Publié en 1880, Boule de Suif est l'une des nouvelles les plus célèbres de Guy de Maupassant, marquant son entrée dans la littérature française. Elle est souvent considérée comme une œuvre majeure du naturalisme, où l’auteur décrit de manière critique et réaliste la société française pendant la guerre franco-prussienne de 1870. Boule de Suif est une nouvelle qui met en lumière les hypocrisies et les travers des classes sociales face à une situation de crise. Le récit dépeint un groupe de bourgeois et d'aristocrates qui se retrouvent piégés par la guerre et dont le destin repose entre les mains d'une femme qu'ils méprisent.

 

Introduction et situation de la guerre

L’histoire se déroule pendant la guerre franco-prussienne, dans la région de Rouen, en Normandie. L'armée prussienne occupe la ville, créant une atmosphère de peur et de chaos. Les Prussiens contrôlent la région et la population française tente de survivre sous cette occupation. Dans ce contexte, un groupe de dix personnes de différentes classes sociales décide de fuir la ville pour rejoindre Le Havre, espérant échapper aux envahisseurs. Ils montent tous ensemble dans une diligence, qui va devenir le théâtre d'une tension sociale palpable.

Les personnages principaux, aux statuts sociaux divers, sont :

• Boule de Suif, une prostituée dont le vrai nom est Elisabeth Rousset, surnommée ainsi en raison de son physique rond.
• Monsieur et Madame Loiseau, des commerçants de vins, personnages grossiers et opportunistes.
• Monsieur et Madame Carré-Lamadon, des bourgeois respectables appartenant à la haute société.
• Le comte et la comtesse Hubert de Bréville, des aristocrates descendants de la noblesse.
• Cornudet, un démocrate révolutionnaire et républicain farouche, défenseur de la patrie.
• Deux religieuses, personnages discrets mais très observateurs.

 

Le voyage en diligence

Dès le début du voyage, une distinction sociale est visible entre les passagers de la diligence. Boule de Suif est méprisée en raison de sa condition de prostituée. Les autres personnages la jugent silencieusement, avec des attitudes moralisatrices, même si elle est la seule à avoir pensé à apporter de la nourriture pour le voyage. La plupart des autres passagers, qui appartiennent aux classes sociales plus élevées, ont des préjugés contre elle. Malgré cela, quand la faim commence à se faire sentir, Boule de Suif, généreuse, partage sa nourriture avec eux. Ce geste généreux provoque un revirement temporaire dans l'attitude des autres passagers, qui commencent à la traiter avec un peu plus de respect.

 

L’arrêt dans la ville occupée

Le groupe arrive à Tôtes, une petite ville également occupée par les Prussiens. Ils sont contraints de s'arrêter à l’auberge locale, où un officier prussien commande que la diligence ne reparte pas tant que Boule de Suif n’aura pas consenti à coucher avec lui. L’officier prussien fait de Boule de Suif l’otage de ses désirs : tant qu’elle refusera ses avances, personne ne pourra quitter la ville.

Boule de Suif, malgré son métier et les supplications de ses compagnons de voyage, refuse catégoriquement de céder à l’officier prussien. Elle voit dans cet acte une forme de trahison envers la patrie et un sacrifice de son honneur. Pendant plusieurs jours, la situation stagne, et les voyageurs se retrouvent coincés à l’auberge.

 

La pression morale des voyageurs

À ce stade du récit, Maupassant expose l'hypocrisie des bourgeois et aristocrates. Au début, les voyageurs défendent l’attitude de Boule de Suif et respectent son refus. Cependant, alors que les jours passent et que leur impatience grandit, ils commencent à faire pression sur elle pour qu’elle accepte la proposition de l'officier prussien.

Ils utilisent des arguments moralisateurs pour la convaincre. Ils prétendent qu'elle ne fait que retarder leur départ et que, puisqu’elle est déjà une prostituée, ce sacrifice ne devrait pas être un fardeau pour elle. Les deux religieuses vont même jusqu’à justifier cette demande par la religion, affirmant qu’il s’agit d’un acte de charité qui mettrait fin à la souffrance de tous.

Le comportement des passagers révèle une fracture morale profonde : alors qu’ils prétendaient défendre les valeurs de patriotisme et d’honneur, ils n’hésitent pas à encourager Boule de Suif à trahir ses propres principes pour satisfaire leur confort personnel.

 

Le sacrifice de Boule de Suif

Finalement, sous la pression incessante et hypocrite des autres passagers, Boule de Suif cède à contrecœur et accepte de passer la nuit avec l’officier prussien. Le lendemain matin, la diligence est enfin autorisée à repartir, et les passagers célèbrent leur libération sans vergogne. Cependant, alors que tout le monde semble heureux de quitter la ville, Boule de Suif, elle, est profondément humiliée et blessée. Elle se sent trahie, non seulement par l’officier, mais surtout par ses compagnons de voyage, qui ont profité de sa faiblesse et de son sacrifice.

 

L’indifférence des autres passagers

Durant le reste du voyage, l'attitude des voyageurs envers Boule de Suif change radicalement. Ils retournent à leur comportement initial, la méprisant de nouveau maintenant qu'ils ont obtenu ce qu'ils voulaient. Personne ne lui adresse la parole, et aucun ne lui témoigne de la gratitude pour le sacrifice qu’elle a fait. Tous font comme si de rien n’était, l’ignorant complètement, concentrés sur leur propre confort et bien-être.

Ironiquement, ceux qui l’ont poussée à se sacrifier sont les mêmes qui continuent à la considérer comme une femme de mauvaise moralité. Ils sont incapables de reconnaître l'héroïsme de son geste, préférant reprendre leurs préjugés de classe.

 

Conclusion : la critique sociale

Boule de Suif est avant tout une satire cinglante de l’hypocrisie bourgeoise. Guy de Maupassant met en lumière la lâcheté, l'égoïsme et la superficialité des classes supérieures face à une femme marginalisée et déconsidérée. Boule de Suif, bien que prostituée, est dépeinte comme la seule figure morale véritable dans cette nouvelle. Elle défend des valeurs de patriotisme et de dignité, contrairement aux autres personnages qui n’hésitent pas à compromettre leurs principes pour leur confort personnel.

La nouvelle se termine sur une note amère, illustrant comment les préjugés de classe et les intérêts personnels peuvent effacer toute reconnaissance de la dignité humaine. Boule de Suif, malgré son sacrifice, reste méprisée et seule, victime non seulement de l’occupation prussienne, mais aussi de l’hypocrisie et de la cruauté de ses compatriotes.

En somme, Boule de Suif est une œuvre qui interroge la morale, la loyauté et le patriotisme, tout en dénonçant la société bourgeoise de l’époque, avec une plume incisive et un réalisme poignant.