi un retour à une sagesse pratique et une acceptation des réalités simples de la vie.
I) Un portrait qui ressemble à une fable
a) La progression d’une fable
“Irène se transporte à grands frais en Épidaure , voit Esculape dans son temple, et le consulte sur tous ses maux.”- situation initiale qui pose le cadre spatio-temporel du récit : l’action se déroule en Grèce Antique, cela est suggéré par le lieu Epidaure, sanctuaire de la médecine, et l’oracle du dieu grec de la médecine Esculape.
“D'abord elle se plaint qu'elle est lasse et recrue de fatigue ; et le dieu prononce que cela lui arrive par la longueur du chemin qu'elle vient de faire.”- introduction du dialogue avec les paroles rapportées au discours indirect - Le dieu répond de manière réaliste et simple.
“Elle dit qu'elle est le soir sans appétit ; l'oracle lui ordonne de dîner peu.
Elle ajoute qu'elle est sujette à des insomnies ; et il lui prescrit de n'être au lit que pendant la nuit.”- gradation des soucis d'Irène mais les réponses de l’oracle demeurent basiques. “Elle lui déclare que le vin lui est nuisible : l'oracle lui dit de boire de l'eau ; qu'elle a des indigestions : et il ajoute qu'elle fasse la diète.”
“Mais quel moyen de guérir cette langueur ? - Le plus court, Irène, c'est de mourir, comme on fait votre mère et votre aïeul.”- cette phrase va marquer la fin du respect d'Irène pour l’oracle
b) La fantaisie
“Elle lui demande pourquoi elle devient pesante, et quel remède ; l'oracle répond qu'elle doit se lever avant midi, et quelquefois de se servir de ses jambes pour marcher.”- Le narrateur utilise de l’ironie notamment en prescrivant comme remède à sa pesanteur de marcher et se moque des fausses “maladies” d'Irène.
“Ma vue s'affaiblit, dit Irène. - Prenez des lunettes, dit Escupale.”- Nous avons ici un anachronisme puisque les lunettes n’existaient pas dans la Grèce Antique mais elle commence à se développer au XVIIe siècle, contemporain de La Bruyère.
“Mais quel moyen de guérir cette langueur ? - Le plus court, Irène, c'est de mourir, comme on fait votre mère et votre aïeul.”- L’oracle lui suggère de mourir pour se débarrasser de toutes ses raisons de se plaindre.
c) Des personnages de comédie
Irène est présentée comme un personnage hypocondriaque. De plus le prénom Irène en grec signifie la paix, paradoxe avec ce personnage qui cherche des maladies et à la fin entre en conflit verbal avec l’oracle. A la fin, elle perd le respect pour le dieu et l’oracle puisqu’elle lui pose des questions rhétoriques qui mettent en question sa science : “et ne savais-je pas tous ces remèdes que vous m'enseignez ?”.
L’oracle quant à lui, est un personnage opposé à Irène, il a une vision réaliste des faits et se moque des questions d'Irène qu’il tourne en ridicule. Il est autoritaire puisqu’il prescrit des médicaments et utilise des impératif pour donner des ordres mais il demeure toutefois un personnage moqueur.
II) La morale
a) Une critique des courtisans et en particulier de Madame de Montespan
Pendant le règne de Louis XIV, la coquetterie se développe notamment avec toutes les parties de robes ainsi que leur volume, le maquillage notamment le langage des mouches et l’ampleur des perruques dont la nature du poil désignait le rang social. La cour est à cette période plus que jamais, un lieu d’apparences où la jeunesse et la beauté sont les moyens d’obtenir la faveur du roi, c’est pourquoi les courtisans sont alors prêts à tout pour conserver le plus longtemps possible leurs attraits. Madame de Montespan est le symbole même de la dépense excessive dans tous les domaines (des habits jusqu’aux bals en passant par le Trianon de Montespan). Par opposition à Madame de Montespan, nous avons Madame de Maintenon,qui au début était préceptrice des enfants de Madame de Montespan, toujours habillée en noir et beaucoup plus humble dans ses dépenses. Elle deviendra l'épouse du roi Louis XIV qui la préfère déjà à Madame de Montespan au moment où La Bruyère écrit Les Caractères.
b) Une réflexion sur la condition humaine
“Je m'affaiblis moi-même, continue-t-elle, et je ne suis ni si forte ni si saine que je l'ai été. - C'est, dit le dieu, que vous vieillissez.” Irène dans ce contexte incarne la personne vieillissante qui ne l’accepte pas et passe son temps à se plaindre. Elle prend sa condition physique comme une maladie mais pas comme un fait qui se produit naturellement. L’Homme manque de bon sens et ne profite pas assez du temps qui lui est imparti, ce qui est souligné par “ Que n'en usiez-vous donc, répond le dieu, sans venir me chercher de si loin, et abréger vos jours par un long voyage ?”
“Mais quel moyen de guérir cette langueur ? - Le plus court, Irène, c'est de mourir, comme on fait votre mère et votre aïeul.”- L’oracle casse l’image de la jeunesse éternelle et La Bruyère offre une vision pessimiste de la condition humaine: tout se finira par la mort.
c) Une leçon de vie
“Mais quel moyen de guérir cette langueur ? - Le plus court, Irène, c'est de mourir, comme on fait votre mère et votre aïeul.”- La Bruyère mène une réflexion existentielle et nous donne une leçon de lucidité mais aussi une leçon de l'épicurisme : la morale implicite reprend le Carpe Diem des anciens (cueille le jour, profite de ta vie pour être heureux car ton existence a une durée brève et chaque jour compte).
Conclusion :
Dans ce caractère construit à la manière d’une fable, La Bruyère utilise un contexte spatio-temporel antique, une des caractéristiques du classicisme, pour dépeindre la nature humaine. En effet, La Bruyère critique ironiquement le refus de la vieillesse à travers un personnage hypocondriaque. Dans ce caractère, il critique sa société contemporaine notamment les courtisans.
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