Analyse de « Poèmes » de Paul Eluard
I) UN POÈME, DES POÈMES
“Poèmes” de Paul Eluard a l’apparence d’un texte de forme classique. En effet, il s’agit en apparence d’un sonnet puisque les strophes sont disposées en 2 quatrains et 2 tercets. Mais l’hétérométrie le rend irrégulier et apporte de la modernité.
Le pluriel du titre suggère que le texte se compose en fait de plusieurs poèmes, qu'Éluard aurait assemblés bout à bout, comme un collage. Cette impression peut être mise en évidence par les différences entre les deux premières strophes. Leur thème est totalement opposé : la première strophe représente le bonheur, le champ lexical de la joie est très présent “Sourire et rire”, “douceur d’outre-sens”, “ lumineux, pur comme un ange”. Alors que la deuxième strophe représente plutôt le malheur, le champ lexical de la tristesse est également très présent “geint une belle”, “misérable”. Cette différence est aussi remarquable par les différents pronoms personnels employés, lors de la première strophe le narrateur s’adresse à une femme “vous” tandis qu’à la deuxième il décrit une histoire et ne s’adresse à personne.
Le poète s’autorise de nombreuses libertés avec la syntaxe. Dans le deuxième tercet, Eluard juxtapose des phrases non-verbales et sans respecter aucune unité thématique : “A l’œil du pauvre mort”, “Peindre des porcelaines”. Ceci aboutit à une dislocation progressive de la parole poétique. Le dernier vers est, quant à lui, un alexandrin, ce qui donne l'effet d’une boucle puisqu’il commence de la même façon qu’il se termine. Le poète montre alors qu’il est libre de faire évoluer sa poésie en dehors des contraintes formelles classiques.
II) ITINÉRAIRE D’UN AMOUR DÉCHU
Les vers 2 à 4 donnent une vision assez positive de l’amour. En effet, cette première strophe reflète un amour “pur” et doux, elle donne l'impression que l’amour rend heureux “sourire et rire”. De nombreux éléments sont associés au paradis: “pur comme un ange” , “ciel”, “douceur d’outre-sens”, on atteint un tel stade de bonheur qu’il en devient paradisiaque. “Sourire et rire, rire et douceur d’outre-sens” l’allitération en [R] reflète la frustration d’un amour qui aurait pu être mais qui ne fut pas “vous n’aviez qu’à le cueillir”.
Le texte s’ouvre sur l'image du "cœur sur l'arbre". Cette image fait la représentation d’un cœur “pur” et “lumineux”, qui est prêt pour être cueilli. Ainsi on peut faire un parallèle avec l’histoire d’Adam et Ève, qui narre une histoire de déception qui peut faire écho à la déception de l’Amour. On peut également mettre en relation la pomme avec le "cœur" sauf que dans une histoire la pomme est cueillie et dans l’autre histoire le cœur ne l’est pas. Le poète souligne donc que cette déception induit la fin d’une relation amoureuse, qui paradoxalement n’a jamais commencé.
Ce poème épouse le mouvement d’une chute. Le narrateur commence par exprimer un regret : “vous n’aviez qu’à le cueillir” et s’en suit une sorte d’impuissance lors de la deuxième strophe “qui voudrait”, “qui ne peut” et de tristesse “ misérable”, “geint” . Il peint, en fait, la déception qu'engendre tout amour, puisque l'amour finit toujours par s’échapper.
III) UNE TONALITÉ ÉLÉGIAQUE
L’amour qu’évoque ici le poète est présenté comme inaccessible. La déception “vous n’aviez qu’à le cueillir” souligne le fait que cet amour soit trop loin pour pouvoir l’atteindre “outre-sens”, “Haut vers le ciel”. Le sentiment d’impuissance qui est présent “ne peut” ainsi que l’allitération en [P] qui donne l’impression que ses pas sont entravés soulignent que selon l’auteur tout amour est voué à l’échec.
Ce poème s’organise en suivant le rythme des saisons. En effet, la première strophe “l’arbre vous n’aviez qu’à le cueillir” donne l’impression d’être au printemps (avec les arbres et leurs fruits), la troisième strophe “Les fleurs sont desséchées, les graines sont perdues, La canicule attend les grandes gelées blanches” représente l’été , et enfin la quatrième strophe évoque l’automne : “A l’œil du pauvre mort”, “Les vents et les oiseaux s’unissent – le ciel change” (évocation des oiseaux migrateurs). La fuite du temps est donc étroitement liée à la fuite des amours, qui s’étiolent inexorablement.
La toute dernière strophe est dominée par l’image de la mort, avec son champ lexical : “pauvre mort”, “porcelaine” (blanche et froide), “bras blancs tout nus” (cadavre). L’image finale du poème est donc celle de la communion des éléments.
Ouverture : “Automne malade” de Guillaume Apollinaire dans Alcools.
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