Analyse de L'étranger de Baudelaire dans Le Spleen de Paris

Analyse de L'étranger de Baudelaire dans Le Spleen de Paris

Introduction

 

"L'étranger" est le poème inaugural du recueil "Le Spleen de Paris" de Charles Baudelaire, paru en 1862. Ce poème en prose, qui se distingue par sa forme et son contenu, pose d'emblée les fondements de l'univers baudelairien. Il se présente sous la forme d'un dialogue entre un questionneur et un étranger, où chaque question cherche à percer le mystère de l'identité de ce dernier. La disposition typographique du poème, marquée par des tirets et des interrogations systématiques, attire l'œil et souligne la dynamique de l'interrogatoire.

 

I. L'identité de l'étranger

 

Le poème s'ouvre sur un interrogatoire visant à dévoiler l'identité de l'étranger. Les questions, parfois brusques et réduites à des monosyllabes, contrastent avec des réponses qui s'étirent et qui sont systématiquement en contradiction avec les questions posées. Cette opposition est renforcée par l'usage du tutoiement par le questionneur et du vouvoiement par l'étranger, suggérant un refus de la familiarité et une volonté de maintenir une distance.

 

Le verbe « dis ? » au début du poème est à la fois une expression familière et une fausse interrogation, conférant au langage une force essentielle : celle de renseigner et d'éclairer. Toutefois, les phrases deviennent de plus en plus lapidaires, révélant une irritation croissante du questionneur, particulièrement évidente dans la dernière question marquée par deux exclamations.

 

L'identité de l'étranger demeure énigmatique, soulignée par l'usage de l'article défini dans le titre. Le poème crée un puissant chiasme entre son début, où l'étranger est présenté comme un homme difficile à analyser, et sa fin, où il est qualifié d'« extraordinaire étranger ». Cette redondance marque la distance entre le questionneur, qui ne parvient pas à percer le mystère, et le lecteur, invité à explorer les autres textes du recueil.

 

Transition : Ce texte cherche à révéler l'autre à travers une série de questions qui progressent de la sphère familiale aux idéaux spirituels et matériels.

 

II. La différence de l'étranger

 

Le texte joue sur deux champs antithétiques : l'amour et la haine, ou l'indifférence. Le verbe aimer encadre le texte, mais évolue de « qui » à « que », reflétant une prise de conscience du questionneur face à l'incapacité de l'étranger à aimer. Les réponses de l'étranger sont toujours négatives et marquées par une gradation vers la haine.

 

Le refus d'ordre affectif est manifeste, que ce soit envers la cellule familiale ou les amis. La solitude de l'étranger est pathétique mais semble être une revendication déterminée, comme le montre la répétition des « ni » et la complexité des tournures négatives. Le ton emphatique cache peut-être un désarroi profond, et le « jusqu'à ce jour » laisse entrevoir un espoir latent.

 

Le refus d'ordre social est également présent, avec une remise en question des valeurs morales et sociales établies. L'étranger ignore les notions de patrie, beauté et or, remettant en cause les idéaux de l'homme et de l'artiste. La comparaison de l'or à Dieu dénonce l'asservissement de l'homme aux besoins matériels et le pouvoir illusoire de la richesse.

 

La dernière interrogation du poème entraîne une réponse positive, où l'étranger exprime son amour pour les nuages, symboles d'immatérialité, de mouvement, d'évasion et de rêve. Les points de suspension et l'exclamation remplacent les points conclusifs, invitant à l'émotion et à la rêverie.

 

Conclusion

 

"L'étranger" se présente comme un poème en prose à la fois simple et profondément significatif, illustrant la maîtrise de Baudelaire dans ce genre. Il définit le poète et son sentiment moderne d'étrangeté face aux autres et au monde. Ce premier poème du recueil "Le Spleen de Paris" énonce les thèmes majeurs de la condition poétique selon Baudelaire : la solitude, le mépris du matérialisme, la quête vaine de la beauté, l'absence d'un univers propre au poète, et la passion pour l'évasion et le rêve.

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