Le temps : une réflexion complexe sur la division entre passé, présent et futur selon Bergson
Le temps, dans sa complexité philosophique, est souvent défini comme une division entre le passé, le présent et le futur. Cette définition soulève une difficulté particulière lorsqu'il s'agit de cerner le présent. En effet, le présent semble insaisissable, car tout ce qui se produit dans l'instant actuel bascule immédiatement dans le passé. Le passé, une fois qu'il s'est déroulé, n'existe plus, tandis que le futur reste un horizon à atteindre, n'existant pas encore. Cette caractéristique rend le présent éphémère et difficile à définir avec précision.
Par ailleurs, le temps est également perçu comme une mesure objective, utilisée pour placer les événements les uns par rapport aux autres. Cette conception du temps physique, divisé en secondes, minutes et heures, est universelle et ne dépend pas de la perception individuelle. Elle est basée sur des phénomènes physiques et naturels, tels que la rotation de la Terre autour du soleil ou sur son propre axe. Cependant, la division d'une journée en 24 heures, par exemple, est une convention humaine, soulignant que d'autres systèmes de mesure du temps pourraient exister.
Henri Bergson, dans sa réflexion sur le temps, identifie des problèmes dans notre conception habituelle de celui-ci. Il critique la représentation du temps en tant que succession d'instants, arguant que cela ne tient pas compte de la nature continue de l'écoulement du temps. Pour Bergson, le temps ne se segmente pas en intervalles distincts, mais s'écoule de manière continue. Cette perspective remet en question notre tendance naturelle à segmenter le temps, une pratique qui, selon lui, dénature sa véritable nature.
Bergson va plus loin en comparant cette segmentation du temps à la façon dont nous utilisons le langage pour segmenter et comprendre la réalité. Il prend l'exemple du mot 'arbres', une construction intellectuelle qui facilite la communication mais qui ne correspond pas exactement à la réalité complexe et variée des arbres eux-mêmes. De même, la représentation du temps en segments et en notions mathématiques est une simplification qui ne capture pas la nature réelle du temps.
La durée subjective, ou le temps perçu, est une autre composante essentielle du temps selon Bergson. Cette perception individuelle du temps, influencée par la mémoire, diffère de la représentation mathématique et spatiale du temps objectif. Le passé, dans cette optique, n'existe que sous forme de souvenirs ou de traces, et ces souvenirs sont souvent reconstruits différemment de la réalité.
Enfin, le temps est à la fois un processus de conservation du passé dans le présent et une condition nécessaire pour notre évolution. Il permet la transformation et le changement, soulignant l'importance de bien utiliser le temps. Si nous ne faisons rien, le temps peut sembler long et ennuyeux, mais si nous apprécions chaque seconde, il devient un allié précieux. Le temps est donc une réalité en tant que pouvoir de transformation, et il est de notre devoir de le faire vivre pleinement.
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Jean-Pierre CASTEL (samedi, 18 novembre 2023 14:49)
Bergson affirme « la science moderne doit se définir surtout par son aspiration à prendre le temps pour variable indépendante. » (italiques de Bergson) (L’Evolution créatrice, Paris, PUF, 2009 [1907].p. 335) et Norbert Elias affirme dans son Du temps que « [l]’œuvre de Galilée illustre de manière saisissante le tournant pris par le développement de la notion de “temps” depuis le Moyen Âge. » (Elias, Du temps, Fayard, p. 120)
Ces deux auteurs ont raison de caractériser la science moderne par la décision de prendre le temps pour variable. En effet, Archimède avait mathématisé la statique, c’est à dire l’espace et la matière à l’équilibre (les masses avec le centre de gravité), indépendamment donc du temps. Ce que firent Galilée et Newton, c’est d’étendre la mathématisation archimédienne (Galilée reconnaît d’ailleurs Archimède comme son maître) de la statique à la dynamique. Pour ce faire, ils osèrent prendre comme variable du mouvement le temps, alors que jusque-là on avait toujours pris comme variable l’espace : on cherchait une relation entre la vitesse et la distance parcourue, et non par rapport au temps écoulé. C’est Galilée qui franchit ce Rubicon, en décidant de prendre le temps comme variable pour l’établissement de la loi de la chute des corps, qui est de fait la première loi de la nature exprimée en fonction du temps.
Néanmoins, la plupart des historiens et des philosophes des sciences caractérisent « la révolution scientifique du XVIIè siècle (qui à mon avis mérite bien ce nom dans la mesure où elle a mis à bas toute la philosophie de la nature d’Aristote et l’a remplacée par une vision du monde entièrement renouvelée) par « la mathématisation de la nature », la nature étant entendue d’abord dans sa dimension spatiale. Ainsi, pour Koyré, la révolution scientifique se caractérise par l’infinitisation de l’univers, la destruction du cosmos, la géométrisation de l’espace (une trinité répétée à travers la plupart de ses ouvrages sur la révolution scientifique) : des considérations d’ordre spatial. Koyré évoque certes parfois « le rôle prépondérant du temps », voire dénonce « l’oubli du temps » par Descartes, mais il oublie complètement le temps dans ses conclusions.
Sans doute, depuis les Grecs et jusqu’à Newton voire jusqu’à Kant, l’espace a-t-il prévalu sur le temps : l’espace semble directement accessible aux sens, et facilement mesurable, à la différence du temps. Mais que les historiens des sciences du XXe siècle restent soumis à ce tropisme spatial alors qu’ils sont en train d’expliquer le passage de la statique à la dynamique, et qu’ils bénéficient du recul de trois siècles et de toutes les réflexions menées depuis sur le temps, à travers notamment la thermodynamique et la relativité, reste difficilement compréhensible.
Puis-je vous demander ce que vous en pensez ?
Merci d’avance.
Bien respectueusement.