Analyse de "Complainte de l’automne monotone" de Jules Laforgue
Introduction
Jules Laforgue, poète de la fin du XIXe siècle, a laissé une œuvre empreinte d'un mélange de rire et de désenchantement. Son recueil principal, "Les Complaintes", fusionne le charme des chansons de rue avec la mélancolie discrète d'un homme désabusé. La "Complainte de l’automne monotone" incarne parfaitement cette dualité : derrière une description en apparence légère et ironique de l'automne se cache une vision cynique et sombre de la réalité.
I. Une utilisation particulière du langage : ponctuation et jeu de langue
1. Un poème vivant à l’oralité affirmée
Ce poème se distingue par une abondance de ponctuation forte, avec des tournures exclamatives telles que "Vers des sectaires !", "Qu’il est loin !", "Tout s’illumine !". De même, la présence fréquente de phrases nominales confère au texte un rythme haché, comme dans "Automne", "Le vent, la pluie", "Meurtres, alertes". Ces éléments contribuent à un style proche de l’oralité, où chaque impression automnale est capturée dans sa brutalité immédiate. Le poème devient ainsi une suite de sensations vives, soulignant l'arbitraire et la discontinuité des énumérations, telles que "Plages, chemins de fer, ciels, bois morts...". L’usage des tournures interrogatives et de la première personne renforce la dimension personnelle du poème, laissant transparaître la personnalité du poète.
2. Un langage inventif
Laforgue joue avec les mots, créant un langage riche et inventif. Des mots composés ("ex-ciel"), des dérivés ("m’ont hallalisé"), et l'intrusion de termes latins et italiens ("decrescendo, statu quo, crescendo") enrichissent le texte. Ces termes, en plus de leur musicalité, miment les mouvements du vent et de la pluie. Le terme "martyrs", par exemple, évoque à la fois la souffrance, la religion, et son origine étymologique grecque signifiant "le témoin".
II. Une forme maîtrisée
1. Prosodie
Le poème présente une variété de rythmes. Les strophes alternent entre un sizain et un quintil, avec une structure rythmique complexe qui brise la monotonie tout en jouant sur les variations. L'alexandrin, positionné au centre de la strophe, est mis en valeur par les vers environnants. Les rimes des sizains créent une circularité, tandis que le quintil, composé de vers de quatre syllabes, adopte un rythme rapide. Cet agencement rappelle la complainte et les chansons de rue, évoquant la gouaille populaire.
2. Sonorités et phénomènes d’échos
Les jeux de sons dans le poème créent une unité sonore remarquable. Le titre même, "Complainte de l’automne monotone", montre cette harmonie des sons. Le poème regorge d'allitérations et d'assonances, comme dans "gibiers ! Aux jours de givre" où le son "G" tisse un lien entre les mots. Ces associations sonores, comme "Rêver sans livre", révèlent la violence latente des mots et renforcent l'agressivité du sens.
III. Une vision ironique et grinçante
1. Une description particulière du quotidien
Laforgue accumule les termes pour mimer la monotonie de la réalité, en contraste avec la diversité de la composition poétique. Des juxtapositions surprenantes, comme "Antigone." et "le vent qui s’ennuie / retourne-t-il bien les parapluies ?", associent la mythologie à des scènes prosaïques. Le champ lexical de l’agonie domine, avec des termes tels que "adieux de l’Adieu !", "noyant", "s’époumone", évoquant une vision très négative de l’automne.
2. Une utilisation frappante des images
Le poème regorge d'images saisissantes, où les termes juxtaposés créent un univers extraordinaire. Par exemple, "Bateaux croupis dans les feuilles d’or" transforme la forêt en une mer à la fois désolante et magique. La réalité se dévoile sous ses multiples facettes, révélant des correspondances inattendues.
Conclusion
La "Complainte de l’automne monotone" de Laforgue reflète un malaise latent et une transfiguration de la réalité, anticipant les démarches des symbolistes comme Mallarmé. L'ironie, le jeu des correspondances, et la manipulation du langage pour révéler une réalité autre sont des procédés qui caractérisent l'œuvre de Laforgue, faisant écho au spleen baudelairien et préfigurant les explorations symbolistes de la poésie.
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