Explication des Misérables de Victor Hugo
Petit Gervais Première partie, livre 2, chapitre 13 De «Comme le soleil déclinait au couchant» à «de grandes brumes violettes montaient dans la clarté crépusculaire». Comment dans cet extrait de roman romantique, Hugo construit-il un personnage tiraillé entre le bien et le mal ?
I) Des personnages en conflit
Tout d’abord, on observe que Petit-Gervais est présenté comme “un petit savoyard d’une dizaine d’années qui chantait”, “un de ces doux et gais enfants qui vont de pays en pays, laissant voir leurs genoux par les trous de leur pantalon” et “jouait aux osselets avec quelques pièces de monnaie qu'il avait dans sa main, toute sa fortune probablement”. C’est un être innocent jouant sans se douter de la présence de l’homme. Par opposition, on nous présente Jean Valjean comme “assis derrière un buisson dans une grande plaine rousse absolument déserte. Jean Valjean posa son pied sur la pièce tombée”. Jean Valjean est caché derrière un buisson tel un voleur prêt à passer à l’acte. Leur confrontation est mise en scène par trois phrases courtes pouvant être interprétées comme représentant les trois pas effectués par le garçon pour atteindre l’homme. Les phrases courtes créent une tension aux phrases longues utilisées avant. Après leur confrontation, Petit-Gervais demande à Jean Valjean de lui rendre sa pièce (“rendez-moi ma pièce”), mais se fait chasser par l’homme (“Veux-tu bien te sauver!”). Le garçon est courageux mais finit par s’enfuir, désespérément, après s’être rendu compte d’avoir à faire à un homme diabolique. Jean Valjean, quant-à-lui, est tellement coupé de Dieu à ce moment là du roman, qu’il n’y a aucune élévation possible pour lui (“L'oeil de Jean Valjean resta fixé à terre.”). Les larmes pures de l’enfant sont un déclic pour le criminel qui va soudainement prendre conscience de ses fautes et les regretter: “Jean Valjean, à travers sa rêverie, l'entendit qui sanglotait”, “Ce fut comme une commotion galvanique”. Il est, aussi, comme un mort vivant : “Il était resté debout, et n'avait pas changé d'attitude depuis que l'enfant s'était enfui”.
Dans ce premier paragraphe, on voit que les deux personnages sont très différents. Petit-Gervais sert de révélateur à la cruauté du personnage. C’est un passage pathétique où l’on a un agresseur qui s’en prend à un enfant innocent.
II) Un paysage symbolique
Au début du texte, les péchés de Jean Valjean sont évoqués comme une menace avec “allongeant sur le sol l'ombre du moindre caillou”. On a aussi l’impression que celui-ci est en enfer : “dans une grande plaine rousse”. Il est coincé, comme dans une prison: “Il n'y avait à l'horizon que les Alpes”. La rencontre se déroule dans un lieu hostile, où personne ne pourra intervenir: “C'était un lieu absolument solitaire. Aussi loin que le regard pouvait s'étendre, il n'y avait personne dans la plaine ni dans le sentier”. Mais Dieu est, tout de même, présent en témoin muet de ses mauvaises actions : “On n'entendait que les petits cris faibles d'une nuée d'oiseaux de passage qui traversaient le ciel à une hauteur immense”. L’enfant apparaît, ici, comme un ange avec son auréole d’or. Alors que Jean Valjean est décrit comme une figure du diable ensanglanté. Il y a donc une opposition symbolique dans le traitement des personnages: “L'enfant tournait le dos au soleil qui lui mettait des fils d'or dans les cheveux et qui empourprait d'une lueur sanglante la face sauvage de Jean Valjean”. Dès que l’enfant est parti, la culpabilité commence à s’emparer de Jean Valjean sans qu’il s’en rende vraiment compte: “Le soleil s'était couché. L'ombre se faisait autour de Jean Valjean”. En effet, le narrateur utilise le discours indirect libre pour indiquer que le personnage pense être malade: “il est probable qu'il avait la fièvre”. Ce que le personnage prend pour un froid naturel dans “Tout à coup il tressaillit; il venait de sentir le froid du soir” n’est que le signe de la culpabilité ayant atteint son coeur. La pièce qui brille: “comme si cette chose qui luisait là dans l'obscurité eût été un oeil ouvert fixé sur lui” est une référence biblique au meurtre d’Abel (L’oeil était dans la tombe et regardait Caen). Par la suite, Jean Valjean cherche le pardon et la rédemption mais il est trop tard, il ne pourra rendre la pièce à l’enfant qui s’est enfui: “jetant à la fois ses yeux vers tous les points de l'horizon, debout et frissonnant comme une bête fauve effarée qui cherche un asile”. Enfin, le passage se termine sur une autre image de l’enfer: un enfer de solitude, froid et sombre (“Il ne vit rien. La nuit tombait, la plaine était froide et vague, de grandes brumes violettes montaient dans la clarté crépusculaire.”)
Dans le deuxième paragraphe, on voit que ce texte est romantique, parce que l’on fait une utilisation symbolique du paysage. C’est un texte engagé dans lequel Victor Hugo montre que la société rend l’homme mauvais mais que toutefois une rédemption est possible car Dieu veille.
Ainsi, dans ce texte, Victor Hugo construit un personnage tiraillé entre le bien et le mal. On le voit avec Jean Valjean qui, après avoir volé la pièce à l’enfant, se met à culpabiliser, et veut
lui rendre immédiatement. Cette culpabilité est dûe au peu de bien qu’il reste encore en lui. Une grande partie de celui-ci fût remplacée par le mal, lors de son séjour au bagne. Le mal a une
telle emprise sur lui qu’il se retrouve à commettre des crimes presque malgré lui.
L’enfant en enfer TOME II : LIVRE 3 : CHAPITRE 5 De «L’enfant regardait d’un œil égaré cette grosse étoile qu’elle ne connaissait pas et qui lui faisait peur» à «et le battement d’ailes d’une petite âme fait un bruit d’agonie sous leur voûte monstrueuse.» Comment Victor Hugo glisse-t-il vers le fantastique dans cet extrait de roman romantique ?
I) Un paysage fantastique
“L’enfant regardait d’un œil égaré cette grosse étoile qu’elle ne connaissait pas et qui lui faisait peur. La planète, en effet, était en ce moment très près de l’horizon et traversait une épaisse couche de brume qui lui donnait une rougeur horrible. La brume, lugubrement empourprée, élargissait l’astre” : Ce passage est une prolepse car Cosette est sur le point de rencontrer Jean Valjean qui va se sacrifier pour la sauver, à l’image du Christ : “On eût dit une plaie lumineuse.”
“Un vent froid soufflait de la plaine” : Le champ lexical de froid renvoit à la mort. “Le bois était ténébreux, sans aucun froissement de feuilles, sans aucune de ces vagues et fraîches lueurs de l’été.” : Il n’y a aucun bruit, aucune lumière, ce qui renvoit à la mort.
“De grands branchages s’y dressaient affreusement. Des buissons chétifs et difformes sifflaient dans les clairières. Les hautes herbes fourmillaient sous la bise comme des anguilles. Les ronces se tordaient comme de longs bras armés de griffes cherchant à prendre des proies” : Il y a une personnification des végétaux, la nature se met à bouger et essaye d’attraper Cosette. Cela peut nous faire penser à des démons et nous donne une vision de l’enfer.
“Quelques bruyères sèches, chassées par le vent, passaient rapidement et avaient l’air de s’enfuir avec épouvante devant quelque chose qui arrivait. De tous les côtés il y avait des étendues lugubres.” : Il y a le champ lexical de la peur avec des mots comme “épouvante” ou “lugubre”. Cosette se bat contre le diable et se trouve dans les enfers parce qu’elle est une enfant esclave.
“Les cavités de la nuit, les choses devenues hagardes, des profils taciturnes qui se dissipent quand on avance, des échevellements obscurs, des touffes irritées, des flaques livides, le lugubre reflété dans le funèbre, l’immensité sépulcrale du silence, les êtres inconnus possibles, des penchements de branches mystérieux, d’effrayants torses d’arbres, de longues poignées d’herbes frémissantes, on est sans défense contre tout cela.” : La terreur gagne même le paysage qui devient un paysage état d’âme caractéristique du romantisme, “On éprouve quelque chose de hideux comme si l’âme s’amalgamait à l’ombre.”
“Les forêts sont des apocalypses” : Apocalypse a le sens de révélation car la forêt c’est le lieu où l’on se perd pour mieux se retrouver, c’est donc un lieu de révélation mystique. En effet, c’est dans cette même forêt que Cosette rencontrera Jean Valjean.
“et le battement d’ailes d’une petite âme fait un bruit d’agonie sous leur voûte monstrueuse.” : C’est une métaphore, cela nous montre que le bien gagne contre le mal même en infériorité numérique, comme si Cosette brandissait l’épée de son courage.
II) Comment la focalisation interne nous fait-elle participer à la panique de l’enfant ?
“L’obscurité est vertigineuse. Il faut à l’homme de la clarté. Quiconque s’enfonce dans le contraire du jour se sent le cœur serré. Quand l’œil voit noir, l’esprit voit trouble.”: Ici, l’auteur veut nous faire comprendre que les humains, dès qu’ils sont dans le noir leur esprit commence à s’imaginer des histoires surnaturelles. “Cette pénétration des ténèbres est inexprimablement sinistre dans un enfant.” : Le mal contamine l’enfant comme une maladie insidieuse.
“On voit flotter, dans l’espace ou dans son propre cerveau, on ne sait quoi de vague et d’insaisissable comme les rêves des fleurs endormies.”: L’enfer n’est pas à l’extérieur mais à l'intérieur de nous, il ne ressort que quand l’être humain n’est pas serein donc symboliquement dans un endroit sinistre et donc que son imaginaire prend le dessus.
“On a peur et envie de regarder derrière soi” : Dans cette partie du texte, on voit bien que les sentiments du personnage sont contrôlés par le diable.
Cosette rencontre Jean Valjean dans la forêt TOME II : LIVRE 3 : CHAPITRE 5 De «Les forêts sont des apocalypses» à «L'enfant n'eut pas peur.» Comment Victor Hugo fait-il de ce passage romantique un symbole du combat du bien contre le mal ?
I) Le pathétique
Dans Les Misérables , Victor Hugo met en scène des moments profondément pathétiques qui suscitent la compassion du lecteur, en particulier à travers le personnage de Cosette. L'une des scènes les plus marquantes est celle où la fillette, terrorisée, doit affronter la forêt la nuit. L'auteur évoque sa vulnérabilité à travers une métaphore saisissante : « le battement d'ailes d'une petite âme fait un bruit d'agonie sous leur voûte monstrueuse ». Cette phrase illustre la fragilité de Cosette, réduite à une petite âme vacillante face à une nature menaçante, créant un sentiment de pitié chez le lecteur.
Les émotions que traverse Cosette sont si puissantes qu'elles deviennent difficiles à décrire, comme l'indique l'hyperbole suivante : « Ce n'était plus seulement de la terreur qui la gagnait, c'était quelque chose de plus terrible même que la terreur ». L'enfant n'est pas seulement effrayée, elle est submergée par une angoisse indicible, un sentiment qui dépasse la simple peur et qui transmet au lecteur un malaise profond.
Hugo intensifie ce pathos en insistant sur la condition physique de Cosette : « Elle frissonnait ». La brièveté de cette phrase attire l'attention sur le fait que la petite fille, seule dans la forêt, ne peut que trembler de froid et de peur, figée dans son impuissance. Ce frissonnement, à la fois physique et émotionnel, est une image forte de sa détresse. Par ailleurs, l'écrivain s'attarde sur l'effort colossal que représente pour elle le simple fait de porter un seau : « Elle marchait penchée en avant, la tête baissée, comme une vieille ». Ce contraste entre la lourdeur de la tâche et la fragilité de son jeune corps accentue le pathétique de la scène, rappelant au lecteur l'injustice de la situation et l'épuisement moral et physique que subit l'enfant.
Cette accumulation de détails sur l'état de Cosette, à travers des descriptions de son maigreur, de ses petites mains gelées et de ses jambes nues, amplifie la pitié ressentie par le lecteur. Hugo veut faire comprendre l'ampleur de la souffrance d'une fillette laissée à elle-même dans un environnement hostile, renforçant ainsi la dimension pathétique de cette scène.
II) Le romantisme
Dans Les Misérables , Victor Hugo s'inscrit également dans le mouvement romantique, en particulier à travers sa manière de décrire la nature, qui reflète les émotions des personnages. La forêt où Cosette s'aventure la nuit est décrite comme un lieu inquiétant et mystérieux : « Les forêts sont des apocalypses ». Cette métaphore suggère que la forêt n'est pas simplement un décor, mais un espace où l'on se perd et se confronte à ses peurs les plus profondes. Elle incarne à la fois un espace de terreur et de révélation.
Cette atmosphère romantique est renforcée par l'utilisation d'images grandioses, comme dans « voûte monstrueuse », où la nature prend des proportions démesurées, écrasant littéralement la petite fille sous son immensité. Ce décor oppressant reflète les émotions de Cosette, envahie par une terreur indicible, comme le montre cette phrase : « Cosette se sentait saisir par cette énormité noire de la nature ». La noirceur de la forêt semble absorber l'enfant, symbolisant une sorte de lutte entre la vie et la mort, entre l'innocence et les forces destructrices de la nature.
Hugo utilise également la prétérition pour renforcer l'intensité de la scène : « Les expressions manquent pour dire ce qu'avait d'étrange ce frisson qui la glaçait jusqu'au fond du cœur ». Ce procédé permet de suggérer que la souffrance de Cosette dépasse les mots, plongeant le lecteur dans une atmosphère de mystère et d'angoisse. La forêt devient ainsi un symbole romantique par excellence, un lieu où les émotions humaines sont amplifiées et où l'âme se confronte aux forces obscures de la nature.
III) Le sublime miraculeux (une parabole biblique)
Enfin, Les Misérables s'inscrivent dans une dimension spirituelle et sublime, où la souffrance de Cosette prend un caractère biblique. La forêt, décrite comme une apocalypse, évoque non seulement la fin d'un cycle, mais aussi une révélation divine : « Les forêts sont des apocalypses ». Ce terme n'est pas anodin : il annonce la transformation que va subir Cosette, sauvée de sa misère par une intervention quasi divine, celle de Jean Valjean.
Le combat entre le bien et le mal est omniprésent dans cette scène. Hugo décrit l'agonie de Cosette avec des accents mystiques : « le battement d'ailes d'une petite âme fait un bruit d'agonie sous leur voûte monstrueuse ». L'image des ailes rappelle la figure de l'ange, associant ainsi Cosette à une figure innocente et pure, une victime sacrifiée sur l'autel de l'injustice. Cette description fait écho aux souffrances de Jésus, un autre innocent sacrifié pour le bien des autres.
Cependant, Hugo laisse entretenir une issue rédemptrice. Lorsque l'auteur écrit : « Il n'y avait que Dieu en ce moment qui voyait cette chose triste », il suggère que malgré l'isolement de Cosette, une force supérieure veille sur elle. Jean Valjean, en apparaissant à ce moment précis, incarne cette intervention divine. Son arrivée, providentielle, soulage immédiatement l'enfant, et le poids du seau devient soudain léger : « En ce moment, elle sentit tout à coup que le seau ne pesait plus rien ». Cette scène prend une dimension miraculeuse, où Jean Valjean, figure de Dieu le Père, vient adopter Cosette et la sauver de son calvaire.
Cette adoption est d'ailleurs marquée par un cri de foi de Cosette : « Ô mon Dieu ! mon Dieu ! », qui fait écho à une prière exaucée. En adoptant Cosette, Jean Valjean prend la place du père céleste, apportant à la petite fille l'amour et la protection dont elle a été privée. Ainsi, le seau qu'elle peine à porter devient une métaphore du fardeau de sa vie, allégé par l'intervention divine de Jean Valjean.
En conclusion, Victor Hugo parvient à combiner pathétique, romantisme et sublime dans cette scène centrale des Misérables . À travers la souffrance de Cosette, il dépeint l'injustice sociale, la terreur de l'enfance abandonnée, tout en laissant entrevoir la possibilité de la rédemption et de la grâce divine.
L’enterrement de Fantine 1ère partie De «Un dernier mot sur Fantine» à «Sa tombe ressembla à son lit». Comment Hugo condamne-t-il la cruauté de la société envers les pauvres dans ce passage ?
Le récit de l’enterrement de Fantine est réalisé en focalisation zéro (« Un dernier mot sur Fantine ») par un narrateur très impliqué, ce qui permet à Hugo de susciter de très fortes émotions de compassion chez son lecteur : « Nous avons tous une mère, la terre. On rendit Fantine à cette mère. » Le narrateur rappelle que Fantine et Jean Valjean sont des personnages généreux puisque Fantine a sacrifié sa vie pour sa fille Cosette, allant jusqu’à se faire arracher les dents puis à se prostituer pour pouvoir lui envoyer de l’argent : « Heureusement Dieu sait où retrouver l’âme ». Le curé juge Fantine sur les apparences sans chercher à savoir pourquoi elle se prostituait : « Après tout, de quoi s’agissait-il ? d’un forçat et d’une fille publique ». L’argent est au coeur des préoccupations du curé qui ne montre aucune compassion pour le personnage de Fantine qui meurt pourtant en martyre : « Fantine fut donc enterrée dans le coin gratis du cimetière qui est à tous et à personne, et où l’on perd les pauvres. » La prostitution poursuit Fantine jusque dans sa mort : « On coucha Fantine dans les ténèbres parmi les premiers os venus ; elle subit la promiscuité des cendres. Elle fut jetée à la fosse publique. Sa tombe ressembla à son lit. » Dans ce passage, Victor Hugo condamne donc la société, représentée ici par le curé, qui n’a aucun égard pour les pauvres qui sont totalement déshumanisés. Le curé a oublié que la mission de l’église catholique est d’aller chercher les brebis égarées et de les sauver en leur offrant l’amour et la charité.
Chapitre XI, Christus nos liberavit De « Qu’est-ce que c’est que cette histoire de Fantine ?» à «Il est seul. Il s’appelle Dieu.» Comment Victor Hugo prend-il la défense des femmes réduites à la prostitution ?
I) Les causes de la prostitution
Tout d’abord, les femmes ont recours à la prostitution, poussées par les hommes, elles vivent généralement dans des situations précaires et ont un grand besoin d’argent : “À la faim, au froid, à l’isolement, à l’abandon, au dénûment. Marché douloureux. Une âme pour un morceau de pain. La misère offre, la société accepte.” La femme n’a pas fait ce choix d’elle-même, elle y est souvent forcée, et voit la prostitution comme seule issue. La prostitution peut également être vue comme une forme d’esclavage : “On dit que l’esclavage a disparu de la civilisation européenne. C’est une erreur. Il existe toujours, mais il ne pèse plus que sur la femme, et il s’appelle prostitution.” Les femmes sont alors perçues comme faibles et influençables, ce qui permet aux hommes de les entraîner plus facilement dans la prostitution.
II) Le pathétique
Pour persuader le lecteur, Victor Hugo raconte l’histoire de Fantine, une jeune femme pauvre, qui a eu recours à la prostitution et à de nombreux autres moyens plus compliqués les uns que les autres, pour gagner de l’argent et essayer d’assurer la vie de sa fille Cosette. Il compare Fantine à une esclave, car elle est poussée à la prostitution : “Qu’est-ce que c’est que cette histoire de Fantine ? C’est la société achetant une esclave.” L’énumération : “la grâce, sur la faiblesse, sur la beauté, sur la maternité” a pour but de toucher le lecteur : la grâce renvoie au divin, pour Victor Hugo, faire mal à une femme serait comme faire mal à Dieu. La faiblesse doit être protégée par la force et non pas asservie. La beauté se doit d’être admirée et non souillée et la maternité, moment le plus important dans la vie d’une femme, ne doit pas être supprimer à la femme. A cause de son état et de son dévouement pour sa fille, Fantine a été privée de sa maternité et ne l’a plus jamais vue. Malgré ses nombreuses tentatives, Fantine a échoué : “Elle a tout ressenti, tout supporté, tout éprouvé, tout souffert, tout perdu, tout pleuré.” L’énumération renforce l’idée de perte et d'effondrement. De plus, le rythme des phrases est semblable à la mer, il change constamment, et la longueur des phrases diverge. Victor Hugo veut également émouvoir son lecteur, en insistant sur le déshonneur social et la perte d’identité de Fantine. “Elle est devenue marbre en devenant boue. Qui la touche a froid. Elle passe, elle vous subit et elle vous ignore ; elle est la figure déshonorée et sévère. La vie et l’ordre social lui ont dit leur dernier mot.” Il veut montrer au lecteur que Fantine malgré s’être donnée corps et âme pour trouver un moyen de s’en sortir, a perdu toute dignité, elle s’est épuisée pour une cause et n’en obtiendra jamais les bénéfices : “Elle a tout ressenti, tout supporté, tout éprouvé, tout souffert, tout perdu, tout pleuré. Elle est résignée de cette résignation qui ressemble à l’indifférence comme la mort ressemble au sommeil. Elle n’évite plus rien. Elle ne craint plus rien. Tombe sur elle toute la nuée et passe sur elle tout l’océan ! que lui importe ! c’est une éponge imbibée.” Victor Hugo la compare même à “une éponge imbibée” pour renvoyer à ses souffrances et à sa soumission, à toutes ces choses qu’elle a faite, qui lui ont fait perdre sa dignité, et qui lui ont presque ôté la vie : “La vie et l’ordre social lui ont dit leur dernier mot.” Fantine n’a plus l’impression de ressentir d’émotions et elle est comme morte, car sa vie n’est que de souffrances et toute forme de bonheur lui est désormais inaccessible.
III) L’importance de la foi chrétienne
L’esclavage est contraire aux lois divines, et les hommes les bafouent, en soumettant la femme a une forme d’esclavage: la prostitution. La femme, qui est selon Victor Hugo un être de grâce, qui renvoie au divin est en réalité humiliée et torturée par les hommes : “La sainte loi de Jésus-Christ gouverne notre civilisation, mais elle ne la pénètre pas encore”. Les femmes sont alors sous l’emprise de l’homme et sont prisonnières de la cruauté des hommes. De plus, “Christus nos liberavit” apparaît comme ironique, car en réalité, seuls les hommes sont libres et maîtres de leur choix. Les hommes seront néanmoins punis par Dieu lors de leur mort, mais dans la vie terrestre les femmes continuent d’être maltraitées. Les questions rhétoriques de Victor Hugo : “Hélas ! qu’est-ce que toutes ces destinées ainsi poussées pêle-mêle ? où vont-elles ? pourquoi sont-elles ainsi ?” montrent l’implication émotionnelle de l’auteur, et s’adressent directement à Dieu lui-même. Victor Hugo est dans sa fonction messianique, il perçoit des choses spirituelles que les autres ne peuvent pas voir et qu’il veut transmettre à ses lecteurs. “Celui qui sait cela voit toute l’ombre. Il est seul. Il s’appelle Dieu.” Les phrases finales sont détachées du reste du texte, qui s’apparente à un discours, pour être mises en valeur et sont semblables à un avertissement à l’encontre des hommes malsains et cruels.
Partie V, Livre I. La mort de Gavroche De «Sous les plis de ce voile de fumée» à «Cette petite grande âme venait de s’envoler.» Comment dans cette scène particulièrement dramatisée le personnage de Gavroche est-il transfiguré pour incarner le courage et dénoncer la cruauté de Napoléon III ?
I) Une scène particulièrement dramatisée
a) L’organisation du passage crée une tension dramatique
La mission est très dangereuse et tout au long de ce périple le lecteur est tenu en haleine comme les personnage resté sur la barricade: “De la barricade, dont il était encore assez près, on n'osait lui crier de revenir, de peur d'appeler l'attention sur lui.”
La tension se resserre car les tirs se rapprochent de lui: “Si bien que les tirailleurs de la ligne rangés et à l'affût derrière leur levée de pavés, et les tirailleurs de la banlieue massés à l'angle de la rue, se montrèrent soudainement quelque chose qui remuait dans la fumée.” mais aussi “Une deuxième balle fit étinceler le pavé à côté de lui. Une troisième renversa son panier.”
L’expression du “jeu de cache cache avec la mort” personnifiée renforce le côté dramatique “Les balles couraient après lui, il était plus leste qu'elles. Il jouait on ne sait quel effrayant jeu de cache-cache avec la mort ; chaque fois que la face camarde du spectre s'approchait, le gamin lui donnait une pichenette.”
Il y a une mise en scène de la mort de Gavroche qui se fait en deux temps :
“Une balle pourtant, mieux ajustée ou plus traître que les autres, finit par atteindre l'enfant feu follet. On vit Gavroche chanceler, puis il s'affaissa. Toute la barricade poussa un cri ; mais il y avait de l'Antée dans ce pygmée ; pour le gamin toucher le pavé, c'est comme pour le géant toucher la terre ; Gavroche n'était tombé que pour se redresser ; il resta assis sur son séant [...] Il n'acheva point. Une seconde balle du même tireur l'arrêta court. Cette fois il s'abattit la face contre le pavé, et ne remua plus.”
b) Toute la scène est resserrée autour de la figure de Gavroche
Le personnage est l’objet de toutes les attentions: “Si bien que les tirailleurs de la ligne rangés et à l'affût derrière leur levée de pavés, et les tirailleurs de la banlieue massés à l'angle de la rue, se montrèrent soudainement quelque chose qui remuait dans la fumée.”. Certain sont terrorisé par le danger couru par leurs amis alors que ce d’en face le visent pour le tirer comme un lapin.
Le texte est construit en fonction du regard posé sur Gavroche : “Les insurgés, haletants d'anxiété, le suivaient des yeux.”
c) Une scène qui joue avec les émotions du lecteur
Il y a un oxymore Hugo joue avec les émotions du lecteur. Victor Hugo arrive à rendre poétique ce texte qui traduit une scène tragique:
“Le spectacle était épouvantable et charmant. Gavroche, fusillé, taquinait la fusillade.”
Le narrateur ménage le suspense : “On le visait sans cesse, on le manquait toujours.” Le lecteur ne s’attend pas à la mort du personnage.
Hugo cherche à montrer la cruauté des soldats, ils sont sans coeur et impitoyable : “Les gardes nationaux et les soldats riaient en l'ajustant”.
“un long filet de sang rayait son visage” : Le lecteur s’attend maintenant à assister à la mort de Gavroche.
C’est la chanson qui apprend au lecteur la mort de Gavroche : “Je suis tombé par terre, C'est la faute à Voltaire, Le nez dans le ruisseau, C'est la faute à…”
II) Le personnage de Gavroche est transfiguré
a) Gavroche incarne le courage
Gavroche incarne le courage en allant récupérer sur les cadavres de quoi ravitailler la barricade. “Il rampait à plat ventre, galopait à quatre pattes, prenait son panier aux dents, se tordait, glissait, ondulait, serpentait d'un mort à l'autre, et vidait la giberne ou la cartouchière comme un singe ouvre une noix.” Il se comporte comme un animal agile.
Le personnage ne ressent ni la peur ni le danger, comme inconscient de ses actes. On peut alors se demander si c’est une forme d’inconscience ou de courage.
“Sur un cadavre, qui était un caporal, il trouva une poire à poudre.
– Pour la soif, dit-il, en la mettant dans sa poche.” Gavroche plaisante peut-être pour se donner du courage : “– Fichtre! fit Gavroche. Voilà qu'on me tue mes morts.”
Il défie les soldats en chantant face à leurs tirs : “Il se dressa tout droit, debout, les cheveux au vent, les mains sur les hanches, l'œil fixé sur les gardes nationaux qui tiraient, et il chanta :”
Malgré le danger il continue à se comporter comme un enfant ce qui renforce la cruauté des soldats qui vont l’abattre: “Il avait l'air de s'amuser beaucoup.”
Le personnage nargue les soldats, en répliquant à chaque tir par un couplet: “Il répondait à chaque décharge par un couplet.”
b) Le héros devient presque un être surnaturel
Gavroche, à travers cette métaphore animalière, devient protéiforme pour montrer combien sa mission est impossible à réaliser. Il incarne aussi la magie de l’enfant qui apparaît ici immortel : “Il rampait à plat ventre, galopait à quatre pattes, prenait son panier aux dents, se tordait, glissait, ondulait, serpentait d'un mort à l'autre”.
Gavroche devient un héros surnaturel car aucune balle n’arrive à l’atteindre, on dirait donc qu’il est immortel : “Puis il ramassa son panier, y remit, sans en perdre une seule, les cartouches qui en étaient tombées, et, avançant vers la fusillade, alla dépouiller une autre giberne. Là une quatrième balle le manqua encore. Gavroche chanta”.
Il y a un champ lexical du surnaturel: “Ce n'était pas un enfant, ce n'était pas un homme ; c'était un étrange gamin fée. On eût dit le nain invulnérable de la mêlée.”, “l'enfant feu follet”.
c) La métaphore de l’oiseau
Gavroche est symbolisé par un oiseau qui représente traditionnellement la liberté: “Il se dressa tout droit, debout, les cheveux au vent, les mains sur les hanches, l'œil fixé sur les gardes nationaux qui tiraient, et il chanta :” Cette métaphore est reprise à la fin du texte : “Cette petite grande âme venait de s'envoler.” La liberté résiste courageusement face à l’oppression “C'était le moineau becquetant les chasseurs.” Cependant la fragilité de l’oiseau ne résistera pas face aux tirs des soldats : tuer Gavroche c’est donc tuer la liberté.
La mort de Javert 5ème Partie, IV, 2 De «Javert pencha la tête et regarda. Tout était noir.» à «il y eut un clapotement sourd, et l’ombre seule fut dans le secret des convulsions de cette forme obscure disparue sous l’eau.» Comment dans cette description romantique, Victor Hugo crée-t-il une ambiance mystérieuse afin de révéler la lutte entre le bien et la mal ?
I) Une description
Dans ce passage, Hugo crée une atmosphère mystérieuse en jouant avec l'ombre et la lumière. Dès le début, la phrase « Javert pencha la tête et regardé » ne révèle pas ce que le personnage observe, plongeant ainsi le lecteur dans l'incertitude. L'environnement est dépeint à travers un champ lexical de l'obscurité, avec des expressions telles que « tout était noir » et « la lueur s'évanouissait », qui renforcent l'idée d'un aveuglement progressif et angoissant. L'absence de vision, soulignée par la répétition « on ne voyait rien », crée un sentiment de désespoir.
Le texte se distingue également par la primauté des sons sur les images : « On entendait un bruit d'écume ; mais on ne voyait pas la rivière », une description auditive qui accroît l'inquiétude du lecteur, d'autant que l'origine de ces bruits reste indéterminée. L'absence de repères visuels, combinés au bruit du « fleuve plutôt deviné qu'aperçu », renforce l'idée d'un monde où le personnage, et donc le lecteur, sont privés de leur vision habituelle. L'effet de suspense est encore accentué par l'alternance entre l'ombre et la lumière, comparée à une « lueur apparaissait et serpentait vaguement », soulignant l'incertitude et la menace qui semblent imprégner l'espace.
Hugo utilise également des descriptions imprécises pour amplifier l'impression de mystère. Par exemple, le mur du quai est qualifié de « confus, mêlé à la vapeur, tout de suite dérobé », caractérisé par une vision claire de ce qui se dresse devant Javert. La phrase « le tragique chuchotement du flot, l'énormité lugubre des arches du pont » constitue une gradation qui conduit le lecteur du mystère à l'horreur. Finalement, avec le geste de Javert ôtant son chapeau et sautant dans le vide, l'action bascule dans le drame : « il se courba vers la Seine, puis se redressa, et tomba droite dans les ténèbres », un saut symbolique vers une chute en enfer.
II) La lutte entre le bien et le mal (la présence du diable)
La scène est également marquée par un combat symbolique entre le bien et le mal, où la figure du diable semble s'insinuer progressivement. Le geste de Javert, lorsqu'il « pencha la tête et regardé », peut être interprété comme un signe de soumission, un renoncement à la vie. L'omniprésence du noirceur dans la description, « tout était noir », ne fait pas seulement référence au décor, mais symbolise aussi l'état d'âme du personnage, devenu incapable de percevoir l'espoir. La lumière qui « s'évanouissait » marque la perte progressive de cet espoir, laissant place à la domination du mal.
Le motif du serpent, omniprésent dans le texte, évoque une allusion biblique à la tentation et au péché. La lumière « serpentait vaguement », renvoyant à la figure du serpent biblique, et se confond ici avec la rivière, la Seine, qui semble s'apprêter à « dévorer » Javert. Ce paysage devient ainsi une métaphore de la lutte intérieure du personnage, un « paysage état d'âme » où l'eau symbolise les émotions tumultueuses qui l'emportent vers le suicide. L'expression « l'immensité semblait ouverte là » confère au texte une dimension presque mystique, où le gouffre qui s'ouvre sous Javert représente à la fois l'abîme de son désespoir et l'entrée.
Les métaphores filées contribuent à cette vision d'une lutte cosmique : « Ce qu'on avait au-dessous de soi, ce n'était pas de l'eau, c'était du gouffre », suggère que Javert est sur le point de basculer dans un vide aussi moral que physique. La présence du diable se fait de plus en plus tangible, évoquée par « un souffle farouche montait de cet abîme ». Enfin, la personnification de l'eau comme un agent hostile, avec « la froideur hostile de l'eau » et « le tragique chuchotement du flot », renforce l'idée que Javert est irrésistiblement attiré vers la mort, comme s'il était envoûté.
Le passage se conclut par l'image fantomatique de Javert, déjà mort à moitié avant même de sauter : « on eût pu prendre pour un fantôme ». Lorsqu'il disparaît dans l'eau, seul « l'ombre fut dans le secret des convulsions de cette forme obscure », suggérant que la mort de Javert, comme tout son acte, n'est finalement évoqué que par des forces invisibles, qui pourrait bien être celles du mal personnifié.
Écrire commentaire