Analyse de Andromaque de Racine
Acte I scène 4, La déclaration d’amour de Pyrrhus à Andromaque
I) Un aveu amoureux
Dans la tirade de Pyrrhus, nous remarquons une allitération en [S] qui évoque la souffrance de l’amour à sens unique et une allitération en [R] qui traduit la difficulté qu’il ressent à exprimer son amour. Il y a aussi un champ lexical de la souffrance, “souffre”, qui vient renforcer l'idée que Pyrrhus souffre pour l’amour d’Andromaque. De plus, il y a une ponctuation expressive, “!” et “?”. Les questions que se pose Pyrrhus nous montre que ce personnage est en trouble, mais elles ont aussi un sens philosophique, “Peut-on haïr sans cesse ?” Quand Pyrrhus se pose ces questions philosophiques, il est le porte-parole de l’auteur qui veut nous faire réfléchir en tant que spectateur. Pour cette question en particulier, Racine nous montre que haïr sans cesse conduit à la mort. Encore une fois, la souffrance de Pyrrhus pour l’amour d’Andromaque est renforcée par registre pathétique qui se mêle au registre tragique : “Brûlé de plus de feux que je n'en allumai”. Dans le vers : “Tant de soins, tant de pleurs, tant d'ardeurs inquiètes…” il y a un rythme ternaire, qui traduit l’émotion de Pyrrhus.
II) Une détermination tragique
Andromaque considère que Pyrrhus fait preuve de faiblesse en s’abaissant à éprouver de la tendresse pour sa prisonnière et qu’il déshonorerait la Grèce si elle acceptait de l’épouser : « Seigneur, que faites-vous, et que dira la Grèce ? Faut-il qu’un si grand coeur montre tant de faiblesse ?» Elle est intransigeante et refuse tout ce qui pourrait s’apparenter à un chantage donc dans cette scène c’est elle qui incarne la force.
La réplique d’Andromaque face à l’aveu amoureux de Pyrrhus rend cette scène particulièrement tendue. Après que Pyrrhus a montré qu’il souffre pour l’amour d’Andromaque, cette dernière lui répond qu’elle préférerait être exilée que devoir l’épouser, «Seigneur : c'est un exil que mes pleurs vous demandent», «Souffrez que, loin des Grecs, et même loin de vous».
La différence de longueur entre les deux tirades, celle de Pyrrhus étant plus longue que celle d’Andromaque, montre qu’Andromaque ne cherche pas à se justifier de son refus, et qu’elle s’emporte sur ce que Pyrrhus lui dit, elle ne changera pas d’avis. Quand Andromaque s’adresse à Pyrrhus en tant que “Seigneur”, cela montre qu’il est fort et puissant et qu’il pourrait la condamner à mort, ou offrir son empire à son fils mais ceci ne fait pas plier Andromaque, “Seigneur, tant de grandeurs ne nous touchent plus guère : Je les lui promettais tant qu'a vécu son père.”
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2ème version de ce commentaire
I) L'aveu amoureux
a) La révélation d'une faiblesse
Tout d'abord nous pouvons remarquer que Pyrrhus emploie une ponctuation très expressive : “hé quoi”, “peut on haïr sans cesse?”. Cela montre le désespoir du personnage de Pyrrhus. Il utilise principalement des questions rhétoriques, comme au vers 1 ou des phrases exclamatives: “mais que vos yeux sur moi ce sont bien exercés”. Le désespoir de Pyrrhus est amplifié par des enjambements : et la Phrygie ; cent fois de votre sang à vu ma main rougie”, au vers 3 et 4, et un second entre le vers 9 et 12. Ces enjambements accélèrent considérablement le rythme du dialogue. Ensuite Pyrrhus exprime sa passion à travers une métaphore du feu : “brûle de plus de feux [...], tant d'ardeur inquiète”. De plus il interpelle Andromaque au vers 15 : “madame”, de manière très galante.
Pyrrhus avoue son amour à Andromaque au vers 19 : “animé d'un regard, je puis tout entreprendre” mais au vers 20 fait immédiatement référence à la guerre: “illion”. Il rappelle l'implication de la guerre dans sa relation avec elle, à la base ils étaient ennemis. Pyrrhus retient Andromaque mais il se révèle faible devant la femme qu'il aime.
b) L’expression de la souffrance
Dans cet scène nous pouvons observer la présence du champ lexical de la souffrance et ainsi le registre pathétique: “malheureux”, “pleur”, “soufre”, “brûle”, “cruel”, “maux”, “regret”, “remord”. Cela crée un véritable sentiment de pitié et de compassion. Au vers 8 cette souffrance est explicite: “je souffre.” Dans ce texte Pyrrhus passe de bureau à victime. Au vers 9, l'accumulation des participes passées (“vaincu”, “chargé”, “consumé”, “brûlé”) marque la passivité de Pyrrhus, et renforce son statut de victime.
De plus au vers 12 il dénonce la cruauté d'andromaque face à lui : “fus-je jamais si cruel que vous l'êtes ?”
Pyrrhus n'arrive pas à la séduire et utilise alors un argument fort, son fils. Au vers 16 : “je vous rends votre fils”. Cette promesse est faite au présent cela donne du réalisme à la scène. Il fait alors du chantage affectif.
II) La détermination tragique
a) Le refus d'obéir
Andromaque refuse d'obéir à Pyrrhus. Au vers 25 : “non, vous n'espérez plus”, la négation met complètement de côté la proposition de Pyrrhus. De plus Andromaque fait souffrir celui qui l'aime et qui la détient, en évoquant à plusieurs reprises “son mari défunt”: “mon époux”, “Hector”. Elle souhaite vraiment le voir souffrir car elle insiste sur les liens de respect entre elle et feu son mari : “mon”.
Ensuite au vers 31, elle fait une antithèse entre l'amour de Pyrrhus et sa haine : “votre amour contre nous, allume trop de haine”.
Elle s'oppose ainsi catégoriquement à celui qui l’a fait prisonnière, et le fait souffrir en évoquant son ancien époux.
b) La force de conviction
Andromaque fait une requête explicite au vers 28 : “c'est un exil que mes pleurs vous demandent”. Elle personnifie ses pleurs ce qui renforce l'objet de la demande. Elle demande l'exil et symboliquement s'éloigne de l'amour de Pyrrhus. De plus au vers 29: “souffrez que, loin des Grecs, et même loin de vous”, ce parallélisme insiste sur la séparation avec la répétition de loin. Elle veut faire souffrir Pyrrhus et compare ainsi ce dernier avec Hector. Elle fait une rime entre “vous” et “époux” pour les confronter.
Enfin au vers final elle utilise la répétition de “retournez”et la tournure injonctive, ainsi elle congédie froidement Pyrrhus et elle n'a aucune compassion.
Acte II scène 2, La confrontation entre Hermione et Oreste
I) Un duo impossible
a) Le manque de sincérité d’Hermione
Hermione ne dit jamais les choses directement car elle pose toujours des questions : “Enfin, qui vous a dit que, malgré mon devoir, Je n'ai pas quelquefois souhaité de vous voir ?”
Hermione fait comme si c'était elle la victime en utilisant le champ lexical de la tristesse : “éprouvé des alarmes ?”, “couler mes larmes ?”.
b) La lucidité d’Oreste
“Ouvrez vos yeux : songez qu'Oreste est devant vous, Oreste, si longtemps l'objet de leur courroux” : Bien qu’il soit amoureux il se rend compte que Hermione l’utilise comme un objet afin d’assouvir sa vengeance, il lui rappelle donc qu’il n’a pas perdu la mémoire.
II) Des héros tragiques qui ne sont pas maîtres de leur destin
a) Hermione
Hermione n’est plus elle même à cause de son amour pour Pyrrhus qui l’a trahi : “L'infidèle !” elle a donc soif de vengeance. Elle montre qu’elle souffre car son destin est entre les mains de Pyrrhus.
b) Oreste
Oreste demeure soumis à sa passion amoureuse pour Hermione, il n’est donc pas libre de son destin.
“Souhaité de me voir ! Ah ! Divine Princesse…”: Il compare Hermione a une déesse grâce à l’adjectif “divine”, il espère que Hermione veuille bien lui parler avec “souhaité”.
Acte III scène 7, La tirade de Pyrrhus
I) Un double discours tragique sur le plan politique
Dans le début de la scène nous comprenons que Pyrrhus demande à Andromaque de rester dans la pièce pour pouvoir lui parler : “Madame, demeurez.” Nous savons donc que cette scène se jouera entre Andromaque et Pyrrhus. De plus Pyrrhus rappelle à Andromaque qu’il est toujours roi et qu’il a le pouvoir de lui rendre son fils : “On peut vous rendre encor ce fils que vous pleurez”. Néanmoins Pyrrhus fait part de sa souffrance en expliquant qu’il ne peut pas la voir souffrir : “Oui, je sens à regret qu'en excitant vos larmes Je ne fais contre moi que vous donner des armes.” En plus de le faire souffrir celle-ci lui fait perdre la raison. Pyrrhus explique que ses premières intentions étaient de la faire souffrir en venant ici mais il la demande en mariage : “Je croyais apporter plus de haine en ces lieux. Mais, Madame, du moins tournez vers moi les yeux :” Nous comprenons que les devoirs de Pyrrhus seraient de remettre Astyanax aux Grecs et de la traiter comme une esclave de guerre : “Au nom de votre fils, cessons de nous haïr.”
Ensuite Pyrrhus nous fait part d’une série de questions rhétoriques:“A le sauver enfin c'est moi qui vous convie. Faut-il que mes soupirs vous demandent sa vie ?” car bien qu’Andromaque soit présente sur scène et que Pyrrhus s’adresse directement à elle, il sait bien (et le spectateur aussi), qu’Andromaque ne répondra pas favorablement à sa demande. Cette tirade a donc des caractéristiques du monologue délibératif puisque ce sont des questions que Pyrrhus se pose avant tout à lui-même car il n’arrive pas à se résoudre à exécuter Astyanax et donc à perdre définitivement Andromaque. Il est face à un choix impossible et semble sombrer dans la folie puisqu’il est prêt à répudier Hermione en dépit de ce que lui impose son rang et son honneur : “Je renvoie Hermione, et je mets sur son front, Au lieu de ma couronne, un éternel affront.”
Pyrrhus fait comprendre à Andromaque tous les sacrifices qu’il est prêt à entreprendre pour l'épouser:“Je sais de quels serments je romps pour vous les chaînes, Combien je vais sur moi faire éclater de haines.” Ici Racine utilise une métaphore pour indiquer que pyrrhus romps les “chaînes” de ses serments mais aussi les “chaînes” d’Andromaque qui est prisonnière et à qui il propose de devenir reine : “Je vous le dis, il faut ou périr ou régner.” Pyrrhus indique aussi qu’en sacrifiant son honneur de nombreuses personnes deviendront ses ennemis dont hermione qu’il devait épouser:“Je vous conduis au temple où son hymen s'apprête, Je vous ceins du bandeau préparé pour sa tête.” Nous comprenons désormais que Pyrrhus veut remplacer Hermione par Andromaque. Finalement Pyrrhus soumet Andromaque au choix ultime entre garder son fils et l’épouser ou mourir : “Songez-y : je vous laisse, et je viendrai vous prendre Pour vous mener au temple où ce fils doit m'attendre. Et là vous me verrez, soumis ou furieux, Vous couronner, Madame, ou le perdre à vos yeux.”
Ainsi nous avons vu que ce qui va toujours empêche Pyrrhus de faire le “bon” choix par rapport à son devoir c’est sa passion amoureuse pour Andromaque.
II) Un personnage tragique à cause de sa passion amoureuse
Pyrrhus implore Andromaque de rester car malgré son statut de roi et le statut d’esclave d’Andromaque, Pyrrhus la considère toujours comme une princesse d’ou son ordre très poli :“Madame, demeurez” Pyrrhus se place en position d’infériorité devant Andromaque a cause de son amour. Cet ordre sonne plutôt comme une supplication.
Après avoir indiqué qu’il avait tout le pouvoir sur elle Pyrrhus dit qu’elle a tout le pouvoir sur lui : “Oui, je sens à regret qu'en excitant vos larmes Je ne fais contre moi que vous donner des armes.” Cependant lui, aime véritablement Andromaque et il ne veut pas la faire souffrir c’est pourquoi il la supplie d’accepter sa demande en mariage.Pyrrhus montre à Andromaque sa vulnérabilité quand il est en face d’elle car d‘un côté il voudrait la faire souffrir pour qu’elle accepte sa demande mais de l’autre côté cela lui est impossible car il l’aime sincèrement: “Je croyais apporter plus de haine en ces lieux. Mais, Madame, du moins tournez vers moi les yeux”Pyrrhus tente de démontrer à Andromaque qu’il n’est pas son ennemi mais qu’il est réellement sincère: “Voyez si mes regards sont d'un juge sévère, S'ils sont d'un ennemi qui cherche à vous déplaire.” Pyrrhus tente de faire cesser les hostilités avec Andromaque en l’implorant de l’épouser si elle aime réellement son fils:“Au nom de votre fils, cessons de nous haïr.” Pyrrhus fait part de son impatience car il sait que malgré tout ce qu’il dit la situation ne va pas changer. Il lui demande de se sauver en sauvant son fils: “Faut-il qu'en sa faveur j'embrasse vos genoux ? Pour la dernière fois, sauvez-le, sauvez-vous.”Cependant c’est Pyrrhus qui demande à être sauvé de l'indifférence d’Andromaque qui lui occasionne une souffrance pire que la mort.
Nous ressentons le désespoir de Pyrrhus qui endure depuis longtemps cette amour qu’il a pour Andromaque et nous ressentons aussi qu’il ne pourra plus continuer longtemps comme ceci : “Mon coeur, désespéré d'un an d'ingratitude, Ne peut plus de son sort souffrir l'incertitude.” Pyrrhus parle de l’incertitude d’Andromaque alors que c’est lui qui est incertain dans les décisions qu’il entreprend. Pyrrhus continue à parler de son sort misérable car il a la mort pour seule option.“C'est craindre, menacer et gémir trop longtemps. Je meurs si je vous perds, mais je meurs si j'attends.” Cela fait trop longtemps qu’il souffre de l'indifférence d’Andromaque.
Pour Conclure cette scène qui est censée être un dialogue entre Andromaque et Pyrrhus se résulte en le monologue délibératif d’un homme souffrant pour une femme et ne sachant pas ce qui est plus important, son devoir en tant que roi, ou bien son devoir en tant qu’homme amoureux. Cette scène est très intéressante car nous pouvons très bien ressentir le caractère du personnage tragique qu’est Pyrrhus. Ce personnage qui ne peut pas être exaucé nous fait ressentir de la pitié car il est prêt à tous les sacrifices pour épouser Andromaque alors que celle-ci est déterminée à honorer la mémoire de son défunt mari.
Acte IV scène 3, Hermione et Oreste
I) La fureur d’Hermione
Hermione tente de convaincre Oreste de tuer Pyrrhus avec une série d’arguments. Tout d’abord, son premier argument est motivé par son orgueil : “Ne vous suffit-il pas que ma gloire offensée Demande une victime à moi seule adressée”. Les questions rhétoriques ont pour but d‘accuser Oreste de ne pas prendre sa défense et de l’obliger à se ranger de son côté en partageant sa haine : “Que je le hais”. C’est une héroïne tragique puisqu’elle se laisse complètement dominer par ses sentiments, sa haine étant le résultat de son amour déçu : “enfin, Seigneur, que je l'aimai ?
Je ne m'en cache point”. Suite à cette déception, Hermione est remplie de honte : “Malgré mes voeux, Seigneur, honteusement déçus”. A cause de ce crime, elle en devient colérique et sans pitié. Cette colère n’étouffe pourtant pas totalement l’amour qui lui reste pour Pyrrhus : “S'il ne meurt aujourd'hui, je puis l'aimer demain.”. Hermione, de façon égoïste et très cruelle va jusqu'à utiliser l’amour qu’Oreste éprouve pour elle comme une arme en lui faisant du chantage affectif : “Je m'en vais seule au temple, où leur hymen s'apprête, Où vous n'osez aller mériter ma conquête. [...] Et, tout ingrat qu'il est, il me sera plus doux De mourir avec lui que de vivre avec vous”. En réponse aux lamentations d’Hermione, Oreste reste perplexe et émet des doutes qui sont évidents.
II) Les hésitations d’Oreste
Face à la cruauté d’Hermione, Oreste est en proie au doute : “Il faut…”. Cependant il essaye de comprendre la situation et se montre volontaire à l’aider. Il pose de vraies questions pour engager un dialogue, ce qui n’était pas le cas d’Hermione qui ne donnait que des ordres : “ Mais cependant que faut-il que je fasse ? Comment puis-je sitôt servir votre courroux ? Quel chemin jusqu'à lui peut conduire mes coups ?” Oreste prend conscience qu’Hermione lui demande de tuer l’empereur uniquement pour laver l’affront qui lui a fait subir. Dans le vers : “Cette nuit je vous sers, cette nuit je l'attaque” la capitulation d’Oreste est totale. Au début, il était hésitant et ne savait pas quel côté choisir mais ce vers coupé à l’hémistiche par la virgule montre qu’il s’est résolu et qu’il finira par tuer Pyrrhus.Dans ce dialogue, Oreste apparaît comme un personnage réfléchi par opposition à Hermione qui est dominée par ses passions : “Vous voulez par mes mains renverser un empire “ , “Mais, Madame, songez…”. Le tragique d’Oreste c’est que par amour il va accomplir la vengeance d’un autre personnage.
Acte IV scène 5, La tirade d’Hermione, De «Je ne t'ai point aimé, cruel ? Qu'ai-je donc fait ?» à «Va, cours. Mais crains encor d'y trouver Hermione.» Comment la colère d’Hermione devient-elle une déclaration d’amour ?
La tirade commence par deux questions rhétoriques qui s’adressent à elle-même plutôt qu’à Pyrrhus (“Je ne t'ai point aimé, cruel ?”). Hermione rappelle à Oreste les sacrifices auxquels elle a
consenti pour se marier avec lui : elle aurait pu épouser un prince plus puissant car c’est une belle femme très courtisée, elle l’a poursuivi de ses assiduités ce qui est indigne d’une femme et
encore plus d’une princesse, d’autant que Pyrrhus ne lui a jamais été fidèle, c’est la raison pour laquelle elle fait honte à son peuple : “tous mes Grecs honteux de mes bontés”. Hermione a donc
renoncé à son honneur et donc à son autorité politique par amour pour Pyrrhus qui est un traître à sa patrie parce qu’il est amoureux d’une troyenne, Andromaque (“J'attendais en secret le retour
d'un parjure”). Hermione ne manque pas de rappeler Pyrrhus à ses devoirs : “Tu me rapporterais un coeur qui m'était dû.” Mais immédiatement après elle lui fait une déclaration d’amour : “Je
t'aimais inconstant ; qu'aurais-je fait fidèle ?”, “je doute encor si je ne t'aime pas”, avec un chantage affectif pour lui faire comprendre qu’en choisissant d’épouser une autre femme il va
passer à côté du bonheur. Le registre tragique est de cette déclaration d’amour est renforcé par l’allitération en [r] dans les mots les plus importants : “cruelle” et “trépas” placés à la rime,
et “Ingrat” détaché à gauche. Tout cela rend le personnage d’Hermione ambigu et inquiétant. Certaines de ses phrases sonnent comme une menace : “Pour la dernière fois je vous parle peut-être” (on
pourrait penser qu’Hermione envisage le suicide ou le meurtre), “Porte aux pieds des autels ce coeur qui m'abandonne ; Va, cours. Mais crains encor d'y trouver Hermione”, “Ces Dieux, ces justes
Dieux n'auront pas oublié Que les mêmes serments avec moi t'ont lié” (Hermione espère que les Dieux vont la venger).
Acte V scène 1, Le monologue d’Hermione
Dès le début on remarque qu’Hermione est complètement troublée. Elle se pose de nombreuses questions par rapport à sa situation sans pouvoir y répondre. Elle ne sait pas qui elle est, elle ne sait pas ce qu’elle a fait, ni ce qu’il faut faire. Ses sentiments sont remplis de confusion, Hermione se demande ce qui la tourmente intérieurement. La jeune femme se montre ensuite orgueilleuse. Elle ne comprend pas pourquoi Pyrrhus n’a pas de remords par rapport à sa peine. Elle estime qu’elle devrait être plainte et qu’on devrait avoir pitié pour elle, ce qui est propre à un personnage arrogant. Néanmoins, Hermione est dotée d’une certaine lucidité car petit à petit elle commence à comprendre ce qui la dévore. Elle comprend que cette colère n’est causée que par son amour pour Pyrrhus.
A travers ce monologue, il est évident qu’Hermione est submergée de conflits intérieurs. Tout d’abord, elle n’arrive pas à se départager entre son amour et sa haine. Hermione aime Pyrrhus, son “lâche coeur s'intéresse pour lui”, elle le plaint et s’en inquiète. D’autre part, l’emploi de surnoms péjoratifs tels que “Le cruel”, “l’ingrat” et “Le perfide” révèle bien sa haine pour Pyrrhus. On peut également remarquer que son ambition et sa force sont limitées par sa faiblesse. Hermione souhaite “Qu'il périsse”. Elle souhaite sa mort mais elle réalise qu’elle est dans un “embarras funeste”, qu’elle ne peut rien faire par elle même, et qu’elle doit laisser Oreste s’en occuper. Suite à toutes ces lamentations par rapport à ses sentiments et à sa peine envers Pyrrhus, on pourrait penser qu’elle lui ferait grâce mais elle change soudainement d'état d’esprit et se dit que cela ne vaut pas la peine d’arrêter sa colère, elle est ensuite emportée par une haine sans limite qui la pousse au désir de tuer Pyrrhus.
En second lieu, nous pouvons étudier le mépris d’Hermione qui est causé par plusieurs facteurs. Par exemple, l’indifférence de Pyrrhus met en colère Hermione qui se considère comme une personne à laquelle on doit un grand respect, plus particulièrement au niveau sentimental. Elle n’apprécie guère le manque de considération que Pyrrhus a pour Hermione. Ainsi, elle décide de l’accabler de reproches et de le mépriser. Elle lui souhaite sa mort et continue de le reprocher avec un air supérieur comme si Pyrrhus était une personne inférieure et ignorante, “Il pense voir” , “Il croit que”. Tout de même, Hermione se rappelle de son passé avec Pyrrhus, de tout son dévouement et de tout son amour envers lui. De ce fait, elle l’en rend coupable. Elle incite sur le fait que c’est de sa faute, qu’il la forcée à l’aimer et que c’était donc sa volonté. Entre-temps, Hermione réalise que c’est elle qui a ordonné ce crime, elle a demandé à Oreste d’aller tuer Pyrrhus pour elle. A ce moment-là, Hermione et le lecteur sont troublés, on ne sait plus qui veut quoi, qui est le responsable de quoi, c’est la confusion totale. Elle est indécise, jusqu’à la fin de ce monologue. Ainsi le lecteur reste dans le doute.
Acte V scène 5, La folie d’Oreste
I) La sensation physique de la mort
Suite au dialogue imaginaire d’Oreste avec les dieux, celui-ci se sent par le froid et l'obscurité et le sang qui sont symboles de mort mais aussi de folie car Oreste créer ces sensations mentales et non physiques : “Mais quelle épaisse nuit tout à coup m’environne ?De quel côté sortir ? D’où vient que je frissonne ?Quelle horreur me saisit ! Grâce au ciel j’entrevoi...Dieux ! quels ruisseaux de sang coulent autour de moi !” Ici Oreste se sent piégé par la mort tandis que juste avant il était piégé par son destin funeste qui rime avec Oreste pour souligner le tragique du personnage.
II) Le dialogue avec les dieux
Au début de la tirade d’Oreste on ressent la colère mêlée au désespoir du personnage par rapport au rythme rapide et hétérogène ce qui montre le désordre de l’esprit :“Grâce aux dieux ! Mon malheur passe mon espérance ! Oui, je te loue, ô ciel, de ta persévérance” Après avoir reçu la nouvelle de la mort d’Hermione Oreste s’en prend aux dieux car il croit que son destin avait été décidé depuis sa naissance. Il pense avoir été utilisé comme exemple de la haine des dieux :”Ta haine a pris plaisir à former ma misère ;J’étais né pour servir d’exemple à ta colère,”De plus nous voyons que la haine d’Oreste lui fait manquer de respect aux dieux qu’il tutoie sans remords.
Ce passage crée un contraste par rapport aux prochains vers qui sont des vers non césurés ce qui montre que le personnage a calmé sa respiration même si sa haine et sa tristesse restent inchangées :” Appliqué sans relâche au soin de me punir, Au comble des douleurs tu m’as fait parvenir.” Néanmoins nous remarquons qu’Oreste commence une nouvelle fois à perdre son souffle quand il propose de tuer auprès de Pyrrhus et Hermione :” Pour être du malheur un modèle accompli.Hé bien ! je meurs content, et mon sort est rempli.Où sont ces deux amants ? Pour couronner ma joie, Dans leur sang, dans le mien, il faut que je me noie” Dans sa folie Oreste se sent impuissant et il décide de se tuer : “L’un et l’autre en mourant je les veux regarder” Dans ce passage nous voyons que malgré sa folie Oreste dit quelque chose de remarquable quand il propose de “s’accorder” avec Hermione et Pyrrhus car de lors de leur vivant ils n’ont jamais pu se comprendre et donc bien s’entendre :”Réunissons trois cœurs qui n’ont pu s’accorder…” Nous remarquons aussi la référence à la musique de Racine qui emploie le mot “accorder” ce qui contraste avec la discorde entre les personnages depuis le début de l’oeuvre. Cela montre que seul la mort pourra réunir des personnages qui ont eu des passions amoureuses.
III) Les hallucinations
Oreste après s’être senti mourant,commence à développer des hallucinations: “Quoi ? Pyrrhus, je te rencontre encore ?Trouverai-je partout un rival que j’abhorre ?” Ce passage renforce le fait que Pyrrhus ne sera jamais pardonné pour ses actes.Oreste est maintenant complètement tombé dans la folie quand il s’imagine tuer pour la deuxième fois Pyrrhus : ”Percé de tant de coups, comment t’es-tu sauvé ?Tiens, tiens, voilà le coup que je t’ai réservé.”Oreste imagine tout ce qu’il a le plus redouté en voyant Hermione auprès de Pyrrhus : “Mais que vois-je ? À mes yeux Hermione l’embrasse ! Elle vient l’arracher au coup qui le menace ? Dieux ! quels affreux regards elle jette sur moi ! Quels démons, quels serpents traîne-t-elle après soi ?” Ici Oreste commence à être hanté par le remord représenté par les erinyes d’ou le fait qu’il imagine des serpents auprès d’Hermione : “Eh bien ! filles d’enfer, vos mains sont-elles prêtes ? Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ?” dans ce deuxième vers Racine emploie une allitération en [s] pour désigner la souffrance d’Oreste à cause de sa culpabilité. Oreste est prêt à livrer sa vie aux erinyes:” À qui destinez-vous l’appareil qui vous suit ? Venez-vous m’enlever dans l’éternelle nuit ? Venez, à vos fureurs Oreste s’abandonne.” Oreste décide finalement de s’abandonner a la folie et de laisser Hermione le tuer : “Mais non, retirez-vous, laissez faire Hermione : L’ingrate mieux que vous saura me déchirer ; Et je lui porte enfin mon cœur à dévorer.” A la fin de cette tirade nous voyons pour la première fois Oreste s’en prendre à Hermione qui est métamorphosée en bête sauvage prête à lui dévorer le coeur pour la deuxième fois.
Ainsi, cette scène nous montre le tragique du personnage d’Oreste qui lutte contre un destin qu’il n’a pas choisi et qui va le livrer à la merci de la folie symbolisée par les
Erynies.
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