Analyse des Caractères, La Bruyère Livre IX, remarque 50 « Des Grands », « Pamphile »
Au XVIIème siècle, Jean de La Bruyère, dans son ouvrage "Les Caractères", publié entre 1688 et 1696, se penche sur l'analyse du comportement humain, notamment celui des figures de la cour et des grands de son époque. À travers le portrait de Pamphile, un personnage typique de ce milieu, La Bruyère explore la manière dont les mondains cherchent à projeter une image d'eux-mêmes, tout en critiquant subtilement leur superficialité.
Le portrait de Pamphile, loin de se concentrer sur des aspects physiques, se focalise sur le moral. La Bruyère peint un personnage à la mode, mais omet délibérément de décrire sa tenue vestimentaire, soulignant ainsi que ce n'est pas l'apparence extérieure qui importe. Ce portrait moral, une éthopée, révèle un personnage qui, malgré son nom signifiant l'amour des autres, se montre plutôt préoccupé par son image et son statut social. La Bruyère utilise des termes contradictoires pour décrire Pamphile, comme « civils et hautains », et le qualifie de « fausse grandeur », déconstruisant ainsi son personnage dès le premier paragraphe.
La Bruyère, en tant que moraliste, vise à souligner l'artifice de Pamphile. Il critique l'obsession du personnage pour sa propre grandeur, le décrivant comme une pâle imitation d'un grand homme. Ce portrait se généralise ensuite pour devenir la description d'un type de caractère, passant de l'individu spécifique à un groupe plus large, les Pamphiles, grâce à l'utilisation de l'antonomase. La Bruyère utilise le présent de vérité générale pour donner une portée universelle à son portrait, dénonçant l'artifice comme un thème récurrent au XVIIème siècle.
Dans son art du portrait, La Bruyère excelle par une esthétique de la concision et de la condensation, où tout est suggéré plutôt qu'explicitement dit. Le portrait est rendu dynamique par une construction paratactique des phrases, créant un rythme accéléré. L'accumulation et l'oxymore sont également des techniques employées pour enrichir le portrait. Pamphile est ainsi dépeint tel un acteur sur la scène du monde, le theatrum mundi de La Bruyère. L'art de la chute, caractéristique de nombreux portraits de La Bruyère, invite à une relecture du texte, révélant ainsi les subtilités de sa critique.
Ainsi, à travers le portrait de Pamphile, La Bruyère ne se contente pas de peindre un personnage de son époque, mais il utilise ce portrait pour critiquer de manière plus large les comportements et les attitudes des mondains de la cour. Son analyse fine et sa critique subtile des mœurs de son temps font de "Les Caractères" une œuvre intemporelle, qui continue de résonner avec les lecteurs contemporains.
Analyse du portrait de Pamphile dans Les Caractères, Livre IX, Des Grands, fragment 50
INTRODUCTION. CONTEXTE Monarchie absolue, Cour rassemblée autour du roi Louis XIV. Vie réglée et étiquette rigoureuse. Les nobles rivalisent pour attirer l’attention du roi. La Bruyère, familier de la Cour du grand Condé, observe la Cour et son temps. Sensible aux attentes et aux goûts de son temps il offre un regard sur le monde qui l’entoure sous une forme discontinue, courte : ŒUVRE Les Caractères, publiés entre 1688-1696. Composé de 10 livres. EXTRAIT Le livre IX : description de la société d’Ancien Régime, des Grands, entourage privilégié du roi. Remarque 50, Pamphile est l’un de ces Grands, courtisan versaillais aussi incontournable qu’inaccessible, maître des intrigues, des faux-semblants et des jeux de la sociabilité.
LECTURE Remarque écrite pour être lue à voix haute par des mondains : souligner le ton ironique, les remarques moqueuses du moraliste par une lecture plus lente et plus appuyée VS accélérer le débit quand Pamphile gesticule pour rendre la vivacité du portrait.
PROBLÉMATIQUE Comment La Bruyère passe-t-il de la satire d’un individu à la condamnation d’un type social ?
I) Premier paragraphe : Un courtisan hautain et inaccessible.
a) Étymologie du nom propre :
Étymologiquement, le nom de Pamphile est construit sur le suffixe « -phile », qui signifie «aimer », et le préfixe « pan- » qui signifie « tout » : Pamphile est donc celui qui aime tout le monde, qui aime autrui, ce qui est un choix parfaitement ironique de la part de La Bruyère car ce personnage est le type même de l’égocentrique.
b) Un portrait en actions :
Le portrait que fait ici La Bruyère de Pamphile est comme toujours de nature psychologique et non physique, mais pour bien en brosser le caractère, le moraliste choisit de montrer le personnage en action. La plupart des propositions du texte a Pamphile comme sujet.
c) Une écriture de l’objectivité :
Les propositions sont juxtaposées : en évitant les connecteurs logiques, il fait mine de se contenter de donner à voir, en toute objectivité, une série de faits et gestes de Pamphile,
comme à travers un portrait pointilliste laissant le lecteur le contempler et se forger sa propre opinion à son sujet. Ainsi, l’énumération rend compte par son efficacité de la brièveté et de la sécheresse des entretiens de Pamphile.
d) Réflexions sur l’honnête homme :
La Bruyère entrecroise ici les champs lexicaux de la sociabilité ; de la grandeur et de la médiocrité. La sociabilité est un enjeu central de la réflexion sur l’honnête homme : ce dernier doit, en société, faire preuve d’humilité (ce qui s’oppose à la hauteur affichée de Pamphile) mais aussi de véritables qualités d’esprit (qui s’opposent à la médiocrité manifeste de Pamphile). C’est donc tout l’opposé de l’idéal de l’honnête homme tant vanté au XVIIe siècle.
II) L’archétype de l’homme de cour
a) Un type d’homme :
En utilisant la figure de l’antonomase, grâce à l’adjonction d’un déterminant indéfini, La Bruyère glisse du nom propre « Pamphile », renvoyant à un individu unique, parfaitement identifiable, et au comportement qui lui est propre, à un nom commun, multipliable à l’envi (on trouvera à la fin du texte « les Pamphiles »). De ce fait, « un pamphile » ne désigne plus un personnage unique mais un type d’homme.
Du même coup, toutes les descriptions qui suivent se rapportent non plus au cas particulier de tel personnage ni de tel individu contemporain de La Bruyère, homme de cour dissimulé derrière ce qui serait un portrait à clef, mais constituent les caractéristiques ordinaires de ce type d’homme, le « snob » de cour.
b) Un portrait dynamique grâce à la parataxe asyndétique :
La parataxe asyndétique (juxtaposition de propositions sans mots de liaison) sur laquelle repose l’extrait crée de nombreuses énumérations rapides, donnant beaucoup de dynamisme au portrait.
Autre élément qui permet au moraliste d’animer son portrait, l’utilisation massive des verbes d’action dont Pamphile est le sujet et le choix de métaphores très visuelles pour décrire des éléments plus abstraits ou psychologiques du portrait.
Le moraliste donne ensuite la parole à son personnage, au discours direct ce qui permet encore plus de donner vie à sa description.
c) Les antithèses pour un portrait à charge de l’homme de cour :
Le portrait de l’homme de cour repose sur un jeu d’antithèses entre la réalité et les apparences puisque la caractéristique première du courtisan est l’hypocrisie, la dissimulation et la volonté de manipuler autrui pour arriver à ses fins. La mention de la « rougeur » et le participe passé « surpris » traduisent bien cet écart entre la réalité et les apparences affichées par Pamphile.
En le décrivant de manière très minutieuse, dans tous ses détails visuels (« il sourit », « la rougeur lui monterait-elle au visage »), à travers une petite saynète, La Bruyère achève de proposer un portrait particulièrement vivant au regard du lecteur-spectateur.
III) Le spectacle vivant au service de la satire
a) La place du lecteur :
Le moraliste, de façon saisissante, fait entrer le lecteur à l’intérieur même de la saynète décrite par le biais du pronom personnel « vous ».
b) Une marionnette qui déraille :
Le rythme du texte, par la parataxe et les asyndètes, s’accélère ; les verbes de mouvement se multiplient et l’utilisation des locutions, des adverbes et des connecteurs temporels vient créer un effet de balancement en mettant en scène, avec humour, le caractère inconstant et changeant du personnage qui apparaît dans cette fin du texte comme une sorte de marionnette, d’automate aux gestes saccadés dont parfois la mécanique déraille puisque ses gestes, erratiques, semblent échapper à toute logique.
c) La pointe du texte :
La pointe du texte joue de la métaphore du theatrum mundi avec la comparaison « comme sur un théâtre », l’antithèse du « faux » et du « naturel », ainsi que les métaphores, pour désigner les Pamphiles « vrais personnages de comédie » ou leurs attitudes : « c’est une scène pour ceux qui passent », et la référence à deux célèbres acteurs du temps, eux aussi transformés par le biais d’antonomases en types : « des Floridors, des Mondoris ».
Le moraliste construit ainsi une réflexion sur les jeux de cour, où chaque courtisan joue son rôle et où dissimulation, faux-semblants et hypocrisie constituent les principes du génie du courtisan.
Analyse linéaire
En quoi Pamphile, aristocrate orgueilleux et hypocrite, permet-il à La Bruyère de dénoncer une aristocratie qui n’a de grand que sa richesse ?
Dans le 1er paragraphe, La Bruyère dénonce l’orgueil ridicule de Pamphile, qui ne sait que converser : un courtisan hautain et inaccessible.
“ne s'entretient pas avec les gens qu'il rencontre dans les salles ou dans les cours” = il ne parle qu’à des personnes dignes, ayant une certaine fortune, un certain statut.
“gravité”, “'élévation de sa voix,”= utilise un ton le plaçant en supériorité morale, mais pas forcément vraie
“donne audience” contrasté par “congédie” = actions généralement effectuées par des personnes puissantes (rois, princes, duc…), mais pas par un courtisan= il se prend pour un autre
“à la fois civils et hautains”, “honnêteté impérieuse” = se donne les valeurs morales d’une personne respectable/de renom = il n’en est rien de ça.
“sans discernement”= son comportement est pareil pour toutes les personnes qu’il estime “inférieures”
“fausse grandeur”= oxymore = montre le contraste entre ce qu’il est réellement et ce qu’il feint d'être. + idée appuyée par 3 propositions subordonnées relatives reliées entre elles par juxtaposition et coordination= montre que La Bruyère dénonce tous les défauts de cette homme: “qui l'abaisse, et qui embarrasse fort ceux qui sont ses amis, et qui ne veulent pas le mépriser.”
“mépriser” = CL du mépris = personnage hautain
2ème mouvement : de “Un Pamphile” à “d’après un grand”, Pamphile est dépeint comme un vil imitateur des grands : l’archétype de l’homme de cour.
L.B. choisit d’utiliser le personnage de Pamphile pour généraliser son cas = utilisation déterminant indéfini “Un”
“plein de lui-même”, “ne se perd pas de vue”, “ne sort point de l'idée de sa grandeur,”, “ de ses alliances, de sa charge, de sa dignité”, “ramasse (...) toutes ses pièces”, “ s'en enveloppe pour se faire valoir” = description péjorative des valeurs morales et actions d’un Pamphile, il veut paraître grand (=fait-il cela par manque de confiance?)
“Mon ordre, mon cordon bleu”= porter la couleur bleue= faire partie de la noblesse, signe distinctif synonyme de respect et de dignité. Or un Pamphile n’a rien d’un grand courtisan donc pas d'ordre élevé et même s’il tente de porter des insignes réservés à la Noblesse, son orgueil et sa vanité transparaissent à travers lui.
“il l'étale ou il le cache par ostentation.”= veut montrer aux autres, veut se faire voir + antithèse “cache par ostentation”= cache pour faire voir aux autres
“veut être grand, il croit l'être ; il ne l'est pas, il est d'après un grand” = définition du Pamphile à “l’état pur”: L.B. donne son point de vue + utilise le présent à valeur de vérité générale “est”. Un pamphile se donne donc des airs qu’il n’a point et se croit respecté et respectables à la Cour.
3ème mouvement : de “Si quelquefois” à “des Mondoris”, La Bruyère dépeint Pamphile comme un comédien hypocrite et opportuniste : la métaphore du théâtre au service de la satire.
“Si” introduit l’hypothèse / la condition
“quelquefois” = notion de temps, montrant des moments assez rares
“ il sourit à un homme du dernier ordre, à un homme d'esprit,” = action rare qui peut avoir lieu que si la personne a un certain statut social => montre l’hypocrisie
“ il choisit son temps si juste, qu'il n'est jamais pris sur le fait :” = tout est calculé, rien n’est naturel => HYPOCRISIE. Il n’a rien d’un Grand, sauf leur hypocrisie
“la rougeur lui monterait-elle au visage” : CL de la honte associé aux statuts sociaux peu élevés : “malheureusement surpris dans la moindre familiarité avec quelqu'un qui n'est ni opulent, ni puissant, ni ami d'un ministre, ni son allié, ni son domestique.” => CL surprise associé contrasté avec adv “malheureusement” à connotation péjorative = montre que c’est mal vu. Une personne noble ne doit pas avoir de relation avec des personnes de mauvais statut social. Or ici, un pamphile n’est pas noble donc personne ne devrait être surpris d’avoir une certaine familiarité avec une de ces personnes.
“sévère et inexorable à qui n'a point encore fait sa fortune.” : n’accorde pas de temps, est sans compassion avec les personnes qu’il n’estime pas.
CL de l’opportuniste : “aperçoit un jour dans une galerie, et il vous fuit” mais “le lendemain, s'il vous trouve en un endroit moins public, ou s'il est public, en la compagnie d'un grand, il prend courage, il vient à vous” => lorsqu’il est bien accompagné il se sent en situation de force, rien ne peut l’atteindre, il est confiant, il souhaite faire bonne impression pour flatter son orgueil. En revanche, s'il est seul, il feindra de ne pas voir, pour ne pas subir de potentielle honte. C’est donc un comportement opportuniste.
“Vous ne faisiez pas hier semblant de nous voir.” : CL mauvaise foi =>alors que c’est lui qui feignait ne point voir la personne, il accuse/reproche celle-ci de ne pas l’avoir vu.
"Tantôt" = indication temporelle marque une présence qui fut courte = il ne faut pas accorder trop de temps non plus
“Tantôt il vous quitte brusquement pour joindre un seigneur ou un premier commis”= il préfère être en présence d'une personne supérieure, il ne faut pas gâcher l'opportunité.= retour comportement opportuniste
“et tantôt s'il les trouve avec vous en conversation, il vous coupe et vous les enlève.” => répétition indicateur temporel montre l’habitude qu’il a d’agir ainsi. + il se considère plus important, que ses idées sont mieux puisqu’il interrompt les conversations comme bon lui semble.
“une autre fois, et il ne s'arrête pas ; il se fait suivre” = montre que son comportement est complètement lunatique et qu’il est opportun. Il se prend pour un autre, il se fait désirer
“vous parle si haut que c'est une scène pour ceux qui passent.”= les autres se moquent de lui: il croit bien faire, il veut se faire remarquer mais ces actions sont grotesques et comiques. Il n’est pas pris au sérieux.
“les Pamphiles sont-ils toujours comme sur un théâtre” = comparaison des pamphiles à des comédiens jouant un rôle sérieux qui fait rire les spectateurs. => avis direct de l’auteur : il fait la satire des personnes de la cour.
“gens nourris dans le faux”, “ne haïssent rien tant que d'être naturels” , “vrais personnages de comédie”, “Floridors”, “Mondoris” = CL comédiens + utilisation présent à valeur de vérité générale
=> ici, à travers la comparaison et définition des pamphiles aux comédiens, L.B. fait le constat du comportement de personnes de la cour, se prenant pour des pamphiles, c'est-à-dire jouant un rôle qui pour eux semble pris très au sérieux. Mais ce rôle est en réalité très mal exécuté, ceux sont donc des personnages comiques, et risibles pour l’auteur.
Les caractères étant un livre de divertissement mondain, cherche à montrer la réalité, il fait tomber les apparences qui sont très présentes dans le monde de la Cour.
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Garance (samedi, 01 avril 2023 16:13)
Bonjour ! Merci beaucoup pour l'analyse de cette remarque !
Envisagez vous prochainement de faire celle de la remarque 53 du livre IX ?