Analyse du poème "Les Ponts" de Rimbaud

Analyse du poème "Les Ponts" de Rimbaud

Introduction

 

Dans "Illuminations", Arthur Rimbaud offre une vision poétique de la ville à travers trois poèmes distincts, dont deux intitulés "Villes" et un autre, "Ville". Parmi eux, "Les ponts" se distingue particulièrement. Ce poème, dédié à la ville de Londres, se concentre sur les ponts de cette métropole portuaire, riche en histoire. Rimbaud y déploie une mise en scène théâtrale et musicale, créant une atmosphère qui oscille entre le conte et le fantastique. Le sujet central, les ponts, est traité de manière picturale, évoquant une image mobile et animée, rappelant un opéra ou un carnaval.

 

I. Le poème se présente comme un tableau

 

1. Le tableau abstrait

 

Dès les premières lignes, Rimbaud plonge le lecteur dans une atmosphère picturale. Il accorde une attention particulière aux couleurs et aux nuances, créant des images presque oxymoriques, comme le "gris de cristal" qui mêle la ternité du gris à la pureté et la luminosité du cristal. Cette attention aux couleurs est renforcée par l'évocation de l'eau grise bleue, probablement la Tamise, et par cinq occurrences de couleurs, dont deux nuances de gris. Ce gris évoque le brouillard typique de Londres, rappelant les œuvres de Turner, notamment "Lyons", et préfigurant l'impressionnisme de Monet. Rimbaud valorise les impressions de lumière, surtout dans les ciels brouillés.

 

2. Les lignes

 

Le poème met en avant des éléments de dessin presque industriels : "droit", "angles", "figure", "bombés", "obliquant". Ces termes se rapportent à des lignes horizontales et verticales, évoquant une esquisse ou une gravure. L'impression qui se dégage est celle d'une vision étendue, où les ponts s'entremêlent dans un dessin géométrique complexe. Rimbaud pourrait s'inspirer d'une carte de Londres pour construire ce paysage, évoquant des "ponts chargés de masures" qui rappellent les anciens ponts de Paris. Les descriptions des ponts, "longs et légers", "frêles parapets", contribuent à une vision aérienne et complexe du paysage. La rédaction en prose confère une fluidité qui permet la superposition des visions, offrant un spectacle où la musique joue un rôle important.

 

II. Le spectacle, comédie fugitive

 

1. Des accords musicaux

 

Rimbaud crée une transition musicale entre le tableau et la musique, jouant sur les métaphores et la polysémie pour établir une correspondance entre le visuel et l'auditif. Les ponts deviennent des éléments qui relient non seulement les berges mais aussi les sons, créant des accords. Le réseau lexical de la musique est omniprésent, avec des références aux "cordes" des ponts et des instruments à cordes.

 

2. La parade

 

Le poème évoque une parade, rappelant un autre poème des "Illuminations". Rimbaud crée une atmosphère de fanfare costumée, où les sensations visuelles et auditives se mêlent. Il invite le lecteur à participer à ce spectacle étrange, jouant avec la perception et introduisant le doute.

 

3. Le rayon blanc

 

La chute du texte est marquée par l'apparition d'un "rayon blanc" qui tombe du ciel, éclairant et anéantissant l'atmosphère brumeuse. Cette dernière phrase, isolée par un tiret, marque une rupture et clôt le poème. Rimbaud se présente comme un poète magicien, un démiurge qui crée un univers alternatif. Il invite le lecteur à participer à cette comédie, à cette "parade sauvage", où il détient la clé.

 

Conclusion

 

"Les ponts", dans "Illuminations", est un poème qui invite le lecteur à une succession de spectacles où le monde réel est à la fois magnifié et brouillé. Rimbaud utilise la ville et ses ponts comme une toile pour peindre une réalité transformée, où la beauté est saluée dans sa complexité et son mystère. Ce poème est un exemple éloquent de la capacité de Rimbaud à fusionner le visuel, l'auditif et le poétique pour créer un univers unique et captivant.

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