Analyse de Electre de Giraudoux

Analyse de Electre de Giraudoux

Acte I scène 1 L'exposition

Giraudoux revisite dans Electre le mythe antique en introduisant des éléments contemporains et en jouant sur les perspectives narratives pour enrichir son récit.

 

I) La modernité

 

Giraudoux insuffle une modernité à la tragédie antique, en témoigne la présence inattendue de trois petites filles dans une scène initiale typiquement réservée à des personnages adultes et en autorité. La manière dont Oreste est présenté comme un étranger ajoute du mystère, contrastant avec l'approche traditionnelle où l'identité des personnages est généralement établie dès le début.

 

L'utilisation du langage familier et les comparaisons animalesques, comme dans les répliques des petites filles, rompent avec le style élévé attendu dans une tragédie classique. Cela apporte une touche d'irrévérence et de légèreté, tout en conservant une dimension symbolique forte.

 

Le palais qui pleure et rit selon les matériaux de construction symbolise la dualité des sentiments de Clytemnestre, partagée entre le deuil et la satisfaction vengeresse. La complexité des émotions et la psychologie des personnages sont ainsi mises en avant de manière originale.

 

Le narrateur joue avec les indices et les suggestions pour révéler progressivement l'identité d'Oreste et les enjeux de l'histoire. Cette technique narrative crée un dialogue interactif avec le lecteur, l'invitant à déchiffrer les codes et les allusions disséminés dans le texte.

 

II) Le tragique

 

Dans "Électre", le tragique se manifeste à travers les thèmes de la fatalité et du destin. La représentation de Clytemnestre par le palais et la notion d'une apparence trompeuse renforcent l'idée de la perte de raison et de la duplicité.

 

Les personnages semblent être prisonniers de leur destin, comme le suggère la réplique sur le jardinier qui ne peut pas parler. Les petites filles, jouant le rôle du chœur, annoncent des vérités prophétiques, soulignant l'inéluctabilité des événements tragiques.

 

L'histoire d'Oreste, racontée à travers la mosaïque des tigres et des fleurs, illustre le dilemme central du personnage, tiraillé entre l'amour et le devoir. La représentation de ses parents sous forme d'animaux et de fleurs montre symboliquement la lutte intérieure d'Oreste.

 

La description des pieds, en particulier ceux d'Électre, révèle les caractéristiques et le rôle des différents personnages dans le drame. La pureté et la mesure d'Électre sont symbolisées par ses pieds blancs, signifiant sa détermination et son intégrité.

 

En conclusion, Giraudoux réinvente la tragédie antique en y apportant une modernité et une complexité psychologique. Il utilise des éléments symboliques et des techniques narratives innovantes pour explorer les thèmes de la destinée, du conflit familial et de la quête d'identité. La tragédie d'Électre, tout en restant fidèle à ses racines mythologiques, devient un miroir des préoccupations contemporaines et des interrogations universelles sur la condition humaine.

Acte I scène 8 (fin de la scène)

Comment Giraudoux navigue-t-il entre la tendresse et la haine, le désir de vivre et la fatalité, pour dépeindre la quête impossible du bonheur et la tragédie inhérente au destin des personnages ?

 

I) Quête impossible du bonheur

 

La tendresse manifestée par Oreste envers Électre est un point central de votre analyse. Oreste, en tant que frère protecteur, essaie d'apaiser sa sœur et de comprendre sa haine. Cette marque de tendresse, notamment dans les répliques « Électre, sœur chérie ! Je t’en supplie, calme-toi », illustre la profondeur de leur lien fraternel. Oreste représente un contraste avec Électre : il n'est pas animé par la haine, mais par une volonté de protéger et de comprendre.

 

Le désir de vivre d'Oreste se manifeste dans sa capacité à apprécier les moments de paix et à repousser la haine. Sa nostalgie, illustrée par la réplique « Le palais est si beau, sous la lune... », révèle une certaine mélancolie et des regrets quant à ce qui aurait pu être. La métaphore des bras d'Électre et des murs du palais symbolise la protection et le bonheur familial perdu.

 

II) Passion et raison

 

La soif d'amour et la haine d'Électre sont intimement liées. Les sentiments contradictoires qu'elle éprouve envers ses parents, exprimés dans des phrases comme « Notre mère que j’aime [...] Notre mère que je hais », montrent qu'Électre est tiraillée entre l'amour filial et la rancune. La nostalgie de l'amour familial est palpable, mais le masque de la haine se remet en place dès que Clytemnestre réapparaît.

 

La haine d'Électre est présentée comme une force incontrôlable. Le champ lexical de la haine domine ses propos, indiquant que malgré ses tentatives de comprendre et de se raisonner, la haine est plus forte qu'elle. Électre se sent prisonnière de ce sentiment, comme si elle était destinée à haïr.

 

La voie du destin est un autre thème crucial. Le passé tragique de la famille, notamment le crime d'Agamemnon, est la source de la haine d'Électre. L'arrivée d'Oreste ne fait qu'exacerber ses sentiments violents. Électre pressent que la vérité va enfin être révélée, et sa quête de vengeance commence, symbolisant une enquête policière pour trouver les raisons de sa haine.

 

En conclusion, Giraudoux, à travers "Électre", explore la complexité des émotions humaines et la tragédie du destin. Il met en scène des personnages tiraillés entre l'amour et la haine, la tendresse et la rage, illustrant ainsi la quête impossible du bonheur dans un monde marqué par la fatalité et les conflits intérieurs. La pièce devient ainsi une réflexion sur la nature humaine, le pouvoir des émotions et l'inéluctabilité du destin.

Le lamento du jardinier

I) Une définition moderne de la tragédie

 

“C’est cela que c’est, la Tragédie, avec ses incestes, ses parricides : de la pureté, c’est-à-dire en somme de l’innocence” : Le dramaturge veut choquer son lecteur. Il exprime ici l’idée que la violence, lorsqu’elle est poussée à son paroxysme, n’est plus souillée par d’autres sentiments, elle devient alors “pure”.

“la pharaonne qui se suicide me dit espoir” : Le suicide d’un tyran donne l’espoir de plus de liberté au peuple.

“le maréchal qui trahit me dit foi” : Il peut trahir parce qu’il a foi en autre chose.

“le duc qui assassine me dit tendresse.”: Il peut commettre un crime par amour.

On en déduit que les personnages de tragédie n’ont pas les mêmes aspirations que les personnes ordinaires et nous permettent donc de voir le monde sous un angle différent, de prendre de la hauteur.

“C’est une entreprise d’amour, la cruauté… pardon je veux dire la Tragédie.” : La tragédie serait égale à la cruauté, ce qui est une définition habituelle. Mais la cruauté serait égale à l’amour… Encore une fois le but est d’interpeller le spectateur qui doit comprendre qu’il ne faut pas s’arrêter sur l’horreur apparente du crime commis car ce crime est forcément motivé par l’amour.

“ma devise de délaissé et de solitaire : joie et amour.” : Les personnes abandonnées et souffrant de solitude deviennent la plupart du temps aigries et renfermées, ce qui n’est pas le cas du jardinier. Grâce à sa foi, son bonheur ne dépend pas des circonstances.

“Je ne sais si vous êtes comme moi” : Le dramaturge parle directement à son lecteur à travers la voix du jardinier, un personnage qui ne devrait pas figurer dans une tragédie. 

“C’est une entreprise d’amour, la cruauté… pardon je veux dire la Tragédie.” : Le dramaturge utilise un ton assez spontané, il est familier, comme s’il parlait à un ami, “Moi, ç’a toujours été les silences qui me convainquent…”

“Mais je les conjure plutôt, je vous conjure, Dieu, comme preuve de votre affection, de votre voix, de vos cris, de faire un silence, une seconde de votre silence… C’est tellement plus probant. Écoutez… Merci.” : Le dramaturge dénonce les malédictions divines trop récurrentes selon lui dans les tragédies, et demande aux personnages d'arrêter de se disputer.

 

II) Une réflexion sur la foi

 

“Voilà pourquoi je suis sûr, ce matin, que si je le demandais, le ciel m’approuverait, ferait un signe, qu’un miracle est tout prêt, qui vous montrerait inscrite sur le ciel et vous ferait répéter par l’écho ma devise de délaissé et de solitaire : joie et amour.”: Le jardinier devient une figure christique puisqu’il est seul contre tous, sa devise reprend celle du christ : “Soyez dans la joie et que votre joie soit parfaite” et “Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. Il n’y a pas de plus grande joie que de donner sa vie pour ses amis”. De plus il est le seul à être certain que les prières sont toujours exaucées, comme l’a dit Jésus : “Demandez et vous recevrez” et “Tout ce que vous demanderez à mon Père en mon Nom il vous l’accordera”.

“Si vous voulez, je le lui demande. Je suis sûr comme je suis là qu’une voix d’en haut me répondrait, que résonateurs et amplificateurs et tonnerres de Dieu, Dieu, si je le réclame, les tient tout préparés, pour crier à mon commandement : joie et amour.” : A la manière du Christ, le jardinier qui a renoncé au bonheur terrestre (puisqu’il ne pourra pas épouser Electre), se sacrifie et propose d’intercéder pour que Dieu sauve le monde avec son amour.

“Mais je vous conseille plutôt de ne pas le demander. D’abord par bienséance. Ce n’est pas dans le rôle d’un jardinier de réclamer de Dieu un orage, même de tendresse.” : Giraudoux s’amuse avec son spectateur en invoquant la règle de bienséance du théâtre classique alors qu’il n’en respecte pas les règles. Il est ironique puisqu’il a donné au jardinier un rôle très important dans sa tragédie puisqu’il est le personnage qui porte le message final de sa pièce.

“ils sont tous là-haut, autant qu’ils sont, et même s’il n’y en a qu’un, et même si cet un est absent, prêts à crier joie et amour.” : Le dramaturge fait référence à l’intercession des saints.

“C’est tellement plus digne d’un homme de croire les dieux sur parole, – sur parole est un euphémisme, – sans les obliger à accentuer, à s’engager, à créer entre les uns et les autres des obligations de créancier à débiteur.” : La vraie foi c’est de croire que même si on ne demande pas d’aide, Dieu veille sur nous.

“Moi, ç’a toujours été les silences qui me convainquent…” : La vraie prière se fait seul “dans sa chambre”, ce qui veut dire dans l’intimité et le secret.

“Oui, je leur demande de ne pas crier joie et amour, n’est-ce pas ? S’ils y tiennent absolument, qu’ils crient.”  : L’expression biblique “crier à Dieu” est utilisée lorsqu’il n’y a plus aucune possibilité pour l’homme de se sauver par ses propres forces. C’est l’ultime recours.

Acte II scène 8

La haine est un thème central de cette partie du texte, exprimée à travers le mariage raté, le portrait d'Agamemnon et le dégoût physique qu'il suscite. Parallèlement, la tirade révèle un cri de libération, marqué par un discours violent et la tentation de l'assassinat.

 

I) La haine

 

1. Le mariage raté entre Clytemnestre et Agamemnon est décrit comme une relation fondée sur la violence, le manque d'amour et la communication déficiente. L'anaphore "inutile" souligne l'échec de leur intimité et la profondeur du ressentiment de Clytemnestre. Le sacrifice d'Iphigénie apparaît comme un point de rupture, transformant le manque d'amour en une haine viscérale.

 

2. Le portrait d'Agamemnon que dresse Clytemnestre est celui d'un homme méprisable, loin de l'image héroïque qu'on pourrait attendre d'un roi. Les descriptions péjoratives dépeignent un personnage vaniteux et vide, contribuant à justifier la haine de Clytemnestre. La dérision avec laquelle elle parle de lui souligne son mépris profond.

 

3. Le dégoût physique que Clytemnestre ressent pour Agamemnon est exprimé de manière vive, notamment à travers la fixation sur sa barbe frisée et son petit doigt. Ces détails superficiels sont chargés d'une aversion intense, réduisant Agamemnon à une figure presque grotesque.

 

II) Un cri de libération

 

1. Le discours de Clytemnestre est empreint d'une violence libératrice, comme un cri longtemps étouffé qui finit par éclater. La jubilation avec laquelle elle avoue le meurtre d'Agamemnon révèle une femme qui se libère enfin de la domination et de l'oppression.

 

2. La tentation de l'assassinat est présentée comme une réaction à des années de souffrance et d'humiliation. L'acte de tuer Agamemnon devient un symbole de rébellion contre le pouvoir masculin, et Clytemnestre s'affirme comme une figure de résistance féminine.

 

En conclusion, la tirade de Clytemnestre dans "Électre" de Giraudoux met en lumière la tragédie d'une femme prise dans les rets d'un mariage malheureux et d'une société patriarcale. La haine qui se dégage de ses paroles est à la fois une réaction à ses souffrances personnelles et un reflet des tensions plus larges entre les sexes. Cette haine, tout en étant destructrice, est aussi une source de puissance pour Clytemnestre, lui permettant de s'affirmer face à un destin qui semblait tout tracé.

Acte II scène 9 Le récit du meurtre

La scène de la mort de Clytemnestre et Égisthe dans "Électre" de Jean Giraudoux souligne la portée tragique et symbolique de ces événements. La haine, la fatalité, et les conflits internes des personnages sont habilement explorés à travers l'écriture dramatique de Giraudoux.

 

I) La mort de Clytemnestre

 

La description de la mort de Clytemnestre est marquée par une intensité émotionnelle et symbolique. L'animalisation de Clytemnestre, « c'était Clytemnestre », illustre sa perte d'humanité face à la fureur d'Oreste. La manière dont elle est tuée, « Mais on la saignait », renforce l'idée de sa mort comme un sacrifice, presque rituel, en écho aux sacrifices passés dans la mythologie grecque.

 

Le choix d'interpréter ses derniers mots comme un appel à Chrysothémis plutôt qu'à Électre ou Oreste souligne la complexité des relations familiales et le sentiment de trahison que ressent Oreste. Cette idée est renforcée par l'antithèse entre les termes « sensible » et « mortel », qui mettent en lumière l'horreur du parricide.

 

La scène où Clytemnestre se cramponne à Égisthe, représentant symboliquement la justice, est chargée de significations. Elle montre l'union inébranlable des deux amants dans leur culpabilité et leur destin tragique.

 

II) La mort d’Égisthe

 

La description de la mort d'Égisthe est tout aussi dramatique et symbolique. La lutte d'Égisthe, entravé par le corps de Clytemnestre, est une métaphore de son incapacité à se libérer du poids de ses crimes et de sa relation avec elle. Sa mort, marquée par le désespoir de mourir en criminel et son combat inutile contre Oreste, est empreinte de tragédie.

 

Le fait qu'Égisthe meure en appelant un nom non révélé (probablement celui d'Électre) suggère un désir final de rédemption ou de reconnaissance de sa part. Cette fin illustre la complexité du personnage d'Égisthe, tiraillé entre ses actions passées et son désir de purification.

 

En conclusion, Giraudoux parvient à tisser une scène finale dramatique et riche en symbolisme. La mort de Clytemnestre et d'Égisthe n'est pas seulement le dénouement d'une série d'actions tragiques, mais aussi une exploration profonde des thèmes de la culpabilité, du destin, et de la rédemption. Leur mort entrelacée symbolise l'inextricable lien entre leurs destins et leurs crimes, soulignant la fatalité tragique qui pèse sur la maison d'Agamemnon.

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