Analyse du poème "Quand vous serez bien vieille" de Ronsard

Analyse du poème "Quand vous serez bien vieille" de Ronsard

Pierre de Ronsard, figure emblématique de la Pléiade et maître incontesté du sonnet amoureux, nous offre dans "Quand vous serez bien vieille", extrait de son recueil "Sonnets pour Hélène" publié en 1578, une œuvre d'une richesse inouïe. Ce poème, adressé à Hélène de Surgères, illustre une stratégie de séduction atypique, où Ronsard peint un avenir où Hélène, vieillie, regretterait de ne pas avoir répondu à ses avances.

 

I. Originalité de la demande amoureuse

 

1. Une image peu flatteuse de la femme courtisée

 

Ronsard, dans une démarche audacieuse, choisit de présenter Hélène sous les traits de la vieillesse. L'usage répété des verbes au futur souligne ce que sera Hélène "bien vieille", une vision peu flatteuse où la beauté n'est évoquée qu'au passé. Cette représentation est renforcée par des images de vieillesse associées à des tâches ménagères peu nobles, telles que "dévidant et filant", et par l'emploi de nombreux participes présents qui suggèrent la longueur et la monotonie de ces activités. L'assonance en [an] dans le premier quatrain ralentit la lecture, renforçant l'impression de monotonie.

 

2. La précision de la scène

 

Ronsard dépeint avec précision le cadre de cette scène future : "au soir, à la chandelle". Cette description, évoquant la fin de la journée, fait écho à la fin de la vie d'Hélène. L'évolution de la familiarité, de "bien vieille" à "une vieille", et les changements de posture, d'« assise » à « accroupie », donnent un rythme et une dynamique particuliers au poème.

 

3. La nostalgie

 

Le thème de la fuite du temps est omniprésent. La beauté d'Hélène, évoquée à l'imparfait, renforce son caractère éphémère. La rime de « belle » avec « chandelle » suggère une beauté aussi éphémère et fragile que la flamme d'une bougie.

 

4. Une image flatteuse du poète

 

Ronsard se met en scène avec autant, sinon plus, de présence qu'Hélène. Il se présente mort, mais vivant dans le poème grâce à l'usage fréquent de pronoms personnels à la première personne. Son nom est cité à deux reprises, renforçant son importance. La référence à la mythologie grecque avec les « ombres myrteux » ajoute une dimension narcissique à son autoportrait.

 

II. La célébration de la poésie

 

1. Une invitation au carpe diem

 

Le poème peut être interprété comme une invitation à saisir l'instant présent. Le dernier tercet, en particulier, apparaît comme une morale, incitant Hélène à profiter des instants présents et à céder aux avances de Ronsard. La rose, symbole de beauté éphémère, est utilisée pour illustrer la nécessité de profiter de la jeunesse avant qu'elle ne se fane.

 

2. Une mort très douce du poète

 

Ronsard se dépeint comme un fantôme encore présent dans les mémoires, en contraste avec la figure vieillie et isolée d'Hélène. Il est célébré et rappelé à la mémoire par les servantes, soulignant son influence durable.

 

3. L'éloge de sa poésie

 

Le poète fait l'éloge de sa propre œuvre, se décrivant « chantant mes vers » et suscitant l'émerveillement. Hélène, grâce à la poésie de Ronsard, accède à une forme d'immortalité. Les mots « belle » et « immortelle » sont mis en exergue par leur position en fin de quatrains, soulignant le pouvoir de la poésie de Ronsard à transcender le temps.

 

Conclusion

 

Dans "Quand vous serez bien vieille", Ronsard déploie une stratégie de séduction originale, en dressant un portrait peu flatteur d'Hélène vieillie pour la convaincre de céder à ses avances. Paradoxalement, tout en soulignant l'éphémérité de la beauté d'Hélène, Ronsard l'immortalise à travers sa poésie, lui conférant ainsi une forme d'éternité. Ce sonnet est donc à la fois une méditation sur la fuite du temps et un hommage à la puissance de la poésie.

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