Le Jeu de l'amour et du hasard, analyse de l'acte II, scène 5
Introduction
"Le Jeu de l'amour et du hasard", une pièce emblématique de Marivaux publiée en 1730, se présente comme une comédie en trois actes écrite en prose. Destinée à un public aisé du théâtre Italien, à l'hôtel de Bourgogne, cette œuvre se jouait l'après-midi et mettait en scène des personnages typiques de la comédie, tels qu'Arlequin, figure emblématique de la commedia dell'arte. La pièce explore des thèmes récurrents comme le mariage, la découverte de l'autre et du sentiment amoureux à travers le déguisement, déployés sur trois actes qui marquent les différentes étapes de cette découverte. A travers des personnages comme Orgon, un petit noble, et Silvia, une jeune fille moderne, Marivaux offre un reflet de la société de son époque, bien que la liberté de choix accordée à Silvia par son père contraste avec la mentalité dominante de l'époque, où les filles étaient généralement soumises à l'autorité paternelle.
Dans l'acte que nous allons étudier, Lisette et Arlequin, tout en ignorant le déguisement de l'autre, se retrouvent au premier plan, dans une situation similaire à celle de Silvia et Dorante. Cette mise en scène met en valeur les valets et explore leurs sentiments respectifs, tout en créant des effets comiques liés à leur rôle inversé.
Nous analyserons donc le jeu de séduction entre ces deux faux maîtres et les effets comiques qui en découlent.
I. Le jeu de séduction
La séduction entre Arlequin et Lisette commence dès la scène 3, mais c'est dans la scène 4 que Dorante intervient, trouvant Arlequin trop entreprenant et souhaitant qu'il cesse de jouer excessivement le rôle du maître.
La déclaration d'Arlequin se divise en deux parties. Dans la première, il adopte un ton badin et enjoué, la scène étant imprégnée d'un amour naissant. Le lexique de l'amour est omniprésent, avec des termes tels que « mon amour », « je brûle », « sentiments », « dites-moi que vous m'aimez », « je vous aime », « mon cœur vous aurait choisi ». Arlequin use d'impératifs pour exprimer ses sentiments, ce qui montre son engagement émotionnel dans le jeu de séduction.
Dans la seconde partie, Arlequin devient plus désabusé, marqué par la crainte de la fin du jeu. Il devient plus sincère et touchant, surtout envers Silvia, qu'il croit de rang supérieur. Il parle « à genoux », exprime sa reconnaissance avec des formules qu'il estime nobles, et se comporte en chevalier servant envers celle qu'il nomme « ma princesse ». Le jeu semble voué à l'échec, comme le suggèrent les phrases à double sens et les formules de regret au passé, traduisant la pression et l'urgence ressenties par Arlequin.
La réponse de Lisette se divise également en deux parties. Dans la première, elle adopte une attitude embarrassée, retenue et prudente. Elle répond brièvement, cherchant à gagner du temps, et ses réponses sont impersonnelles et empreintes de double sens. Elle se retranche derrière la pudeur, consciente de la différence de statut social entre elle et le vrai Dorante.
Dans la seconde partie, ses regrets révèlent son intérêt pour Arlequin. Ses phrases à double sens expriment à la fois sa condition et son regret. L'union se fait sans qu'ils le sachent, partageant la même situation, le même amour et les mêmes regrets.
II. Les comiques
Cette scène est une parodie de celle entre Dorante et Silvia, jouée par leurs valets déguisés. Le comique de situation est créé par le travestissement, aucun des deux ne sachant qui est l'autre. Arlequin et Lisette tentent d'imiter la gestuelle de leurs maîtres, Arlequin avec exagération et maladresse, et Lisette dans un rôle plus naturel de jeune fille timide et réservée.
Le caractère d'Arlequin, typique de la commedia dell'arte, est comique de par son décalage dans des habits qui ne sont pas les siens. La satire sociale de la préciosité galante et de la Régence se manifeste dans le décalage entre la situation et le langage un peu démodé, ainsi que dans le jeu grossier d'Arlequin contrastant avec son franc-parler habituel.
Le langage utilisé crée également un effet comique. Les métaphores et hyperboles telles que « je brûle », « mon amour est extraordinaire », « je me meurs », « mon bonheur me confond », « jurons de nous aimer toujours » caricaturent le langage précieux, exagéré à son paroxysme. Arlequin mélange le langage précieux et trivial, tandis que Lisette maintient un langage plus soutenu.
Conclusion
Dans cette scène de "Le Jeu de l'amour et du hasard", Marivaux joue habilement avec les sentiments et les conventions sociales, créant une comédie riche et divertissante. Le spectateur est témoin du jeu de séduction entre Arlequin et Lisette, qui, tout en ignorant leur véritable identité, se répondent selon les codes de la noblesse. Cette scène illustre parfaitement le talent de Marivaux pour mêler émotion et humour, tout en soulignant que l'habit ne fait pas le moine.
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