Analyse du Cid de Corneille
Acte I scène 4 Le monologue de Don Diègue
I) L’impuissance de Don Diègue face à sa vieillesse qui représente le destin
a) La colère
Don Diègue commence par exprimer sa colère profonde envers le père de Chimène, mais surtout envers son destin. "Ô rage !", s’exclame-t-il, révélant la profondeur de son ressentiment. Il poursuit avec une anaphore soulignant sa frustration envers son propre corps : "Mon bras qu'avec respect tout l'Espagne admire, Mon bras, qui tant de fois a sauvé cet empire, Tant de fois affermi le trône de son roi, Trahit donc ma querelle, et ne fait rien pour moi ?" Cette répétition de "Mon bras" met en évidence la force passée de Don Diègue qui l’a maintenant abandonné. Il s'adresse même à son épée, la personnifiant : "Et toi, de mes exploits glorieux instrument", montrant ainsi la dimension de sa colère et de son désespoir.
b) Le pathétique
L’exclamation "ô désespoir ! ô vieillesse ennemie !" nous montre un Don Diègue au bord du suicide. La vieillesse, ici, devient une figure du destin inéluctable contre laquelle il ne peut lutter, faisant de lui un personnage tragique. Il continue en disant : "N'ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ? Et ne suis-je blanchi dans les travaux guerriers Que pour voir en un jour flétrir tant de lauriers ?" Il se sent humilié et aurait préféré mourir avant de devenir incapable de défendre son honneur. Ce paradoxe tragique entre ses nombreuses victoires et la perte soudaine de son honneur accentue son pathétique. Don Diègue se lamente encore : "Ô cruel souvenir de ma gloire passée ! Oeuvre de tant de jours en un jour effacée ! Nouvelle dignité fatale à mon bonheur ! Précipice élevé d'où tombe mon honneur !" Il met en contraste ses victoires passées et son humiliation présente.
Il continue de souligner cette opposition en parlant de son épée : "Et toi, de mes exploits glorieux instrument, Mais d'un corps tout de glace inutile ornement," montrant que son épée, autrefois utile, est devenue une simple décoration. "Un corps tout de glace" révèle qu'il se considère déjà comme mort. Enfin, il exprime une opposition nette entre l'épée redoutée autrefois et celle devenue un simple déguisement d’apparat : "Fer, jadis tant à craindre, et qui, dans cette offense, M'as servi de parade, et non pas de défense".
II) Le renoncement
a) La démission
Don Diègue exprime son sentiment d'incapacité : "Mon bras, qui tant de fois a sauvé cet empire, Tant de fois affermi le trône de son roi," montrant qu'il était autrefois un héros, mais qu'il ne peut plus assumer ce rôle. Il décide de se retirer, estimant ne plus être digne de sa charge : "Comte, sois de mon prince à présent gouverneur ; Ce haut rang n'admet point un homme sans honneur ; Et ton jaloux orgueil par cet affront insigne Malgré le choix du roi, m'en a su rendre indigne." Humilié, il préfère céder sa place au père de Chimène.
b) La castration symbolique
Au cœur de son monologue délibératif, Don Diègue hésite entre le suicide et une vie de déshonneur : "Faut-il de votre éclat voir triompher Le Comte, Et mourir sans vengeance, ou vivre dans la honte ?" Cette hésitation reflète son profond désarroi. Plus tard, il décidera de transmettre son épée à son fils Rodrigue : "Va, quitte désormais le derniers des humains, Passe, pour me venger, en de meilleures mains." Ce passage de pouvoir symbolique au sein de la famille souligne son passage au rang de vieillard, marquant ainsi une castration symbolique de son pouvoir et de son honneur.
Ainsi, à travers ce monologue, Corneille dresse un portrait poignant de Don Diègue, un homme marqué par la perte de sa vigueur et de son honneur, et en proie à une lutte intérieure entre le désespoir et la volonté de préserver un semblant de dignité.
Acte I scène 5 Don Diègue et Don Rodrigue
Premier mouvement (vers 1-6) : Mise à l'épreuve de la fidélité et du courage de Rodrigue
La scène s'ouvre sur une question provocante de Don Diègue à son fils, « Rodrigue, as-tu du cœur ? » (v. 1), qui sert à tester la bravoure et la fidélité de Rodrigue. Cette interrogation, formulée de manière directe, cherche à éveiller une réaction immédiate de la part de son fils. Rodrigue répond sur un ton martial, « Tout autre que mon père / L’éprouverait sur l’heure » (v. 2), affirmant ainsi sa vaillance et sa détermination. Cette réplique met en avant le respect que Rodrigue porte à son père, tout en démontrant sa volonté de défendre son honneur.
Don Diègue, satisfait par la réponse de son fils, exprime alors sa fierté et son soulagement. La « colère » de Rodrigue est qualifiée d’« agréable » (v. 3) et son « ressentiment » de « doux », utilisant ainsi des oxymores qui transforment des émotions habituellement perçues comme négatives en vertus positives. Don Diègue voit dans la colère de Rodrigue le signe de la continuité familiale, comme le montrent les métonymies « mon sang » et « ma jeunesse revit » (v. 4-5). Par ces images, il associe le courage de son fils à une transmission de valeurs, renforçant ainsi le lien filial. Cette introduction prépare ainsi la demande qui va suivre : la vengeance, présentée comme un devoir familial.
Deuxième mouvement (vers 7-22) : Exposition dramatique de l'affront et glorification de l'adversaire
Après avoir mis son fils à l’épreuve, Don Diègue dévoile progressivement la nature de l’affront qu’il a subi, augmentant la tension dramatique. Il décrit l'insulte comme un « affront si cruel » qui a porté « un coup mortel » (v. 7) à l’honneur familial. Les termes choisis sont très forts, et l'utilisation d’un langage hyperbolique (« coup mortel », « honte », « d’un soufflet ») souligne l'ampleur de l'offense et la gravité de la situation. Le recours aux hyperboles est une stratégie de Don Diègue pour insister sur la nécessité de venger cet affront, ce qui est typique de la tragédie classique où l’honneur doit être lavé dans le sang.
Don Diègue poursuit en évoquant sa propre faiblesse due à l'âge, ce qui contraste avec la vigueur de son fils. Il avoue son incapacité à « soutenir » le fer (v. 11), renvoyant à la déchéance physique qui accompagne la vieillesse, tandis que le jeune Rodrigue est censé porter la charge de cette vengeance. Ce passage souligne le transfert symbolique de la responsabilité de l’honneur familial de Don Diègue à Rodrigue.
Don Diègue décrit ensuite l'adversaire en termes hyperboliques, en évoquant « l'arrogant » (v. 13) et « l'homme à redouter » (v. 14), mais aussi comme un guerrier redoutable « tout couvert de sang et de poussière » (v. 16). Cette description vise à montrer à Rodrigue l'ampleur du défi qui l'attend, tout en magnifiant la bravoure nécessaire pour affronter un tel adversaire. En exaltant la difficulté du combat, Don Diègue met en valeur la grandeur de l’acte à accomplir et le rôle héroïque que Rodrigue est appelé à jouer.
Troisième mouvement (vers 23-26) : Révélation de l'identité de l'offenseur et dilemme moral
La tension atteint son apogée lorsque Don Diègue révèle finalement l'identité de l'offenseur : « C’est… Le père de Chimène » (v. 22-23). La stychomythie, qui ralentit le rythme, contribue à faire monter la tension dramatique, soulignant la gravité de la révélation. Rodrigue, choqué, balbutie, « Le… » (v. 23), témoignant de son trouble face à cette nouvelle qui bouleverse sa situation. Ce ralentissement du rythme dramatique sert à renforcer l'impact de la révélation, en plongeant Rodrigue dans un dilemme moral complexe.
Le dilemme de Rodrigue est désormais explicite : il doit choisir entre l'obéissance à son père, qui demande réparation pour un affront, et son amour pour Chimène, fille de l'homme qu'il doit affronter. Don Diègue, conscient de l’attachement de son fils pour Chimène, utilise cette tension pour le pousser à faire un choix. Il le prévient que « qui peut vivre infâme est indigne du jour » (v. 24), une maxime qui présente la quête de vengeance comme un impératif moral inévitable. En affirmant que « plus l'offenseur est cher, plus grande est l'offense » (v. 25), Don Diègue souligne la nécessité de faire passer l'honneur avant les sentiments personnels, donnant un caractère universel et inéluctable à la vengeance.
Quatrième mouvement (vers 27-30) : Incitation à la vengeance et soumission de Rodrigue
Dans cette dernière partie, Don Diègue intensifie la pression sur son fils par une série d’impératifs : « Venge-moi, venge-toi » (v. 27), « montre-toi digne fils » (v. 28). La répétition des verbes à l'impératif renforce l'idée d'une nécessité absolue, à laquelle Rodrigue ne peut se soustraire. Don Diègue appelle son fils à prouver sa valeur en prenant la place de défenseur de l'honneur familial, en utilisant des expressions qui évoquent la fierté filiale et le devoir : « montre-toi digne fils d’un père tel que moi » (v. 28).
La scène culmine dans un appel à l'action dramatique, où Don Diègue incite son fils à « va, cours, vole et nous venge » (v. 29). La gradation dans ces verbes exprime l’urgence et l’intensité de la mission, tandis que l'allitération en « v » souligne la violence et la rapidité avec lesquelles Rodrigue doit agir. Cette tirade a pour effet de réduire Rodrigue au silence, signe de son acceptation tacite de la mission, même si la réticence liée à son amour pour Chimène persiste en lui. Le silence de Rodrigue à la fin de cette scène marque ainsi le point de bascule où la tragédie prend forme : il va devoir affronter l’homme qui est à la fois l’offenseur de son père et le père de celle qu’il aime.
Conclusion : Une scène clé dans la progression dramatique
Ce passage de l'Acte I, scène 5 de Le Cid est structuré autour de la montée progressive de la tension dramatique et de la manipulation rhétorique de Don Diègue pour convaincre son fils. À travers la mise à l'épreuve du courage de Rodrigue, l'exagération de l'affront et de l'adversaire, et la révélation de l'identité de l'offenseur, Don Diègue parvient à réduire le choix de son fils à une alternative tragique : venger l'honneur de la famille ou renoncer à son amour pour Chimène. La scène, par sa construction en mouvements distincts mais étroitement liés, constitue un moment charnière où le destin de Rodrigue bascule et où les fondements de la tragédie sont posés. Le personnage de Rodrigue, pris entre son devoir de fils et son amour, devient l’incarnation du dilemme tragique qui traverse toute la pièce, tandis que Don Diègue incarne l’autorité patriarcale et les valeurs de l’honneur.
Acte I scène 6 Le monologue de Rodrigue
I) Un déchirement intérieur
Dès le début de son monologue, Rodrigue révèle la profondeur de son tourment : "Percé jusques au fond du cœur D’une atteinte imprévue aussi bien que mortelle,". L'allitération en [s] intensifie sa souffrance, et l'enjambement du premier vers au second suggère l'absence de solution à son dilemme. Il poursuit : "Je demeure immobile,". La césure à l’hémistiche met en relief le mot "immobile", créant une pause dramatique qui mime l'arrêt du personnage. "et mon âme abattue Cède au coup qui me tue." montre un enjambement illustrant son manque de temps pour réfléchir, tandis que l'allitération en [k] évoque les coups d'épée qu'il ressent symboliquement.
Rodrigue déplore sa situation : "Si près de voir mon feu récompensé, Ô Dieu, l’étrange peine !". Le tragique de ces vers réside dans l'idée que son bonheur lui est arraché par un destin cruel, juste au moment où il croyait l'atteindre. "Que je sens de rudes combats !" fait référence à ses luttes intérieures, tandis que les questions rhétoriques "Faut-il laisser un affront impuni ? Faut-il punir le père de Chimène ?" soulignent son déchirement et son indécision : "Tous mes plaisirs sont morts, ou ma gloire ternie."
II) Une scène tragique où l’amour s’oppose au devoir
Le registre pathétique se manifeste à travers le sentiment de Rodrigue : "Misérable vengeur d’une juste querelle,". Le terme "misérable" évoque la pitié, tandis que "vengeance" renforce le thème tragique. La juxtaposition de "juste" et "querelle" ajoute une gravité fatale à son dilemme. "Et malheureux objet d’une injuste rigueur," continue dans le registre pathétique, illustrant Rodrigue subissant son destin implacable.
Le chiasme "En cet affront mon père est l’offensé, Et l’offenseur le père de Chimène !" met en lumière le dilemme tragique de Rodrigue : il doit choisir entre l'amour et le devoir. Les vers "Contre mon propre honneur mon amour s’intéresse : Il faut venger un père, et perdre une maîtresse : L’un m’anime le cœur, l’autre retient mon bras." utilisent des césures à l’hémistiche pour accentuer le dilemme, chaque partie du vers pesant les options comme sur les plateaux d’une balance. Au XVIIe siècle, le "cœur" est synonyme de courage, et ici, il représente le courage de Rodrigue face à son dilemme. "Réduit au triste choix ou de trahir ma flamme, Ou de vivre en infâme, Des deux côtés mon mal est infini." montre que Rodrigue est pris entre perdre l'amour de Chimène ou être déshonoré.
Rodrigue s’exprime ainsi : "L’un me rend malheureux, l’autre indigne du jour. Cher et cruel espoir d’une âme généreuse, Mais ensemble amoureuse," où "généreuse" signifie courageuse. Le vers suivant, "Digne ennemi de mon plus grand bonheur, Fer qui causes ma peine, M’es-tu donné pour venger mon honneur ? M’es-tu donné pour perdre ma Chimène ?", personnifie l’épée, instrument de sa gloire et de son malheur.
III) Une résolution héroïque
Finalement, Rodrigue atteint une résolution : "Il vaut mieux courir au trépas." Il comprend qu'il n'a pas vraiment de choix : "J’attire en me vengeant sa haine et sa colère ; J’attire ses mépris en ne me vengeant pas. À mon plus doux espoir l’un me rend infidèle, Et l’autre indigne d’elle." S'il ne venge pas son père, il sera déshonoré, et Chimène n'acceptera pas d'épouser un homme sans honneur. Conscient que dans tous les cas il perdra Chimène, il décide de venger son père : "Allons, mon âme ; et puisqu’il faut mourir, Mourons du moins sans offenser Chimène." et "Allons, mon bras, sauvons du moins l’honneur, Puisqu’après tout il faut perdre Chimène."
Rodrigue conclut héroïquement : "Que je meure au combat, ou meure de tristesse, Je rendrai mon sang pur comme je l’ai reçu." Pour lui, l'honneur prime sur toute autre considération. "Courons à la vengeance" marque la transformation de sa raison de vivre, passant de l'amour à la vengeance.
Acte III scène 3 Le dilemme de Chimène
I) Un aveu coupable
Elvire estime que Chimène ne devrait plus aimer Rodrigue : “Il vous prive d’un père, et vous l’aimez encore !”, rappelant ainsi à Chimène que l’honneur devrait dicter sa conduite. Par cette remarque surprise, Elvire lui rappelle les bienséances. Chimène répond par une hyperbole pour souligner l'intensité de ses sentiments : “C’est peu de dire aimer, Elvire, je l’adore”. L'amour qu'elle porte à Rodrigue la fait souffrir, car c'est un amour interdit : “Ah ! cruelle pensée ! Et cruelle poursuite où je me vois forcée !”. Chimène reconnaît la nature contradictoire de son amour : “Mon cœur, honteusement surpris par d’autres charmes”. Son cœur, fidèle à son père, est pourtant donné à Rodrigue, et l'adjectif “honteux” montre que cet amour la déshonore, qualifié d’“amour suborneur” ou traître. Chimène comprend qu'elle doit défendre son honneur, même si cela signifie se venger : “Il y va de ma gloire, il faut que je me venge”. La mise en valeur du mot “gloire” et la position du verbe “venge” à la fin du vers soulignent qu'il ne peut y avoir de gloire sans vengeance.
II) Le dilemme de Chimène
Chimène se trouve face à un véritable dilemme, comme le montre le verbe “s’oppose” : “Ma passion s’oppose à mon ressentiment”. Elle doit choisir entre son amour pour Rodrigue et son honneur familial : “Dedans mon ennemi je trouve mon amant”. Cette opposition est rendue encore plus dramatique par l'évocation du combat intérieur : “Rodrigue dans mon cœur combat encor mon père. Il l’attaque, il le presse, il cède, il se défend”, le rythme quaternaire puis ternaire mimant le duel qui se poursuit symboliquement dans le cœur de Chimène : “Tantôt fort, tantôt faible, et tantôt triomphant”. Chimène sait qu'elle doit préférer son honneur, même si cela la déchire : “Je cours sans balancer où mon honneur m’oblige”. La fidélité au sang et à la filiation est soulignée par la césure à l’hémistiche : “Je sais ce que je suis, et que mon père est mort”.
Les paroles de Chimène révèlent la contradiction entre son devoir et ses sentiments : “Je demande sa tête, et crains de l’obtenir”. La césure à l’hémistiche accentue cette opposition. Elle reconnaît que si Rodrigue est tué sur ses ordres, elle en mourra de chagrin : “Ma mort suivra la sienne, et je le veux punir !”. La nécessité de venger son père est inéluctable : “Quoi ! mon père étant mort et presque entre mes bras, Son sang criera vengeance, et je ne l’orrai pas !”.
Elvire, en questionnant Chimène, relance la conversation et entretient le dilemme de Chimène : “Mais vous aimez Rodrigue, il ne peut vous déplaire”, “Après tout que pensez-vous donc faire ?”. Chimène répond avec détermination : “Pour conserver ma gloire et finir mon ennui, Le poursuivre, le perdre, et mourir après lui”. Le rythme ternaire montre la rapidité avec laquelle Chimène court vers la mort pour être délivrée de sa souffrance. La mort apparaît ainsi comme l’unique issue à ce dilemme cornélien.
Cette scène illustre combien Chimène est une héroïne tragique. Malgré la mort de son père, tué en duel par Rodrigue, elle continue à aimer passionnément ce dernier : “C'est peu de dire aimer, Elvire : je l’adore”. Cependant, elle choisit de vivre dans l'honneur et de suivre son devoir, malgré la douleur que cela implique : “Il déchire mon cœur sans partager mon âme ; et quoi que mon amour ait sur moi de pouvoir, je ne consulte point pour suivre mon devoir : Je cours sans balancer où mon honneur m’oblige.” L’héroïne tragique doit toujours rester digne de son rang et défendre l'honneur de sa famille, même au prix de son propre bonheur : “Rodrigue m’est bien cher, son intérêt m’afflige ; mon cœur prend son parti ; mais, malgré son effort, je sais ce que je suis, et que mon père est mort.”
Acte III scène 4 Rodrigue et Chimène
I) Chimène, un personnage tiraillé entre honneur et amour
1) Le devoir de l’honneur
Dès le début de la scène, Chimène affiche sa résolution à sauver l’honneur de son père : “Va-t’en.” En refusant de parler avec l’homme qui a tué son père, même s’il s’agit de l’être qu’elle aime éperdument, Chimène illustre son profond déchirement intérieur. Elle exprime son dilemme avec une force poignante : “Malgré des feux si beaux qui troublent ma colère, Je ferai mon possible à bien venger mon père ; Mais, malgré la rigueur d’un si cruel devoir, Mon unique souhait est de ne rien pouvoir.” Chimène explique à Rodrigue que leur amour est désormais impossible parce qu’il a tué son père.
La lutte intérieure de Chimène est mise en évidence lorsqu’elle dit : “Va-t’en, encore un coup, je ne t’écoute plus.” Cette phrase sonne comme un coup de poing, témoignant de son combat pour ne pas céder à ses sentiments. Enfin, Chimène conclut en sauvant l’honneur de son père : “Adieu ; sors, et surtout garde bien qu’on te voie.”
2) L’appel de l’amour
L’amour entre Chimène et Rodrigue est puissant, comme en témoignent les exclamations : “Ô miracle d’amour !”, “Ô comble de misères !” Ces structures identiques montrent l’intensité de leurs sentiments, les deux personnages semblant ne faire qu’un. Leur désarroi est palpable : “Rodrigue, qui l’eût cru ?”, “Chimène, qui l’eût dit ?” Ils sont perdus, pris entre leur amour et leurs obligations familiales.
Chimène exprime la profondeur de son attachement à Rodrigue : “Si j’en obtiens l’effet, je t’engage ma foi De ne respirer pas un moment après toi.” Elle montre qu’elle est prête à mourir avec lui, liant ainsi leur destin de manière inextricable. Cette dualité se résume dans sa dernière réplique : “Adieu ; sors, et surtout garde bien qu’on te voie.” Chimène cherche à venger son père tout en voulant préserver Rodrigue.
II) L’acte de Don Rodrigue qui semble briser tout espoir d’amour entre les deux protagonistes
1) Un personnage désemparé face à un amour impossible…
Rodrigue, conscient de la situation désespérée, interroge Chimène : “À quoi te résous-tu ?” Il sait qu’ils ne pourront vivre l’un sans l’autre et espère peut-être la faire changer d’avis. Le dilemme cornélien est exacerbé lorsqu’ils expriment leurs sentiments : “Que de maux et de pleurs nous coûteront nos pères !” Le spectateur ressent de la compassion pour ces amoureux dont le destin tragique semble les séparer. Chimène explicite l’impossibilité de leur amour : “Que notre heur fût si proche et sitôt se perdît ?”
2) … qui semble destiné à la mort
Rodrigue annonce son destin tragique : “Que je meure !” Dès le début du texte, il est clair que la mort plane sur lui. Il exprime la fragilité de leur espoir : “Et que si près du port, contre toute apparence, Un orage si prompt brisât notre espérance ?” L’allitération en [r] souligne la souffrance du personnage et renforce l’idée de l’impossibilité de leur amour. Rodrigue fait un bilan amer de leur situation : “Ah ! regrets superflus !” Il met en avant ses remords, comme s’il pressentait la fin.
Enfin, Rodrigue conclut sur une note tragique : “Adieu : je vais traîner une mourante vie,”. Il annonce de nouveau sa mort, encadrant ainsi le dialogue dans une fatalité inévitable.
Conclusion
Dans cette scène, Corneille nous présente un dilemme cornélien par excellence. Chimène est déchirée entre son amour pour Rodrigue et son devoir envers son père, tandis que Rodrigue, conscient de l’impossibilité de leur amour, se résout à accepter son sort tragique. Cette opposition entre l’honneur et l’amour, exacerbée par la mort inévitable de Rodrigue, crée une tension dramatique intense, soulignant la profondeur et la complexité des personnages.
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