Se nourrir est-il un acte naturel ou culturel ?
Le langage familier est chargé de nombreuses métaphores sur la nourriture : il dévore les livres, il boit les paroles de son père, il s’est avalé toute une série d’injures… Se nourrir, assimiler, rejeter, sont les premières expériences du nourrisson, tout se passe comme si elles inauguraient nos rapports avec le monde des hommes : on assimile les aliments mais aussi les connaissances. En même temps, la faim et le sommeil semblent bien relever du pur instinct de conservation. Aussi nous poserons la question suivante : se nourrir est-il un acte naturel ou culturel ?
Au niveau de la perception immédiate, l’image du nourrisson qui boit le lait de sa mère nous fait penser à l’image du petit chat, donc nous avons l’impression qu’à la naissance le nourrisson satisfait des besoins animaux. Georges Bataille, dans L’Erotisme, montre que l’homme ne laisse jamais un libre cours à ses besoins naturels, à la différence de l’animal il se caractérise par la négation de sa propre nature. Freud montre que la satisfaction d’un besoin qui relève de l’instinct de conservation se transforme dès les premières semaines et s’associe intimement au désir de présence de la mère. La satisfaction de nos besoins les plus animaux passe toujours par la relation à l’autre. Se nourrir n’est donc jamais un acte naturel au sens purement biologique et instinctif.
D’une façon générale pour l’homme les objets de désir sont variés. Gide parle de Nourritures terrestres, à savoir que si pour survivre biologiquement nous avons besoin de pain, pour se sentir exister nous avons besoin de liberté. On aime la poésie, on avale des livres, ce qui signifie que pour l’homme se nourrir peut être un acte purement culturel.
Les ethnologues comme Marcel Mauss ont remarqué que dans toutes les civilisations le fait de manger avait des sens multiples. Le repas a toujours été le lieu du partage, de la répartition, de la communion. Il a à la fois un sens vital, social et religieux. Sans oublier l’art culinaire, nous remarquons que les goûts ne sont pas naturels et instinctifs mais profondément conditionnés par des habitudes alimentaires. Le plaisir gustatif est lié à des représentations symboliques, par exemple on va aimer le couscous parce que c’est le plat traditionnel en Algérie et que l’on est issu d’une famille de « pieds-noirs ».
Ainsi, si certaines nourritures relèvent de la culture, aucune ne correspond à un besoin purement instinctif. L’acte de se nourrir traduit bien l’essence de l’humanité qui est d’être à cheval sur la nature et la culture. Merleau-Ponty : « Il est impossible de superposer chez l’homme une première couche de comportements que l’on appellerait matériels et un monde culturel ou spirituel fabriqué ».
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