Etude linéaire du poème Le Dormeur du Val de Rimbaud dans Les Cahiers de Douai
Dans ce sonnet d'Arthur Rimbaud, écrit dans le contexte de la guerre franco-prussienne de 1870, le poète dépeint un paysage bucolique qui dissimule une réalité tragique : la mort d'un jeune soldat. Cette œuvre, qui semble au premier abord célébrer la sérénité de la nature, se révèle être une dénonciation poignante de la guerre. L'analyse de ce poème nous invite à explorer comment Rimbaud utilise le cadre naturel, le portrait du soldat et la chute surprenante pour révéler progressivement la vérité tragique.
Le premier mouvement du poème, correspondant au premier quatrain, établit un cadre naturel idyllique. Rimbaud utilise des descriptions riches et sensorielles pour peindre un tableau vivant de la vallée. L'emploi du présent de l'indicatif et les allitérations créent une impression de réalisme et de mouvement, tandis que la personnification de la rivière et de la montagne insuffle de la vie dans le paysage. La lumière joue un rôle crucial dans cette description, avec des termes tels que "haillons d'argent" et "luit", qui confèrent au lieu une qualité presque magique. Ce premier mouvement nous plonge dans un univers où la nature semble accueillante et paisible, un lieu de refuge loin des horreurs de la guerre.
Le deuxième mouvement se concentre sur le portrait du soldat, qui est à la fois détaillé et ambivalent. Rimbaud décrit le soldat avec des termes qui pourraient suggérer qu'il est simplement endormi dans un cadre naturel harmonieux. Cependant, des indices subtils, tels que la pâleur du soldat et l'immobilité suggérée par le verbe "dort", commencent à semer le doute dans l'esprit du lecteur. L'utilisation de la lumière et des couleurs continue de jouer un rôle important, créant une atmosphère à la fois sereine et inquiétante. Le portrait du soldat, pris dans cette nature protectrice, oscille entre la vie et la mort, entre le sommeil et un état plus sinistre.
La chute du sonnet, dans le dernier tercet, révèle brusquement la vérité : le soldat est mort, comme l'indiquent les "deux trous rouges au côté droit". Cette révélation frappante contraste fortement avec l'ambiance paisible établie précédemment. La mort du soldat, suggérée de manière subtile tout au long du poème, est finalement confirmée, changeant radicalement la perception du lecteur. La nature, qui semblait être un havre de paix, devient le théâtre silencieux d'une tragédie humaine.
En conclusion, ce sonnet de Rimbaud est un exemple puissant de la manière dont la poésie peut à la fois célébrer la beauté et dénoncer la brutalité. Le cadre bucolique initialement présenté se transforme en un lieu de mort, révélant ainsi la réalité cruelle de la guerre. La construction du poème, avec son développement progressif et sa chute surprenante, invite le lecteur à une relecture, révélant ainsi les couches de signification cachées sous la surface d'une nature apparemment sereine. Ce poème est donc à la fois une œuvre esthétique, par sa richesse picturale, et un commentaire politique sur l'innocence perdue et les ravages de la guerre.
Comment Rimbaud utilise-t-il la forme fixe du sonnet pour mettre en scène la mort du soldat et ainsi dénoncer les horreurs de la guerre ?
I) Une nature féerique
Nous avons tout d’abord, une personnification de la nature qui nous montre la joie de celle-ci. La métaphore “des haillons d’argent” décrit ici la projection de lumière sur les gouttes d’eau qui se situent sur l’herbe ce qui renforce l’impression festive de la nature qui représente la vie dans ce sonnet. De plus, le champ lexical de la fête renforce l’idée de la joie : “chante” et “follement”. Le champ lexical de la fête est donc utilisé pour nous faire comprendre qu’il y du mouvement. Ainsi, la métaphore “qui mousse de rayons” insiste sur le fait que la nature est en mouvement et festive. On peut également dire que cette abondance de lumière symbolise la vie.
D’autre part, nous avons la présence de rimes embrassées qui nous font penser aux bras d’une mère serrant son enfant contre son coeur. Il nous donne une clé avec “Nature, berce-le chaudement” qui affirme qu’ici la nature tient le soldat mort dans ses bras, comme une mère qui porte son enfant.
II) Les indices de la mort
La phrase “C'est un trou de verdure” nous fait penser à une sorte de tombe creusée pour le soldat. Le mot “trou” du premier vers nous fait tout de suite penser au dernier vers. De plus, le poète crée une attente chez le lecteur avec l’emploi de l’adjectif “fière” qui vient du latin fiera signifiant la bête féroce : “où le soleil de la montagne fière, Luit”. On se demande pourquoi il introduit l’idée de la souffrance dans ce cadre féérique. Rimbaud laisse dans ce poème des indices qui nous donnent déjà une idée sur la fin de celui-ci, comme : “Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue”. L’auteur place ici l’adjectif après le nom pour insister sur la jeunesse du soldat. On nous parle ensuite de la position du soldat qui n’est pas habituelle puisqu’il garde constamment la bouche ouverte. Et à la fin de ce vers, on voit que le soldat est allongé sans son casque, ce qui ne respecte pas l’uniforme et nous interroge : est-ce un déserteur ? a-t-il un problème ? De plus, le vers “Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu” nous laisse imaginer qu’il ne fait plus qu’un avec la nature. Sauf que le mot “baignant” nous fait tout de suite penser à l’expression “baigner dans son sang” qui évoque fortement l’idée de la mort. Rimbaud crée encore une forte insistance avec la répétition du verbe “Dort” à trois reprises, plus “il fait un somme”. Les vers “il est étendu dans l'herbe, sous la nue, Pâle dans son lit vert où la lumière pleut”, développent toujours davantage le malaise ressenti par le lecteur. En effet, le poète nous montre un soldat allongé dans l’herbe, le fait qu’il soit immobile peut nous faire penser qu’il dort. Mais dans la suite du vers, l’adjectif “pâle” est anormal car le soldat est censé être endormi au soleil donc il devrait être bronzé ou rouge. On remarque aussi que la nature semble pleurer pour le soldat avec la métaphore “où la lumière pleut”. Le poète emploie l’adjectif “malade” ce qui peut nous faire penser à l’état actuel du soldat mais on a également le mot “enfant” car la nature considère le soldat comme étant son fils : “Souriant comme Sourirait un enfant malade”. L’idée de souffrance est soulignée par les allitérations en [r] et en [s]. Le champ lexical de la mort se renforce avec “il a froid” (en réalité il est froid) et “Les parfums ne font pas frissonner sa narine”. Le soldat s’est endormi face au soleil sans se protéger de celui-ci ce qui est paradoxal : “Il dort dans le soleil”. On remarque que le soldat fait un geste patriotique en posant “la main sur sa poitrine Tranquille”, ce n’est donc pas un déserteur. Le rejet de “Tranquille” souligne le contraste avec la nature qui est constamment en mouvement. Enfin, Rimbaud utilise un euphémisme pour surprendre son lecteur dans la chute du poème et pour le faire réfléchir : “Il a deux trous rouges au côté droit.” Le présent utilisé est un présent de narration puisque le poète semble nous raconter une histoire mais dans laquelle il ne se passe rien puisque le seul verbe attaché au personnage décrit est le verbe dormir. On peut donc faire un rapprochement avec le conte de «la Belle au bois dormant» et le présent devient alors un présent d’éternité. Cependant dans le cas du soldat aucun baiser ne viendra le réveiller. L’hypallage “où le soleil de la montagne fière”, souligne la férocité des combats menés sur ce champ de de bataille puisque l’adjectif qualificatif “fier” vient du latin “fiera” qui désigne la bête féroce. Ainsi Rimbaud dénonce l’injustice de la guerre puisque ce sont les hommes qui sont les êtres les plus cruels dans la nature.
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