Pourquoi une société a-t-elle besoin d’un état ?
L’état n’est pas une chose concrète, sa réalité est conceptuelle, il n’existe que parce qu’il est pensé. Il faut d’abord distinguer société et Etat. Dans La société contre l’état, Pierre Clastres distingue les sociétés traditionnelles et les sociétés à histoire cumulative. Il montre que les sociétés indiennes n’ont pas d’état mais sont soumises à une chefferie. Le chef d’une tribu est chef à causes de ses qualités personnelles, comme Clovis et Charlemagne en Europe. La notion d’Etat apparaît avec l’émergence d’un organe politique séparé de la société et distinct du corps social. C’est Machiavel dans Le Prince qui dit que « la puissance souveraine ne peut venir que de la société ». Pour la première fois au XVème siècle il a pensé que le pouvoir politique n’était pas une donnée naturelle mais relevait d’un acte de la société des hommes. D’une façon générale l’Etat est l’expression d’une communauté juridique. Il représente le pouvoir politique institutionnalisé. Les hommes d’Etat sont dépositaires du pouvoir fondé sur la souveraineté populaire dans une démocratie. Un Etat qui prétend incarner la société tout entière est un Etat totalitaire.
Les philosophes comme Spinoza ou Hobbes dans Le Léviathan se sont demandé quelle est la finalité de l’état. Hobbes pense que l’état de nature est un état contradictoire car la liberté illimitée mène à l’insécurité absolue. Aussi Hobbes fait-il l’hypothèse que les hommes auraient échangé leur liberté contre l’assurance d’un pouvoir qui leur promettrait la sécurité. Pour lui qui est un philosophe sceptique, la loi est génératrice d’ordre social mais ne peut incarner la justice idéale. Les hommes suivent la loi de leur intérêt et sont soucieux de la satisfaction de leurs besoins pratiques et utilitaires. Il est donc illusoire pour Hobbes de penser que le citoyen peut dépasser son intérêt particulier et penser uniquement en fonction de l’intérêt général. Aussi l’Etat représenté par un seul homme qu’il appelle le Léviathan doit-il engendrer la liberté des citoyens, satisfaire et répartir de façon juste les richesses économiques, respecter l’intégrité des personnes. Mais dans cet Etat il n’y a pas de liberté au niveau de l’opinion politique. L’Etat peut donc incarner la sécurité mais pas la liberté.
Au contraire pour Rousseau il n’y a pas de sécurité sans liberté : « On vit tranquille aussi dans les cachots, en est-ce assez pour s’y trouver bien ? Les Grecs enfermés dans l’antre du Cyclope y vivaient tranquilles en attendant que leur tour vienne d’être dévoré. » Rousseau ne décrit pas la démocratie telle qu’elle existe mais telle qu’elle devrait être. Pour que l’Etat engendre une communauté réelle et non pas seulement une communauté illusoire, il faut concilier l’existence de l’Etat avec la souveraineté de chaque individu. En obéissant à la loi, le citoyen n’obéit qu’à lui-même, la démocratie apparaît comme le seul idéal qui corresponde à la nature humaine. Ce qui caractérise l’homme c’est sa puissance de perfectionnement et de dépassement. Or seuls les principes d’égalité et de fraternité peuvent permettre à l’homme de réaliser son humanité. Ainsi pour Rousseau l’Etat devrait incarner à la fois la sécurité et la liberté.
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