Phédon, « Des Biens de fortune », Les Caractères (VI, 83), La Bruyère Analyse
Lecture analytique
Comment le portrait dépréciatif de Phédon, homme pauvre à la timidité excessive, témoigne-t-il d’une société où l’argent fonde l’individu ?
I) Le portrait physique de Phédon, homme à la faiblesse maladive
“les yeux creux”, “le teint échauffé”, “le corps sec et le visage maigre;”= portrait physique de Phédon. Il est décrit comme un personnage malade, épuisé, faible =FAIBLESSE PHYSIQUE
“il dort peu, et d’un sommeil fort léger”, “il est abstrait, rêveur”, “a avec de l’esprit l’air d’un stupide:”, “oublie de dire ce qu’il sait”, “de parler d’événements qui lui sont connus”= portrait moral de Phédon. Il est présenté comme un personnage rêveur, absent, =FAIBLESSE MORALE
“complaisant, flatteur, empressé” = qualités et défauts moraux
“ Il marche doucement et légèrement, il semble craindre de fouler la terre; il marche les yeux baissés, et il n’ose les lever sur ceux qui passent”= sa timidité prend le dessus. Il est “condamné” à rester ainsi.
“ il tousse, il se mouche sous son chapeau, il crache presque sur soi, et il attend qu’il soit seul pour éternuer”= même pour des actions naturelles, humaines, il est stressé, anxieux, ne veut pas déranger= il est extrêmement pudique
“il se met derrière celui qui parle, recueille furtivement ce qui se dit, et il se retire si on le regarde.” = il préfère fuir plutôt que d'être regardé. = gros manque de confiance en lui
II) L’incapacité de Phédon à converser
“ s’il le fait quelquefois,”= l’adverbe “si” évoque l’hypothèse/condition + “quelquefois” montre la rareté de l’action. cette action a de mauvaises répercussions “ il s’en tire mal, il croit peser à ceux à qui il parle, il conte brièvement, mais froidement; il ne se fait pas écouter, il ne fait point rire.”= description dépréciative qui montre que le peu de fois où il ose, où il tente de dire quelque chose, ça ne se passe pas bien.
“ Il applaudit, il sourit à ce que les autres lui disent, il est de leur avis;” = il est passif, il se laisse ronger par la timidité
“il n’ose les lever sur ceux qui passent.” = s’il ne va pas vers les autres, les autres ne viendront pas vers lui.
“Il n’est jamais du nombre de ceux qui forment un cercle pour discourir;”, “il se met derrière celui qui parle”, “ recueille furtivement ce qui se dit, et il se retire si on le regarde”= il ne rentre jamais dans la conversation, il reste dans son coin, il ne veut pas gêner
“il va les épaules serrées, le chapeau abaissé sur ses yeux pour n’être point vu;”, “il se replie et se renferme dans son manteau”= attitude qui ne donne pas envie d’aller le voir, il est renfermé sur lui même
“il parle bas dans la conversation,”, “il articule mal”= il ne veut pas s’affirmer, ou même déranger = il ne donne pas son avis, est toujours d’accord avec les autres = il ne sait pas tenir une conversation
“ Il n’ouvre la bouche que pour répondre”= ne relance jamais la conversation
III) L’inexistence de Phédon dans l’espace social
“ il court, il vole pour leur rendre de petits services.” = il est désargenté, obligé de voler pour se rendre utile
“ il est mystérieux sur ses affaires, quelquefois menteur; il est superstitieux, scrupuleux, timide.” = il est mystérieux sur ce qui le concerne car il n’a pas d’argent, de ce fait il n’a pas de sujets ou d’affaires sur lesquelles parler. La base du lien social étant de converser avec d’autres sur des sujets, des points communs; il ne peut donc rien faire pour s’intégrer.
pas d’argent= pas d’affaires= pas de sujets de conversations= pas d'intégration
“il se met derrière celui qui parle,”, “Il n’occupe point de lieu, il ne tient point de place”= sa position détermine son statut
“il n’y a point de rues ni de galeries si embarrassées et si remplies de monde”= peu importe le lieu, il se comporte de la même manière, du moment où il y a du monde
“où il ne trouve moyen de passer sans effort, et de se couler sans être aperçu.”= il n’est jamais remarqué, puisqu’il ne cesse de se cacher
“Si on le prie de s’asseoir, il se met à peine sur le bord d’un siège;” = lorsqu’il est remarqué et invité à se joindre à d’autres, sa timidité prend toujours le dessus, ce qui peut présenter une attitude froide.
“libre néanmoins sur les affaires publiques, chagrin contre le siècle, médiocrement prévenu des ministres et du ministère.”= il n’a d’avis sur rien, il n’a aucun centre d'intérêts à partager avec les autres
“si cela lui arrive, c’est à l’insu de la compagnie:” = il voit le mal et la gêne dans toutes ses actions, d’où son incapacité à s’intégrer
“il n’en coûte à personne ni salut ni compliment.”= preuve explicite qu’il n’existe pas dans l’espace social. Il est montré comme fade : ni mauvais ni bon
“Il est pauvre” = La Bruyère n’a pas placé cette phrase à la fin du portrait pour rien: il nous explique une des bases du problème de Phédon, et c’est ce pourquoi il est extrêmement timide, il n’arrive pas à regarder les autres ou même à tenir une conversation avec eux, il se sent tout le temps de trop…
Sa pauvreté cause sa timidité, qui elle-même cause son existence au sein de l’espace social.
Le lecteur peut à présent relire le portait avec une information essentielle en plus, ce qui lui permet de bien mieux comprendre toutes les facettes du personnage qui est décrit.
Lecture analytique rédigée
Le portrait dépréciatif de Phédon dans "Les Caractères" de La Bruyère révèle les mécanismes d'une société où l'argent conditionne l'individu, à travers une description qui met en lumière la faiblesse physique et morale du personnage, son incapacité à converser et, plus largement, son inexistence dans l'espace social.
Dans un premier temps, le portrait physique de Phédon témoigne de sa faiblesse maladive, reflet de sa condition sociale défavorisée. La Bruyère le décrit avec des termes comme « les yeux creux », « le teint échauffé », « le corps sec et le visage maigre », qui laisse apparaître une santé fragile et une apparence épuisée. Ce corps affaibli traduit une condition de précarité, où la pauvreté semble se manifester non seulement dans l'apparence physique mais aussi dans l'attitude. Phédon est ainsi un personnage défini par sa « faiblesse physique », mais aussi par une « faiblesse morale » marquée. Son caractère rêveur et distrait est souligné à travers des expressions telles que « il dort peu, et d'un sommeil fort léger », « il est abstrait, rêveur », et « il oublie de dire ce qu'il sait ». Son comportement, entre passivité et soumission, révèle un manque de confiance en lui exacerbé par sa timidité excessive. Celle-ci le condamne à rester dans l'ombre, comme l'illustre sa façon de marcher « les yeux baissés », craignant même de « fouler la terre ». Sa timidité maladive s'exprime jusque dans les gestes quotidiens, où il tousse, se mouche et crache de façon à ne jamais se faire remarquer, témoignant ainsi d'une extrême pudor et d'une peur de déranger. Ce portrait présente donc Phédon comme un homme non seulement pauvre, mais également anéanti par sa propre timidité.
Cette insignifiance se manifeste plus cruellement encore dans son incapacité à entretenir des relations sociales, particulièrement dans l'art de la conversation. Phédon ne prend presque jamais la parole, et « s'il le fait quelquefois », cela se passe toujours mal, comme le montre la description de La Bruyère : « il s'en tire mal, il croit peser à ceux à qui il parle , il ne se fait pas écouter, il ne fait point rire ». Cette rareté et cette maladresse dans l'expression renvoient à une certaine exclusion sociale. Phédon est incapable de s'affirmer ou de capter l'attention des autres, se contentant d'applaudir et de sourire passivement à ce que les autres disent. Son isolement est d'autant plus marqué qu'il « ne rentre jamais dans la conversation » et reste dans un coin, observant discrètement les échanges sans jamais y participer. Phédon incarne ainsi l'échec de l'intégration sociale, où la conversation, essentielle au lien social, lui échappe complètement. Ses tentatives d'interaction, rares et maladroites, ne font qu'aggraver son sentiment d'infériorité.
Enfin, le portrait de Phédon culmine dans une description de son inexistence totale dans l'espace social. Phédon, démuni financièrement, est condamné à une invisibilité quasi complète. La phrase « il court, il vole pour leur rendre de petits services » montre à quel point il est désespérément en quête de reconnaissance, cherchant à compenser son manque d'argent par des actions subalternes. Sa pauvreté est la cause directe de son exclusion : sans argent, il n'a ni affaires à discuter, ni sujets de conversation, ce qui l'empêche de s'intégrer dans la société. La Bruyère insiste sur cette absence de reconnaissance sociale en soulignant que Phédon « n'occupe point de lieu, il ne tient point de place », et qu'il se glisse dans les rues sans être aperçu. Même lorsqu'il est invité à s'asseoir, il se met à peine sur le bord du siège présente, ainsi son incapacité à s'approprier une place dans la société. La pauvreté de Phédon ne se limite donc pas à un manque de matériel, mais devient le symptôme d'une exclusion sociale complète. La phrase finale « il est pauvre » prend alors tout son sens : elle résume l'essence du personnage et explique sa timidité paralysante, qui elle-même contribue à son inexistence sociale. La société de La Bruyère est donc une société où l'argent fonde l'individu, et où, sans ressources, un homme est condamné à disparaître aux yeux des autres, comme c'est
Ainsi, le portrait de Phédon témoigne d'une société où l'identité de l'individu est impliquément liée à ses financiers. Par son absence de richesse, Phédon est relégué à une existence fantomatique, incapable de se faire une place dans le monde.
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