Analyse de L'île des esclaves de Marivaux scène 3
Trivelin domine la situation par son rôle central dans le dialogue. Il pose les questions, dirige les discussions, et oriente les réponses de Cléanthis. Il montre une autorité certaine en interrompant les autres personnages et en recentrant le discours quand cela lui semble nécessaire. Sa manière de féliciter ou de critiquer les réponses données témoigne également de son contrôle sur la dynamique de la conversation. Trivelin utilise son pouvoir de parole pour maintenir sa position de leader et guider le développement du dialogue.
Les indices lexicaux et grammaticaux montrant que Trivelin est tourné vers ses interlocuteurs incluent l’utilisation fréquente de pronoms personnels de la deuxième personne (« vous », « tu ») et des interrogations directes. Il utilise également des expressions de politesse et des phrases encourageantes ou critiques, telles que « Ah, je vous félicite », qui démontrent son attention portée aux réponses et aux actions de ses interlocuteurs. Ces éléments indiquent clairement que son discours est centré sur l'interaction avec les autres personnages.
Le but de Trivelin est d'analyser et de critiquer les défauts de Cléanthis, et par extension, de sa maîtresse Euphrosine. Il vise à faire émerger la vérité sur le comportement et les attitudes des personnages. Pour cela, il adopte une méthode socratique, posant des questions successives pour pousser Cléanthis à détailler et justifier ses observations. Cette méthode de questionnement permet à Trivelin de guider la réflexion et de mettre en lumière les incohérences ou les exagérations dans les réponses de Cléanthis.
La présentation d’Euphrosine par Trivelin est directe et sévère, la qualifiant de "vaine, minaudière et coquette". En revanche, Cléanthis, bien que confirmant ces défauts, utilise un ton plus nuancé et détaillé, mentionnant divers comportements de sa maîtresse à différentes occasions. Ce contraste souligne que Cléanthis, bien qu’esclave, adopte une approche plus indulgente et descriptive, montrant une certaine loyauté malgré les critiques. Cela met en évidence la différence de perspective entre le juge impartial (Trivelin) et l’observatrice quotidienne (Cléanthis).
Marivaux exprime la libération psychologique de Cléanthis par le biais de son discours de plus en plus assuré et détaillé. Au fur et à mesure qu'elle parle, Cléanthis se permet d'exprimer ses observations et ses jugements de manière plus libre et élaborée. L'utilisation de phrases longues et complexes, ainsi que la variété des détails qu’elle fournit, montre une prise de parole plus confiante. Cette évolution dans son discours témoigne de sa libération progressive de la peur de la réprimande.
Cléanthis commence par des réponses hésitantes et générales, mais au fil du dialogue, elle gagne en assurance. Elle devient plus précise et explicite dans ses descriptions, n’hésitant pas à critiquer ouvertement les comportements de sa maîtresse. Son langage devient plus fluide et structuré, elle utilise des anecdotes et des exemples concrets pour illustrer ses propos. Cette progression dans la clarté et la confiance de son discours montre qu’elle se sent de plus en plus à l’aise pour exprimer ses vérités.
Les indices révélant que Cléanthis est la servante d’Euphrosine incluent ses observations détaillées et personnelles sur la vie quotidienne et les habitudes de sa maîtresse. Elle parle avec une familiarité et une précision qui indiquent une proximité constante et une observation quotidienne. Il est important de le savoir car cela donne du poids et de la crédibilité à ses descriptions, tout en soulignant la dynamique de pouvoir entre les personnages. Cette relation hiérarchique met en lumière les critiques implicites sur la vanité et la superficialité des maîtres.
Cléanthis utilise des procédés tels que la répétition, l’accumulation de détails, et l’utilisation d’anecdotes spécifiques pour rendre le portrait vivant. Elle décrit les actions et les attitudes d’Euphrosine dans différentes situations avec une précision qui donne l’impression d’une observation en temps réel. Les contrastes entre les comportements publics et privés de sa maîtresse, ainsi que l’évocation de ses réactions émotionnelles, ajoutent de la profondeur et du dynamisme à ce portrait.
Cléanthis développe les trois adjectifs en illustrant concrètement comment Euphrosine incarne ces traits. Elle décrit Euphrosine comme étant constamment préoccupée par son apparence et sa réputation, illustrant sa vanité. Ses habitudes de coquetterie sont mises en avant par des anecdotes sur ses efforts pour se faire belle et ses interactions superficielles avec les autres. Enfin, la minauderie est montrée par son comportement artificiel et affecté dans diverses situations sociales. Cléanthis donne des exemples spécifiques qui rendent ces adjectifs tangibles et indiscutables.
Avant "au contraire", Cléanthis décrit une Euphrosine énergique et active, préoccupée par les apparences et cherchant à impressionner les autres par son allure et ses actions. Après "au contraire", elle présente une Euphrosine fatiguée et négligée, stressée par l’idée de ne pas paraître à son avantage. Ces deux situations mettent en évidence la superficialité et l’inconstance d’Euphrosine, qui accorde une importance excessive à l’apparence et au jugement des autres, révélant ainsi sa fragilité et son insécurité.
Selon Cléanthis, les occupations d’Euphrosine tournent principalement autour de sa présentation et de ses interactions sociales. Elle est préoccupée par son apparence physique, sa coiffure, ses vêtements, et son impact sur les autres. Elle passe beaucoup de temps à se préparer pour les sorties et les réunions mondaines. Ses préoccupations incluent également son désir d’être admirée et validée par ses pairs, montrant une obsession pour le regard des autres et une insécurité profonde quant à son propre mérite.
Dans la scène III de "L'Île des esclaves" de Marivaux, Cléanthis, ancienne esclave, se saisit de l'occasion offerte par l'inversion des rôles pour dresser un portrait satirique de sa maîtresse, Euphrosine. Cette scène, riche en implications, se déploie en trois axes principaux : la polyphonie de la tirade, le concept du théâtre dans le théâtre, et la fonction satirique du passage.
I. Une tirade polyphonique
Cléanthis, dans sa tirade, mélange habilement discours et récit. Elle reprend les paroles d'Euphrosine en style direct, se mettant en scène elle-même dans le rôle de sa maîtresse, tout en commentant et en résumant les événements. Cette technique crée un effet de distance et de dérision, soulignant le mépris discret de Cléanthis pour les manières affectées d'Euphrosine. L'emploi du pronom indéfini "on" pour parler d'Euphrosine renforce cette distance, tout en permettant à Cléanthis de dépeindre sa maîtresse sous un jour caricatural et dévalorisant.
L'imitation d'un dialogue mondain, où Cléanthis joue les deux rôles, accentue l'aspect comique et critique de la scène. Elle se moque non seulement d'Euphrosine, mais aussi de l'ensemble de la société mondaine à laquelle appartient sa maîtresse.
II. Le théâtre dans le théâtre
Cléanthis, en occupant le devant de la scène, renforce l'idée du théâtre dans le théâtre. Elle recrée, avec une ironie mordante, la vie d'un salon parisien du XVIIIe siècle, mettant en lumière la coquetterie et les formules de politesse de l'époque. La tonalité comique est soutenue par l'exagération des angoisses d'Euphrosine et par la vivacité du récit de Cléanthis, qui, sans didascalies, laisse le spectateur imaginer ses gestes et attitudes.
Cette mise en abyme théâtrale sert à la fois à divertir et à critiquer, engageant le spectateur dans une réflexion sur les artifices de la société et la nature du théâtre lui-même.
III. Fonction satirique du passage
La tirade de Cléanthis a une portée morale importante. Elle dénonce la coquetterie, la préciosité et la beauté artificielle d'Euphrosine, la présentant comme une précieuse prisonnière de son image. La critique va au-delà de la simple moquerie d'une maîtresse pour toucher l'ensemble de la société mondaine, hypocrite et superficielle.
Cléanthis, en témoignant de l'envers du décor, révèle la vacuité et l'artificialité de ce monde. Sa position d'observatrice lui confère une autorité morale, lui permettant de rabaisser socialement les maîtres non par une argumentation directe, mais par la mise en scène de situations ridicules et révélatrices.
Conclusion
À travers cette tirade, Cléanthis s'émancipe par la parole et la satire, transformant son expérience de servitude en un outil de critique sociale. Le portrait qu'elle dresse d'Euphrosine n'est pas seulement une vengeance personnelle, mais une épreuve révélatrice pour les maîtres, mettant en lumière leurs faiblesses et leurs vanités. Marivaux utilise ici le théâtre comme un laboratoire social, où le plaisir de voir et d'entendre se convertit en un plaisir de faire voir et entendre, invitant le spectateur à une réflexion plus profonde sur les rapports humains et la société.
I) La préparation de la leçon
Cléanthis commence son portrait en reprenant les termes de Trivelin : « Vaine, minaudière et coquette ». Elle souligne que ces mots décrivent parfaitement Euphrosine, affirmant même que cela « lui ressemble comme son visage ». Cette ironie repose sur le fait que, tout en répétant les accusations de Trivelin, Cléanthis prétend en faire un portrait objectif, alors qu'elle renforce les critiques acerbes à l'égard de sa maîtresse.
Euphrosine réagit immédiatement en demandant : « N’en voilà-t-il pas assez, Monsieur ? ». Elle s'adresse ici à Trivelin, cherchant ainsi à mettre fin à ce qu'elle perçoit comme une attaque ou une humiliation publique. Sa réponse témoigne d’un malaise face à cette critique directe.
Trivelin s'adresse à Cléanthis pour l'encourager à poursuivre. Il lui dit : « Je vous félicite du petit embarras que cela vous donne ; vous sentez, c’est bon signe ». Il semble ici féliciter Cléanthis de son hésitation, la considérant comme une preuve de la profondeur de son analyse. Cependant, une certaine ironie transparaît, car il semble se moquer gentiment de l’embarras de Cléanthis, tout en l'encourageant à dévoiler davantage de défauts d’Euphrosine.
Trivelin relance Cléanthis en demandant spécifiquement : « En quoi donc, par exemple, lui trouvez-vous les défauts dont nous parlons ? ». Il la pousse ainsi à développer ses arguments, à fournir des exemples précis, afin de mener à bien le portrait critique d’Euphrosine.
II) Le portrait de la coquette par Cléanthis
Cléanthis exprime sa difficulté à cerner et décrire précisément Euphrosine. Elle avoue : « Mais par où commencer ? je n’en sais rien, je m’y perds ». Cette confusion provient de la multitude de défauts qu’elle perçoit chez sa maîtresse, au point qu’elle se sent dépassée par la tâche. Elle semble submergée par les nombreux traits négatifs qu'elle observe, ce qui rend le début de son portrait difficile.
Cléanthis semble avoir du mal à structurer son discours. Elle se laisse emporter par ses observations et finit par énumérer les défauts de manière désordonnée : « Madame se tait, Madame parle; elle regarde, elle est triste, elle est gaie ». Sa parole traduit une confusion et une agitation qui montrent qu’elle ne maîtrise pas parfaitement son propos.
La description de Cléanthis est marquée par un contraste entre des opposés : « elle est triste, elle est gaie », « silence, discours ». Ces antithèses renforcent l’idée d’une personnalité changeante et contradictoire chez Euphrosine. Cléanthis utilise le pronom personnel « elle » de manière répétée pour insister sur le caractère imprévisible de sa maîtresse. Le champ lexical du désordre (« cela me brouille ») reflète à la fois son trouble personnel et celui qu'elle attribue à Euphrosine.
À travers ce portrait, l’auteur critique la frivolité et l’inconstance des membres de la haute société, en particulier les femmes aristocratiques. Euphrosine est décrite comme vaine, coquette, et contradictoire, des traits qui semblent suggérer un manque de profondeur et de stabilité. L'aristocratie est donc représentée comme superficielle et préoccupée par des apparences, une critique classique de la noblesse.
III) La réaction des autres personnages
Euphrosine réagit en disant : « Je n’y saurais tenir », une expression qui reflète son malaise face à la description peu flatteuse que Cléanthis fait d’elle. Elle semble reconnaître qu’elle ne peut pas supporter cette critique publique, ce qui montre qu’elle est affectée par ces remarques.
Trivelin, en répondant « Attendez donc, ce n’est qu’un début », incite Cléanthis à poursuivre et approfondir son portrait critique. Il semble déterminé à exposer plus clairement les défauts d’Euphrosine et à amener cette dernière à réfléchir sur elle-même à travers cette description détaillée.
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