Qu'est-ce que le devoir de mémoire ?
Nietzsche montre que le sujet est en partie responsable de sa mémoire car elle est liée à sa réflexion, à son activité et à sa volonté : « Il faut pouvoir répondre de sa personne en tant qu’avenir ». La capacité de se souvenir est la vraie fidélité. On doit se souvenir de ce qui engage notre responsabilité et oublier ce qui est contingent.
La mémoire est nécessaire pour comprendre le présent. Kant dans Les opuscules de l’histoire dit que l’animal est à la naissance tout ce qu’il peut être, dans l’espèce animale chaque individu atteint sa destination entière, « chez l’homme seule l’espèce peut atteindre cette destination ». Ce qui est transcendant c’est l’humanité dont nous ne sommes qu’un maillon, et pour en savoir plus sur nous-mêmes il faut connaître le passé. Il y a donc la nécessité d’une mémoire des peuples pour comprendre le présent. La mémoire collective est une reconstruction du passé à partir de traces. On ne peut pas parler de mémoire collective de la même façon que de mémoire individuelle.
Il y a une dégradation de la mémoire qui fait que les peuples ne peuvent connaître la totalité de leur passé. D’abord par définition le passé n’est plus, d’autre part on ne le connaît qu’à partir de traces. Cela est en partie dû à des accidents tels l’incendie de la bibliothèque d’Alexandrie. Machiavel dit : « On ne connaît jamais la vérité tout entière sur le passé, on cache le plus souvent les événements qui déshonoreraient un siècle ». Les commémorations permettent de souder les peuples. La mémoire collective est reconstituée à partir des récits mythiques, des romans, et ce que suggère Machiavel c’est que cette connaissance du passé est liée à l’affectivité des peuples. Les peuples aiment idéaliser leur passé par orgueil et parce qu’ils préfèrent le passé au présent car ils peuvent effacer leur responsabilité dans le passé alors qu’ils sont obligés d’assumer leur présent.
La deuxième raison pour laquelle on idéalise son passé c’est que l’oubli peut être organisé par les hommes : par exemple, on peut organiser l’oubli à travers des commémorations où le passé est dénaturé par peur de perdre le pouvoir ou par envie de l’obtenir. Il y a un travail de l’oubli, une organisation de l’oubli dont les hommes sont responsables, et les raisons qui animent cette volonté de dénaturer le passé sont de deux sortes : soit comme le dit Machiavel certains gouvernements le font par crainte de perdre le pouvoir, soit par envie d’obtenir ce pouvoir ou de le réobtenir. Mais pour Nietzsche « il y a une mémoire de la volonté qui se caractérise par une lutte active contre l’oubli ». Les citoyens et les pouvoirs publics ont l’obligation morale d’organiser les conditions d’une possibilité d’une mémoire. « Le fait de s’en souvenir peut leur redonner l’être à défaut d’en donner la vie, ces innombrables morts sont notre affaire à tous, si nous cessons d’y penser, nous achevons de les exterminer » dit Vladimir Jankelevitch à propos du génocide des Juifs et des Tsiganes.
« L’histoire ne vaut pas une heure de peine si ce n’est la perspective d’un temps à venir » dit Nietzsche. Il faut avoir une mémoire réfléchie, c’est-à-dire s’interroger sur les circonstances politiques, les intentions des hommes pour montrer grâce aux historiens à quel point tous les gouvernements sont responsables de la mémoire collective des peuples.
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