Analyse du poème "Je n'ai plus que les os..." de Ronsard

Analyse du poème "Je n'ai plus que les os..." de Ronsard

Ronsard, figure emblématique de la poésie de la Renaissance, aborde fréquemment le thème de la mort dans son œuvre. Cependant, c'est dans ses "Derniers vers", écrits à la fin de sa vie alors qu'il était affaibli par la maladie et les insomnies, que ce thème prend une dimension particulièrement poignante. Le sonnet liminaire "Je n'ai plus que les os...", publié posthumément, offre un aperçu saisissant de la dégradation physique du poète, tout en célébrant la valeur consolatrice de l'amitié. Ce poème se distingue par son évocation réaliste et baroque de la mort, tout en orchestrant une cérémonie d'adieux émouvante, révélant l'acceptation stoïque de Ronsard face à la condition humaine.

 

I. Une évocation réaliste et baroque de la mort

 

Ronsard commence son sonnet par une description réaliste de l'altération de son corps, utilisant un champ lexical centré sur la dégradation physique : "os", "bras", "œil", "corps", "face", "yeux". Cette analyse presque clinique de son état physique est renforcée par son aversion à se regarder, soulignant sa souffrance en tant qu'esthète. Le poète exprime un constat douloureux de la dépossession de soi, marqué par l'hémistiche "je n'ai plus que les os", qui symbolise une perte profonde de son identité. L'absence d'évocation de douleur physique témoigne de la pudeur de Ronsard, qui préfère insister sur la privation et l'obsession de cette perte. En outre, il anticipe de manière spectaculaire sa propre mort, avec des occurrences répétées du thème de la mort et un champ lexical associé, ainsi qu'une périphrase désignant l'enfer ("où tout se désassemble"), créant un chiasme qui dramatise la mort. Ronsard se décrit comme déjà mort, exploitant les ressources de l'esthétique baroque qui se délecte des détails macabres et de la métamorphose des êtres à l'approche de la mort.

 

II. Une émouvante cérémonie des adieux

 

Le poème se poursuit avec un difficile adieu au monde, où Ronsard souligne son incapacité à voir le monde qui l'entoure, symbolisé par les termes "soleil" et "œil". La perte de ses sensations visuelles, cruciales pour un artiste, est une source de mélancolie, comme le suggèrent les sons [an] et [on] qui dominent cette partie du poème. L'hymne à l'amitié est un autre aspect central de ce sonnet. Ronsard évoque l'amitié profonde qui le lie à ses proches, utilisant des interrogations oratoires et des enjambements qui introduisent un registre lyrique et montrent la fidélité de ses amis. Ces derniers sont désignés par des expressions hypocoristiques, témoignant de l'affection et de la tendresse du poète à leur égard. La solennité de la cérémonie des adieux est mise en scène à travers un rythme binaire, opposant la dégradation de soi à la présence chaleureuse des amis, dans un style rappelant la dignité et la maîtrise de soi des stoïciens antiques.

 

III. L'acceptation stoïque de la mort

 

Dans la dernière partie du sonnet, Ronsard manifeste une acceptation stoïque de la mort. Il adopte une vision épicurienne et anatomiste du monde, où la mort est vue comme une désunion des atomes. Cette philosophie est illustrée par l'usage du passé composé, indiquant le caractère définitif de la mort. Ronsard fait également référence à des figures mythologiques, plaçant la condition humaine dans une perspective intemporelle et tragique. Cependant, il y a une acceptation sereine de la mort, où celle-ci est fortement euphémisée et comparée à un sommeil. Cette image classique et rassurante de la mort est renforcée par l'idée chrétienne de l'immortalité de l'âme, où le poète s'imagine "dépouillé" de son enveloppe corporelle, trouvant dans la mort une double consolation : l'immortalité et la réunion avec ses amis disparus.

 

Conclusion

 

"Je n'ai plus que les os..." est un sonnet qui marque profondément par son honnêteté et sa noblesse. Ronsard, en décrivant sans fard le délabrement de son corps, choisit une forme de détachement qui l'honore. A travers ce poème, il s'affranchit "des liens du corps pour n'être que esprit", un esprit qui, malgré l'approche de la mort, reste ouvert à l'amitié, un sentiment qu'il célèbre avec force et émotion. Ce sonnet, ainsi que l'ensemble des "Derniers vers", constitue une méditation émouvante sur la mort, offrant une confidence intime sur l'amère réalité de la déchéance physique accompagnant les derniers jours de la vie.

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