Analyse du poème Les mendiants de Verhaeren
La misère et la mendicité sont des thèmes qui préoccupent les poètes du XIXe siècle. Avec la Révolution Industrielle, les villes s’agrandissent et avec elles augmentent aussi les inégalités sociales. Ainsi, Emile de Verhaeren écrit en 1893 “Les mendiants”pour dénoncer la mendicité. A travers ce poème en vers libre, le poète présente les mendiants comme un fléau social. Nous allons étudier la manière dont laquelle le poète évoque les mendiants. Dans un premier temps, nous allons voir les moyens employés pour évoquer la condition de vie des mendiants puis les moyens employés par le poète pour mettre en valeur les relations des mendiants avec les hommes et le monde.
I) Dénoncer les conditions de vie des mendiants
a) La déshumanisation des mendiants
«Les mendiants ont l'air de fous.»- revient deux fois à travers le poème comme un refrain.
«Ils s'enfoncent au creux des routes»- s’enfoncer comme des animaux dans des creux pour se protéger du monde extérieur.
«L'été, parmi les champs nouveaux,
Ils épouvantent les oiseaux ;»- les mendiants sont devenus des épouvantails qui font peur aux oiseaux. Leur état pitoyable est mis en évidence avec le verbe “épouvanter” et le présent d'éternité.
«Ils sont le monotone pas
- Celui qui vient et qui s'en va
Toujours le même et jamais las
De l'horizon vers l'horizon.»- le fait de marcher n’est plus une nécessité mais une habitude mécanique puisque s’ils s'arrêtaient de marcher ils mourraient d'épuisement.
«Aussi, lorsqu'ils tombent enfin,
Séchés de soif, troués de faim,»- le mot “trou” revient encore une fois et souligne que les mendiants sont devenus leurs conditions de vie.
«Et se terrent comme des loups,»- comparaison des mendiants a des loups qui explicite l’animalisation des mendiants «Au fond d'un trou».
b) Le portrait pathétique de la misère
«Le bourg, le clos, le bois, la fange,
Poteaux de haine et de misère,»- accumulation qui met en valeur les conditions de vie des mendiants.
«Avec leur pain trempé de pluie»- Ils ne peuvent pas tremper leur pain dans la soupe et ne pourront plus le manger puisqu'il est trempé dans l’eau ce qui montre leur misère car il ne peuvent pas se procurer à manger, une nécessité primaire.
«Et leur chapeau comme la suie»- comparaison du chapeau a une poudre noire qui a une odeur
Et leurs grands dos comme des voûtes
Et leurs pas lents rythmant l'ennui ;»- rime entre “suie” et “ennui” qui qualifie les mendiants.
L’anaphore de “Et” insiste sur l'état des mendiants et leurs pas qui sont mimés par l’harmonie suggestive.
«Avec leurs hardes et leurs loques»- La misère est dévoilée par leurs vêtements pitoyables “hardes” et “loques”
«Et leur marche qui les disloque»- “Et” qui renvoie à la difficulté du chemin des mendiants.
«Un à un, ils s'immobilisent
Sur des chemins d'église,
Mornes, têtus et droits,
Les mendiants, comme des croix.» - Les mendiants sont à l’image de Christ, leur croix fait partie d’eux-mêmes car ils ne peuvent se départir de leur misère.
II) La relation entre les mendiants et les hommes
a) Un paysage hostile
«Les jours d'hiver quand le froid serre»- personnification de l’hiver
«Le bourg, le clos, le bois, la fange,»- personnification du bourg, le clos, le bois, la fange cadre campagnard.
«Dans le matin, lourds de leur nuit,
Ils s'enfoncent au creux des routes»- s’enfoncer comme des animaux dans des creux pour se protéger du monde extérieur. Les mendiants sont complètement exclus de la société.
«On les dirait immensément lassés
Et résignés aux mêmes gestes ;
Pourtant, au seuil des fermes solitaires,
Ils surgissent, parfois, tels des filous,
Le soir, dans la brusque lumière
D'une porte ouverte tout à coup.»
Allitération en [s] qui marque la souffrance des mendiants.
«Les mendiants ont l'air de fous.
Ils s'avancent, par l'âpreté
Et la stérilité du paysage,»- l’enjambement met en valeur l'hostilité du paysage où se trouvent les mendiants.
“qu’ils reflètent au fond des yeux” : leur état d'âme est conditionnée par la dureté de leurs conditions de vie (paysage état d'âme). Ce paysage hostile semble fabriquer les mendiants fantomatiques et effrayants.
«Et maintenant que Décembre sur les bruyères»- personnification du mois de Décembre qui “s’acharne”, “mord” et “gèle” les mendiants.
«S'acharne et mord
Et gèle, au fond des bières,
Les morts,»- le rejet et l'hétérométrie met en valeur les conditions climatiques extrêmes de vie des mendiants au point que même les morts ont froid.
b) L'exclusion sociale des mendiants présentés comme effrayants
«Poteaux de haine et de misère»- L’image du poteau renvoie à la potence ou sont pendu les voleurs. Les mendiants sont assimilés à des voleurs.
«Les mendiants ont l'air de fous.»- Le poète utilise l’attribut du sujet pour qualifier les mendiants.
«Midi les arrête dans les fossés
Pour leur repas ou leur sieste ;»- Utilisation de l’ironie car les mendiants n’ont pas les moyens de s’offrir un repas ni de faire une sieste puisqu’il n’ont pas de domicile.
Avec leur dos comme un fardeau- les mendiants souffrent tellement que leurs dos leurs sont des “fardeau”.
«Et leur chapeau comme la suie»- Comparaison avec le noir sale
«Ils habitent les carrefours
Du vent et de la pluie.»- le verbe “habiter” renforce le pathétique de la situation des mendiants.
«Ils surgissent, parfois, tels des filous,»- les mendiants sont comparés à des voleurs.
«Le soir, dans la brusque lumière
D'une porte ouverte tout à coup.»- image du mendiants agressif qui va attaquer la population.
«Ils sont l'angoisse et le mystère
Et leurs bâtons sont les battants
Des cloches de misère
Qui sonnent à mort sur la terre.»- les mendiants deviennent l’image de la mort qui marche sur la Terre comme s’ils étaient déjà morts (ils sont déjà morts dans la société).
«Ceux qui s'en viennent,
Après les besognes quotidiennes,
Ensevelir à la hâte leur corps
Ont peur de regarder en face
L'éternelle menace
Qui luit sous leur paupière, encor.» - Quand les fossoyeurs viennent enterrer les mendiants décédés, il ont encore peur de les regarder puisqu'ils n'étaient déjà pas vraiment vivants, peut-être ne sont-ils pas complètement morts, car l’esprit de la misère continue à rôder sur la lande, telle une entité démoniaque, qui pourrait sauter sur le fossoyeur et le contaminer à son tour.
Pour conclure, le poète symboliste présente les mendiants comme une menace sociale qui rôde dans un paysage hostile, dans le but de susciter la pitié du lecteur qui est invité dans ce long poème à mener une réflexion sur la miséricorde et la compassion. Nous pouvons alors nous interroger sur le rôle politique du poète.
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Elise (lundi, 19 septembre 2022 19:13)
Très belle analyse qui me sauve ! Merci !
J'ai repéré quelques éléments supplémentaires comme la métaphore "leurs bâtons sont des battants" avec l'allitération de consonnes dentales, soulignant la violence. De plus "Ils sont l'angoisse et le mystère" montre que les mendiants, tellement exclus et pas considérés par la société, ont perdu leur identité. Encore merci !