Etude linéaire de Causerie de Baudelaire
Introduction
Dans son recueil "Les Fleurs du Mal", Charles Baudelaire explore les méandres de l'âme humaine à travers des poèmes d'une intensité rare. "Causerie", l'un de ces poèmes, s'inscrit dans la veine du Spleen baudelairien. Ce sonnet irrégulier, composé d'alexandrins aux rimes croisées et d'un dernier tercet en rimes plates, aborde le thème de la tristesse engendrée par une femme. Baudelaire y use d'un langage riche, alternant rimes suffisantes et pauvres, et respectant l'alternance des rimes masculines et féminines. L'analyse linéaire de ce poème révèle la complexité et la profondeur de l'expression du poète.
Premier quatrain - La montée de la tristesse :
Dès le premier vers, Baudelaire use d'une métaphore saisissante, comparant la femme à « un beau ciel d'automne, clair et rose ». L'exclamation initiale traduit une stupéfaction face à la beauté, teintée d'enthousiasme. Toutefois, l'antithèse entre « automne » - saison souvent dépréciée par Baudelaire et associée au Spleen - et l'image d'un « beau ciel […] clair et rose » suggère une beauté troublée, loin de l'idéal. Ce contraste annonce une relation problématique avec la femme.
Le vers 2, introduit par un « Mais », fait écho à l'idée du Spleen, comparant la montée de la tristesse à une marée. Les vers 3 et 4 développent cette idée à travers la métaphore du « limon », sédiment laissé par le retrait d'un fleuve, symbolisant un souvenir amer laissé par la femme. L'adjectif « amer » renforce cette idée de désagrément persistant. L'emploi du terme « morose » est une hypallage, attribuant à la lèvre du poète une humeur qui est en réalité la sienne.
Le rythme irrégulier du quatrain, marqué par des césures inégales et un enjambement entre les vers 3 et 4, ainsi que l'allitération en [m] et les assonances en [an] et [on], renforcent l'expression de la tristesse montante.
Vers 5 à 10 - Le cœur détruit :
La continuation de l'allitération en [m] et des assonances en [an] et [on] au vers 5 souligne la persistance de la tristesse. Le tiret en début de vers met en relief l'expression « qui se pâme », évoquant un plaisir reçu dans la caresse. Le terme « amie » au vers 6 suggère une présence réconfortante, mais les vers 6 et 7 dépeignent un cœur ravagé par « la griffe et la dent féroce de la femme », métaphore d'une souffrance infligée par une figure féminine décrite comme un fauve. Les allitérations en [f] et [r] au vers 7 accentuent cette idée de carnage.
Le vers 8 marque un refus du poète de céder à la caresse, symbolisant son rejet de la femme et du plaisir qu'elle représente. Il évoque son cœur dévoré par des « bêtes », métaphore des femmes. Le rythme irrégulier des vers 5 à 10, avec des césures variables et un enjambement entre les vers 6 et 7, traduit le chaos émotionnel.
Le vers 9 décrit le cœur comme un « palais flétri par la cohue », métaphore de la perte de splendeur due à la destruction. Le vers 10, avec son rythme haché et son accumulation, suggère la brutalité de cette destruction.
Vers 11 à 14 - La défaite du poète :
Le vers 11, marqué par un tiret, indique une rupture, le poète se tournant vers une expression plus douce, comme le montre l'allitération en [ge]. Les trois points de suspension évoquent l'évaporation d'un parfum, métaphore de l'éphémère.
Au vers 12, la Beauté, personnifiée et apostrophée, est désignée comme le « fléau des âmes », renforçant l'idée de la souffrance causée par la femme.
Les vers 13 et 14 expriment la demande du poète de mettre fin à son supplice. La comparaison des yeux de la femme à des « fêtes » illustre son plaisir à voir le poète souffrir. La métaphore des « lambeaux » pour le cœur et l'impératif « Calcine » au vers 14 suggèrent un désir de sacrifice total, marquant un renoncement à la lutte contre la femme.
Conclusion
"Causerie" se rapproche de "Chant d'automne", un autre poème de Baudelaire, par son exploration de la souffrance. Dans les deux cas, le poète exprime un désarroi profond face à la beauté et à l'amour, thèmes récurrents dans "Les Fleurs du Mal". La complexité des émotions, la richesse des images et la musicalité du langage font de "Causerie" un exemple éloquent du talent de Baudelaire pour capturer l'essence du Spleen.
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