Analyse linéaire du poème "Souvenir de la nuit du quatre" de Victor Hugo
I. Les éléments du récit et les différentes modalités d'expression
Le poème "Souvenir de la nuit du quatre" de Victor Hugo est composé de trois parties distinctes qui se découpent en plusieurs passages ayant des modalités et des contenus différents.
A. Le récit (vers 1 à 25)
Le récit s'ouvre sur une présentation très concise de la situation, mettant en avant la mort d'un enfant. Cette première phrase est construite à l'hémistiche du vers 1 pour créer un choc initial chez le lecteur. Les vers 2 et 3 présentent le cadre, insistant sur la simplicité du logis. Le détail réaliste du rameau béni dans le vers 3 contribue à faire vivre le décor et est confirmé par l'armoire en noyer. Le jugement moral avec le mot "honnête" dans le vers 3 contribue au pathétique et à la dénonciation. Les personnages apparaissent dans les vers 4 et 5 : la grand-mère, le narrateur et ses amis. Les vers 5 à 11 insistent sur l'apparence physique de l'enfant et sur sa blessure, avec un détail réaliste qui rappelle l'enfance de l'enfant : la "toupie en buis" dans le vers 8. Les vers 12 à 15 présentent la grand-mère et ses gestes qui s'intègrent au récit, interrompu par deux vers au discours direct qui rapportent son émotion. Les vers 16 et 17 évoquent le bruit extérieur, témoignant de la lutte continue. Le récit est à nouveau interrompu dans le vers 18 par les propos du narrateur. Les vers 22 à 25 reprennent le récit avec des gestes personnels, la démarche de la grand-mère étant interrompue par le commentaire désabusé du narrateur sur le pouvoir de la mort. Cette alternance du récit et du discours crée un passage vivant.
B. Les paroles de la grand-mère (vers 26 à 46)
Le passage au discours direct fait varier les modalités de ton et de temporalité. Il est interrompu par deux vers de récit dans les vers 40 et 41. Dans les vers 26 et 27, la grand-mère exprime son indignation avec un vers exclamatif, soulignant sa douleur, et le narrateur est pris à témoin : "monsieur". Les vers 28 à 30 évoquent l'image de l'enfant vivant. Le retour au présent est marqué par une interrogation douloureuse pleine d'incompréhension. Les vers 33 à 39 évoquent l'enfant le matin même de sa mort, un souvenir plus récent et plus douloureux, soulignant la présence de l'enfant avec le mot "là". La grand-mère dénonce l'injustice de faire mourir un enfant plutôt qu'un vieux et accuse plus précisément "M. Bonaparte" explicitement nommé. Elle se livre à une interrogation sur son propre avenir et les raisons de cette mort, sans justification. Deux vers de récit sont suivis de la suite du discours, avec la réaction du narrateur et de ses amis.
C. Le jugement de l'auteur (vers 49 à 60)
Dans la troisième partie du poème, le narrateur livre sa réponse, qui semble être comme adressée à la grand-mère. Le vers 49 insiste sur la nature de la réponse qui est d'ordre politique. Les vers 50 à 57 mettent en cause violemment Napoléon III, critiquant plusieurs aspects de sa politique : le goût du luxe, la politique qui "sauve famille, église et société" avec des rappels de certains titres de livres, et l'idolâtrie. Le vers 58 établit faussement un lien logique entre le comportement de Napoléon III et la mort de l'enfant. Les trois derniers vers font une généralisation.
Le texte se veut dénonciateur, recourant à l'émotion et au pathétique pour mettre en lumière l'injustice et la responsabilité de Napoléon III dans la mort de l'enfant.
II. Le registre pathétique, l'émotion
Le poème "Souvenir de la nuit du quatre" est imprégné d'un fort registre pathétique, cherchant à susciter l'émotion chez le lecteur.
A. Forte présence du champ lexical du chagrin
Le champ lexical du chagrin est très présent dans le poème, concernant principalement la grand-mère et ayant une conséquence sur les personnes présentes. Les termes "pleurs" dans le vers 4, "navre" dans le vers 26, "sanglots" dans le vers 40, "pleurer" dans le vers 41, "tremblant" dans le vers 48 et "deuil" dans le vers 48 évoquent l'émotion et le bouleversement affectif des personnes présentes.
B. La simplicité du lieu
L'émotion naît du contraste entre la simplicité du logis et la dureté de la scène représentée, à deux reprises au moins. Les vers 2-3 présentent une accumulation d'adjectifs qui insistent sur le caractère humble du logis, milieu modeste, étranger à la violence. Les vers 19-20 renforcent l'image de la vie paisible et bien rangée.
C. Le comportement de la grand-mère
La grand-mère se comporte avec beaucoup de tendresse et de sollicitude, comme si l'enfant était malade, avec les vers 14 et 31. Elle s'oppose à l'idée de la mort avec le mot "cependant" dans le vers 20.
D. L'image de l'enfant mort
Les éléments descriptifs dans le vers 1 soulignent l'horreur d'une mort pitoyable, avec un ton neutre d'une simple constatation. La ponctuation contribue à créer de l'émotion naissant du silence. Le vers 10-11 "doigt dans le trou de ses plaies" renforce l'idée d'une mort injuste qui frappe l'innocence.
E. L'image de l'enfant vivant
Le contraste entre le passé heureux et prometteur de l'enfant et le présent de sa mort fait naître l'émotion et la révolte. La "toupie en buis" dans le vers 8 rappelle l'enfance de l'enfant et les vers 27 à 30 évoquent la grand-mère, soulignant l'injustice de cette mort. L'indicateur temporel "ce matin" ajoute à l'émotion.
F. L'expression de l'incompréhension
L'incompréhension est exprimée sous forme d'allusions ou de façon directe dans le poème. Les vers 28 à 30 et 34 à 35 sont des exclamations soulignant l'injustice et l'incrédulité, soulignant le fossé entre le passé heureux et le présent de la mort. Le vers 39 met en relief l'injustice qui condamne la jeunesse et laisse en vie la vieillesse. Le vers 30 à 31 est une interrogation soulignée par l'enjambement qui renforce l'indignation. Le vers 42 est une situation de la grand-mère et une interpellation du narrateur et des amis qui mettent en relief la volonté de savoir, soulignée par la répétition du mot "expliquer". Cependant, toutes ces questions restent sans réponse, sauf celle du poète.
III. L'aspect argumentatif, la dénonciation
Le poète répond avec un engagement politique en dénonçant l'injustice et cherchant à établir la responsabilité de Napoléon III dans la mort de l'enfant. La dénonciation naît du pathétique qui contribue à mettre en avant l'injustice.
Le récit commence par "on", qui est relativement général, puis devient "ils" et enfin "M. Bonaparte". Tout d'abord, l'idée de responsabilité collective de la population est mise en avant, puis l'idée de dissociation de la grand-mère, puis la responsabilité directe. Le sujet de l'infinitif "tuer" est présent.
L'association inattendue entre "prince" et "pauvre" est soulignée par le mot "richesse" qui met en avant le côté superficiel et luxueux de la vie de Napoléon III. L'accumulation a un effet accusateur et contraste avec la pauvreté de l'enfant.
Le poète établit un effet de décalage entre les biens recherchés et possédés par Napoléon III et son rôle moralisateur. Le rapport faussement logique établi dans le vers 58-60 tente de relier le comportement de Napoléon III et la mort de l'enfant.
L'accusation de l'idolâtrie dont est sujet Napoléon III dans le vers 57 est renforcée par la fausse logique dans le vers 58-60. Le rapprochement entre les caprices du prince et la mort de l'enfant est critiqué et renforcé par la généralisation dans le vers final. La précision de l'âge de l'enfant souligne l'injustice de sa mort.
En conclusion, "Souvenir de la nuit du quatre" est un poème poignant qui traite de l'injustice de la mort d'un enfant et de la responsabilité de Napoléon III dans cet événement. Le poète utilise le registre pathétique et l'émotion pour mettre en avant l'injustice, l'incompréhension et la douleur causées par la mort de l'enfant. Il adopte également un ton dénonciateur pour critiquer la politique et le comportement de Napoléon III, qui est accusé d'indifférence envers le sort des pauvres et des plus vulnérables de la société.
Le poème est construit en plusieurs passages, chacun avec des modalités et un contenu différents. La présentation très concise de la situation de l'enfant au début crée un choc initial, puis le poète développe les personnages et les détails qui contribuent à la création de l'émotion et de la pathétique. Les paroles de la grand-mère sont particulièrement émouvantes, avec son indignation et sa douleur qui sont exprimées de manière très directe.
Le poète utilise également des éléments réalistes pour rendre le poème plus vivant, comme le rameau béni dans l'armoire en noyer et la toupie en buis, qui rappellent l'enfance de l'enfant. Les gestes de la grand-mère et les interruptions du récit par les commentaires du narrateur et des amis ajoutent également à la vivacité du poème.
En fin de compte, "Souvenir de la nuit du quatre" est un poème puissant qui traite d'un sujet tragique avec une grande intensité émotionnelle. Victor Hugo utilise son talent pour la poésie pour dénoncer l'injustice et la souffrance, et pour inciter les lecteurs à réfléchir sur la nécessité de prendre des mesures pour protéger les plus vulnérables de la société.
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