Analyse de "Seigneur je ne saurais regarder d'un bon oeil" de Du Bellay
I) Le comportement
Dans son poème, Du Bellay critique vivement l'hypocrisie des courtisans. Dès le début, il dénonce leur comportement à travers l'expression : « Seigneur, je ne saurais regarder d'un bon œil Ces vieux singes de cour. » En comparant les hommes à des « célibataires », il utilise une métaphore dévalorisante qui les rabaisse. Le terme « chante » évoque non seulement la mimique animale, mais aussi un jeu de mots avec le verbe « chanteur », qui signifie imiter de façon ridicule. Cette comparaison illustre ainsi la manière dont les courtisans se copient les uns les autres sans aucune réflexion.
Du Bellay insiste sur cette idée d'imitation servile à travers l'anaphore du « si » dans les vers : « Si leur maître se moque, ils feront le pareil, / S'il ment, ce ne sont eux qui diront du contraire. » Cette répétition souligne les multiples situations où les courtisans, sans jamais remettre en question leur comportement, suivent aveuglément leur supérieur. L'auteur a mis en lumière la soumission totale de ces hommes qui, dans leur peur de déplier à leur maître, n'osent jamais exprimer leur propre opinion. La crainte de la désapprobation les pousse à adopter une attitude hypocrite.
Cette soumission est encore accentuée par l'antithèse frappante dans les vers suivants : « Plutôt aura-ils vu, afin de lui complaire, / La lune en plein midi, à minuit le soleil. » Ces oppositions (« lune » et « midi », « minuit » et « soleil ») illustrent l'absurdité des actions des courtisans, prêts à nier l'évidence pour plaire à leur maître. Ils sont tellement obsédés par l'idée de lui plaire qu'ils n'hésitent pas à déformer la réalité.
Enfin, l'hypocrisie des courtisans est soulignée par la structure opposée de ces vers : « Si quelqu'un devant eux reçoit un bon visage, / Ils le vont caresser, bien qu'ils crèvent de rage ; / S'il le reçoit mauvais, ils le montrent au doigt. Ici, Du Bellay montre que les courtisans changent de comportement selon la situation, non par conviction, mais par intérêt. Le contraste entre l'attitude bienveillante qu'ils affichent et la rage intérieure qu'ils ressentent avec en lumière la fausseté de leurs émotions.
II) Une réflexion sur l'homme
Dans cette deuxième partie, Du Bellay élargit sa critique en réfléchissant sur la nature humaine. Il décrit les hommes comme des êtres dépourvus d'individualité, forcés de se conformer à des modèles qu'ils imitent sans réflexion personnelle : « qui ne savent rien faire, / Sinon en leur marcher les princes contrefaire, / Et se vêtir, comme eux , d’un appareil pompeux. Ici, la répétition du verbe « contrefaire » renforce l'idée que ces hommes se contentent d'imiter les princes dans leur démarche et leurs vêtements, sans se poser de questions. Ils sont ainsi présentés comme des êtres sans âme, réduits à n'être que des copies les uns des autres.
Cette critique de l'imitation est renforcée par le vers : « Ils le vont caresser, bien qu'ils créent de rage. » Ce passage met en lumière la capacité des hommes à réprimer leurs émotions, notamment lorsqu'ils atteignent un objectif personnel. L'hypocrisie, selon Du Bellay, est si forte qu'elle parvient à dominer toutes les autres émotions. Les hommes peuvent ainsi feindre la bienveillance tout en étant intérieurement rongés par la colère, montrant une maîtrise apparente qui masque leur véritable nature.
Enfin, l'auteur conclut sa réflexion avec cette observation déconcertante : « Ils se prennent à rire, et ne savent pourquoi. » Ce vers dépeint une humanité déshumanisée, où les comportements deviennent mécaniques et dénués de sens. À force d'hypocrisie et d'imitation, les hommes en viennent à perdre toute conscience de leurs propres émotions. Ils n’ont rien sans raison, montrant à quel point leur existence est devenue une routine vide de sens.
L'allitération en [r] dans cette dernière partie du texte reflète le malaise du poète face à cette situation. Le son répétitif évoque la rancœur et la frustration de Du Bellay devant l'hypocrisie omniprésente à la cour. Ce procédé stylistique accentue l'intensité de sa critique et laisse transparaître sa désillusion face à la condition humaine, en particulier celle des courtisans, piégés dans un jeu de faux-semblants.
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