Lecture linéaire de la remarque 74 du livre 8 des Caractères de La Bruyère : "Il est un pays où les vieillards sont galants"
Introduction
Jean de La Bruyère, célèbre moraliste du XVIIe siècle, offre dans son ouvrage "Les Caractères ou les Mœurs de ce siècle" une analyse perspicace des mœurs de la société française sous le règne de Louis XIV. Le passage choisi, tiré du 8e livre, met en scène un observateur étranger qui décrit avec étonnement les coutumes de la cour de Louis XIV. Cette perspective permet à La Bruyère de porter un regard critique sur les comportements superficiels et les extravagances de l'époque.
Un portrait à charge des hommes et femmes de cours (1-21)
La Bruyère commence par dépeindre les hommes de la cour, en utilisant un parallélisme de construction pour opposer les vieillards galants, polis et civils aux jeunes gens durs et dépourvus de mœurs : « l’on parle d’une région où les vieillards sont galants, polis et civils ; les jeunes gens au contraire, durs, féroces, sans mœurs ni politesse » (l.1-3). Cette dichotomie sert à critiquer la perte de valeurs et l'inversion des rôles attendus avec l'âge.
La dégradation des mœurs masculines est accentuée par leur préférence pour les plaisirs éphémères : « il leur préfère des repas, des viandes et des amours ridicules » (l.5), illustrant une société qui valorise la débauche plutôt que l'esprit. L'excès dans la consommation d'alcool est également moqué : « celui-là chez eux est sobre et modéré, qui ne s’enivre que de vin » (l.6), soulignant l'absurdité de leur comportement.
Les femmes ne sont pas épargnées par cette critique, La Bruyère dénonçant l'usage excessif du maquillage : « les femmes du pays précipitent le déclin de leur beauté par des artifices qu’elles croient servir à les rendre belles » (l.10-12). Cette obsession de l'apparence est présentée comme une quête vaine de séduction, masquant la véritable beauté naturelle.
Les courtisans sont ensuite décrits de manière péjorative, avec une « physionomie qui n’est pas nette, mais confuse, embarrassée » (l.17), et l'utilisation de perruques est moquée : « cheveux étrangers qu’ils préfèrent au naturel » (l.18). Cette description met en avant l'artificialité et l'absurdité des modes de la cour, où l'apparence prime sur l'authenticité.
Dénonciation de la royauté de Louis XIV et de la religion (21-33)
La Bruyère aborde ensuite la religion et la royauté, en décrivant de manière détournée les rituels de la messe et la place du roi. Il évoque un peuple qui rassemble ses grands dans un temple pour célébrer des rites mystérieux : « ces peuples d’ailleurs ont leur Dieu et leur Roi : les grands de la nation s’assemblent tous les jours, à une certaine heure, dans un temple qu’on nomme église » (l.21-25). Cette description, teintée de péjoratif, suggère une critique de la ritualisation excessive de la religion et de la subordination du spirituel au temporel.
La position des courtisans lors de la messe, tournant le dos aux prêtres pour faire face au roi, est critiquée : « le dos tourné directement aux prêtres et aux saints mystères, et les faces élevées vers le roi » (l.28). Cette image symbolise la confusion des valeurs, où la vénération due au divin est détournée au profit de la figure royale, reflétant une cour entièrement soumise à l'image du monarque.
Conclusion
En conclusion, La Bruyère, à travers le regard naïf d'un observateur étranger, livre une critique acerbe des courtisans de Louis XIV, dénonçant une société superficielle et corrompue par l'obsession des apparences et une dévotion exagérée à la figure royale. Cette analyse révèle les travers d'une époque où les valeurs morales et spirituelles sont éclipsées par le spectacle de la cour et la magnificence du pouvoir royal.
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